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“Réorganisation économique et résistances sociales : la question des alliances au Burkina” un article de Pascal Labazée

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Cet article est extrait du numéro 20 de la revue Politique Africaine datée de décembre 1985. Pour pouvez en charger une version PDF sur le site de la revue à l’adresse www.politique-africaine.com


Réorganisation économique et résistances sociales
La question des alliances au Burkina
Pascal Labazée

La révolution du 4 août 1983 résulte de la conjonction d’un ensemble de crises touchant, en leurs points les plus essentiels, la reproduction des hiérarchies économiques et sociales internes sur lesquelles reposait la place spécifique de la Haute-Volta au sein des économies dominées d’Afrique de l’Ouest. De ce point de vue, qui cherche à éviter tout effet de théorisation sur la signification (( historique )) des décisions récentes, les mesures engagées par le CNR (Conseil national de la révolution) au cours des deux années d’exercice du pouvoir sont autant destinées à fonder un nouvel ordre, défini par le DOP (Discours d’orientation politique) du capitaine Sankara[1], qu’à gérer, selon des rythmes sur lesquels le pouvoir n’a que peu d’emprise, une situation où les antagonismes entre forces sociales et Etat sont ouvertement exprimés.

Or, la marge de manoeuvre est d’autant plus étroite qu’en l’occurrence, le Burkina tient dans le complexe économique régiona1 un rôle de dominé, rôle que compromet en outre l’évolution récente de la Côte-d’Ivoire[2]. De plus, la rupture en cours des anciennes dépendances désajuste progressivement les intérêts des forces politiques et sociales qui coïncidaient au moment de la prise du pouvoir[3].

Ainsi, la vocation des réglementations et réformes économiques mises en oeuvre, comme celle des réalisations inscrites au PPD (Programme populaire de développement) – document de référence jusqu’à la publication, prévue en octobre 1985, d’un plan quinquennal – ne peut être entièrement saisie au travers des discours officiels, la fonction mobilisatrice de ceux-ci les conduisant vers une contestation radicale des articulations établies, tandis que les mesures adoptées visent à en créer de nouvelles dans un environnement social et économique contraignant. Les caractérisations hâtives sur la nature du régime en place – socialiste ou nationaliste, pro-libyen ou pro-soviétique, etc. – proviennent précisément d’analyses qui prennent le discours pour l’action ou l’action pour une finalité. Plutôt que de spéculer sur les intentions ultimes du CNR en matière de politique économique, nous avons préféré, d’une part, situer les enjeux principaux aboutissant à l’adoption de mesures et, d’autre part, préciser les effets prévisibles de ces dernières sur les rapports de forces à l’intérieur du Burkina Faso.

Vers une nouvelle articulation entre pouvoir central et populations rurales

A travers l’organisation d’instances révolutionnaires à l’échelon latente du pouvoir et de l’autorité morale qu’exerçait la chefferie depuis l’indépendance. Bien que constituée dès la colonisation comme pôle subalterne, ou relais administratif du pouvoir central ainsi déchargé du poids récurrent de la collecte des taxes, du recrutement de la force de travail et du maintien de l’ordre, la chefferie mossi supporta la distorsion croissante entre les fonctions politiqué, idéologique et économique qu’elle exerçait et les mutations sensibles des rapports entre les différentes forces sociales burkinabé qui les rendaient caduques.

L’une des erreurs, les plus courantes est de concevoir la chefferie traditionnelle comme une force politique dotée d‘un projet  villageois et provincial[4], le CNR a mis à nu la crise jusqu’alors autonome, alors même que sa position lui confère le rôle d’autorité morale chargée de fonder localement les ambitions d’hommes politiques ou de partis[5]. Dès lors, le moindre des paradoxes n’est pas de constater que cette fonction s’exerce d’autant mieux qu’existent les attributs de la démocratie formelle dans la vie politique, alors que la tendance, depuis l’indépendance prononcée le 5 août 1960, est à la confiscation du pouvoir par un groupe restreint de responsables issus des forces armées nationales[6]. De plus, l’ampleur des courants migratoires internes et externes, les spécificités de l’urbanisation burkinabé (nous pensons ici à son caractère récent, au développement de pôles semi-urbains qui accueillent le tiers de la population non rurale et l’importance des retours temporaires de migrants dans les villages d’origine, facteurs ayant au plus haut point favorisé la création d’un continuum villes campagnes) enfin, le décalage entre les infrastructures d’enseignement primaire et secondaire ramenant à l’agriculture de nombreux jeunes après une brève période de scolarisation, ont conjointement contribué à éroder l’autorité coutumière et ses manifestations.

Enfin, l’élargissement des couches sociales – appui des régimes successifs – en particulier les fonctionnaires et militaires en bas de la hiérarchie, a marginalisé les fonctions administratives remplies à titre onéreux par la chefferie.

L’apparition de Comités de défense de la révolution engage la confrontation non seulement sur le terrain du pouvoir détenu localement par les autorités traditionnelles, mais aussi sur les hiérarchies, prééminences et valeurs qu’elles véhiculaient. L’arbitre de ce conflit doit être “la grande majorité de la paysannerie voltaïque” analysée par le président du CNR comme une composante de la petite bourgeoisie qui “hésite très souvent entre la cause des masses populaires et celle de l’impérialisme”[7]. La suppression des privilèges et fonctions que 1’Etat reconnaissait aux responsables coutumiers et -le rôle prépondérant accordé aux CDR de village dans l’élaboration des objectifs du Programme de base[8] modifient en profondeur l’articulation entre pouvoir central et populations villageoises sans toutefois supprimer les dépendances les plus subtiles.

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Certes, la participation des villageois aux réunions et manifestations des Comités, ou aux opérations de développement qu’ils organisent, est massive, mais elle relève plus de la prudence vis-à-vis du pouvoir politique central que de l’adhésion aux objectifs et aux valeurs qu’il incarne. I1 est probable que l’opposition entre les deux pouvoirs et systèmes de valeurs ne pourra être dépassée qu’à partir d‘une définition du contenu de la réforme agraire et d’une amélioration sensible de la situation économique des producteurs villageois, sans lesquels les manifestations de syncrétisme politique[9] seront seules à même de concilier localement les dépendances de nature différente.

Intensification de la lutte anti-érosive, maîtrise de l’eau

Incontestablement, les objectifs élaborés par le PPD en matière de sites anti-érosifs et d’hydraulique villageoise rompent avec les conceptions des régimes antérieurs, comme avec la logique économique qui les sous-tendait. D’ici à fin 1985, la réalisation de 250 retenues d’eau, 1 980 puits et 3 350 forages représentera un investissement de 15 milliards, auquel s’ajoute le coût d’adductions urbaines et d’irrigations de périmètres à fort potentiel agricole.

L’objectif est de parvenir à l’horizon 1990 à une alimentation en eau domestique de 25 litres par jour et par habitant, et à la restauration de la productivité des terres.

Dans ce domaine, l’innovation consiste d’abord en une association des travaux de maîtrise totale ou partielle de l’eau et de la production vivrière. Jusqu’alors, les principales réalisations hydroagricoles – captage des eaux de Kou et de la Komoé, aménagement du lac de Bam – provoquaient l’extension des cultures maraîchères ou industrielles supposées seules à même d’amortir les investissements. A terme, l’abandon de toute réalisation dans les régions céréalières s’est traduit par la mise en valeur des terres à faible rendement et la dégradation des sols liée à l’accélération des cycles de culture temporaire ; conséquences du reste compatibles avec la fonction économique dévolue au pays dans l’espace ouestafricain, celle de réservoir de main-d’oeuvre, qui fut tenue avec d’autant plus d’ampleur que s’approfondissait la crise de l’économie villageoise.

Un tel retournement n’est envisageable qu’à partir d’une compression des coûts de réalisation des travaux et des charges récurrentes.

Aussi, les actions entreprises privilégient les microréalisations au détriment de projets à technologie plus lourde. La participation des Organisations non gouvernementales s’en trouve renforcée, leurs interventions étant de plus étroitement coordonnées aux objectifs du Programme de base par le biais d’un “Bureau de Suivi”[10].

Enfin, les populations villageoises sont étroitement associées à la gestion des projets d’hydraulique. Chaque réalisation implique une participation en travail, l’entretien et l’utilisation des points d’eau étant du ressort d’un “Comité villageois de gestion” chargé en outre de collecter les cotisations nécessaires aux frais d’entretien.

Si les micro-réalisations favorisent la compression des investissements financiers et des charges récurrentes, l’impératif de rentabilité à moyen terme s’est imposé lors des choix d’aménagement hydro-agricole de la vallée du Sourou. Le projet, devenu un symbole de la lutte pour l’autosuffsance alimentaire, consiste à réguler ou stocker les eaux de la Volta noire et de ses affluents au nord de Dédougou afin d’aménager 30 O00 ha de vallée – dont 16 O00 devraient être irrigués[11]. Bien que les décisions relatives à la nature et à l’organisation sociale de la production soient encore discutées, priorité semble donnée aux polycultures agroindustrielles (55 % des surfaces irrigables) et aux productions maraîchères (9 %). Mené à son terme, le projet devrait, selon les hypothèses hautes, satisfaire 10 %o des besoins vivriers nationaux, soit le montant des importations commerciales et aides alimentaires.

Plusieurs interrogations subsistent pourtant : d‘une part, les expériences antérieures tendent à indiquer que les surfaces irriguées sont, dans des conditions de forte productivité, rapidement dégradables ; d’autre part, le niveau de productivité peut être conçu comme une résultante du régime de propriété des terres, point sur lequel le CNR, compte tenu des divergences d’orientations apparues en son sein, ne s’est pas encore prononcé. Enfin, et nous y reviendrons, l’augmentation induite des flux intérieurs de céréales commercialisées suppose une infrastructure dont le pays ne dispose pas actuellement.

La réorientation de la politique du prix d’achat des céréales

Le relèvement du prix d’achat des céréales est probablement l’Elément fondamental du dispositif élaboré par le nouveau régime, ses implications économiques et politiques étant considérables. Le déficit céréalier structurel du Burkina (120 O00 t. l’an, soit 10 % de la consommation intérieure) s’est accru régulièrement depuis 1960. I1 résulte pour l’essentiel de la conjonction d’une forte croissance démographique nationale (+ 2,l % l’an) et d’un différentiel de croissance positif entre centres urbains et campagnes (+ 5 % l’an). En l’absence d’investissements significatifs en infrastructures et d’une pénétration de nouvelles techniques agricoles, la productivité marginale des terres exploitées a décru parallèlement à la montée de la demande urbaine de biens alimentaires.

Jusqu’en 1970, la crise de la production céréalière fut partiellement masquée par la dégradation du rapport superficies cultivables superficies cultivées, par des jachères plus courtes, par l’exploitation de champs de brousse à faible rendement, ainsi que par une modification sensible des droits d’exploitation des terres freinant la diffusion de nouvelles techniques culturales[12]. L’augmentation de la production vivrière fut cependant inférieure, d’environ 1%, à la croissance démographique annuelle, tandis que les rendements du coton s’élevaient continuellement pendant la même période[13].

I1 semble paradoxal que la distorsion entre la demande croissante de biens céréaliers et la stagnation relative de la production n’ait pas produit d’effets, en termes du prix d’achat aux producteurs, au cours de la deuxième décennie d’indépendance. Entre 1969 et 1981, le prix du sorgho augmenta ainsi de 345 %, soit dans une moindre proportion que la plupart des biens manufacturés dont les ruraux sont consommateurs. Trois explications doivent ici être avancées. D’une part, les tentatives de contrôle public des circuits de commercialisation céréalière ont toujours échoué ; l’exploitation de l’Office de commercialisation (OFCOM), à partir de 1960, s’est révélée déficitaire et l’Office n’a contrôlé qu’une fraction réduite de la production mise en vente. Ultérieurement, les réglementations sur les prix d’achat, l’instauration d’un contrôle par les ORD (Organismes Régionaux de développement) n’ont pas réussi à endiguer les pressions spéculatives exercées par les négociants privés au moment de la collecte[14]. D’autre part, le recours aux importations commerciales et aides alimentaires a comblé le décalage structurel entre offre et demande marchandes; en 1982, les importations commerciales de blé, maïs, riz et sorgho ont été de 77 O00 tonnes, les entrées de riz passant, entre 1978 et 1983, de 17 O00 à 37 O00 tonnes. Enfin, l’emploi d’outils de production manufacturés et l’utilisation d’intrants agricoles étant marginaux dans l’agriculture vivrière (moins de 3 % des surfaces céréalières sont cultivées par traction attelée), le coût de production des produits commercialisés n’a pratiquement aucune expression monétaire, puisque les frais de reproduction de la force de travail des paysans sont essentiellement assurés par leur propre production.

Le Burkina n’a certes pas eu le monopole d’une politique de bas prix d’achat aux producteurs locaux. Ainsi, de 1974 à 1981, la Mauritanie et le Sénégal ont volontairement accru les importations de produits vivriers au bénéfice des offices publics céréaliers (dont les gains proviennent de la différence entre les prix d’importation et le niveau général des prix des céréales locales), de 1’État qui s’assurait “un pouvoir de contrôle sur les populations dépendantes de l’aide”[15] et des revendeurs privés agréés.

La dégradation des termes d’échange céréales/biens manufacturés est la condition d’un transfert de valeurs s’opérant au profit du commerce privé local et de 1’Etat; elle favorise aussi la compression des frais de fonctionnement de l’administration et des charges salariales versées par les entreprises du secteur dit “moderne”.

Ajoutons que cette politique n’est nullement incompatible avec la paupérisation absolue des fonctionnaires du bas de l’échelle et des salariés du secteur privé, comme l’attestent les comparaisons de pouvoir d’achat entre 1969 et 1978[16].

En retour, l’incitation à la production céréalière commercialisable est nulle, les producteurs villageois limitant leurs apports au marché céréalier, lorsqu’ils existent, à la fraction non consommable de la production, ou liant étroitement l’acte de vente aux impératifs d’obtention de numéraire. De même, on conçoit que l’achat d’inputs agricoles soit rendu impossible dans les régions à production vivrière quasi exclusive.

Les contradictions engendrées par une politique de compression des prix d’achat aux producteurs sont multiples ; indiquons, par exemple, que dans les quatre ORD à forte production cotonnière, les paysans sont incités à l’emploi de produits phytosanitaires vendus par les Offices et les grands commerçants ou commercialisés à crédit par la SOFITEX (Société de filatures et de textiles), alors que les producteurs des régions du Centre et de l’Est sont dans l’impossibilité d’acquérir ces produits dont le coût d’achat ne peut être récupéré dans l’hypothèse d’une vente[17]. Or, la FAO considère que 15 à 30 % des productions vivrières sont détruites annuellement par les prédateurs de récoltes, en l’absence d’une protection efficace des stocks.

Le relèvement des prix officiels d’achat, imposé par le CNR, est avant tout un acte politique majeur articulé d’ailleurs à un corps de mesures destinées à réduire le pouvoir d’achat des salariés urbains, base sociale des régimes qui se sont succédé depuis l’indépendance.

I1 est aussi un argument immédiat dans le conflit opposant les CDR aux autorités coutumières, celles-ci étant précisément implantées dans les régions à forte densité et à faible productivité, productrices de mil et de sorgho.

I1 reste que l’efficacité d’une telle mesure dépend du degré de contrôle par 1’Etat des circuits commerciaux ; or, la proportion de céréales commercialisées par voie officielle ne dépasse pas 20 %.

De plus, l’Office national des céréales, dans l’incapacité de stocker cette part, fait appel aux négociants privés afin de l’écouler. Le commerce privé est ainsi le rouage essentiel du système de distribution, sur lequel les réglementations édictées ne pèsent guère. En l’attente d’une réforme générale, le CNR compte sur l’efficacité du “contrôle populaire” afin de réduire l’impact des pratiques spéculatives, expérience qui n’est pas sans rappeler les (( commissions de lutte contre la vie chère )) instaurées au Niger.

Effets économiques et sociaux de la compression des dépenses publiques

L’une ’ des constantes des politiques économiques mises en œuvre depuis 1960 fut le recrutement de personnel administratif et de membres de l’appareil militaire, associé à un déséquilibre croissant entre l’encadrement et le personnel d’exécution. Seules les périodes de crise agricole majeure, interdisant toute pression fiscale supplémentaire, ont conduit à une stabilisation des effectifs, mais non à leur réduction[18]. Ces périodes furent du reste précédées par un transfert du pouvoir des civils aux militaires, moins sensibles aux exigences d’élargissement des couches-appui. D’autre part, le montant des ressources budgétaires dont dispose le pays étant modeste, l’augmentation du nombre des fonctionnaires fut associée à une croissance limitée des traitements, compensée cependant par des avantages indirects distribués sélectivement selon les niveaux hiérarchiques : primes de déplacement, indemnités de logement, accès aux crédits d’équipement et immobiliers, possibilité enfin de réaliser des opérations à but lucratif.

Ainsi, la hiérarchie officielle des traitements ne rendait qu’imparfaitement compte des différences de niveau de vie entre les cadres administratifs et le personnel subalterne, la convergence des intérêts résidant dans la préservation d’un ordre fondé sur les mécanismes de transfert des villages aux centres urbains, les divergences traduisant les inégalités de répartition. Dans une large mesure, les alliances et conflits entre les confédérations syndicales voltaïques et les régimes politiques reflétaient l’ambiguïté des rapports entre l’Etat et sa base sociale, les phases de conflit (1966, 1974 et 1980) apparaissant nettement lorsque le pouvoir se trouvait, conjoncturellement, hors d’état de maintenir les rapports de dépendance économique qui liaient les producteurs villageois. Les mesures engagées par le CNR, visant à comprimer les dépenses publiques de fonctionnement, rompent incontestablement avec les conjonctures de “Redressement” ou de “Renouveau” que les régimes antérieurs, soucieux de préserver l’ordre social général, fit-ce au prix d’un conflit avec leur propre base sociale, ont dû traverser. L’ampleur de ces mesures et la priorité donnée aux pressions exercées sur la haute hiérarchie confirment l’hypothèse d’une stratégie de renversement des relations économiques entre population urbaine salariée et population rurale. Dès 1984, les indemnités accordées aux fonctionnaires ont été réduites, permettant une économie budgétaire d’environ 2 milliards : les contributions volontaires aux projets de développement, la participation à la Caisse nationale de solidarité – chargée de venir en aide aux ruraux touchés par la sécheresse -, les cotisations aux différentes caisses gérées par les CDR et les abonnements obligatoires aux publications officielles ont comprimé de 20 à 30 % le pouvoir d’achat des membres de l’administration. Le dégraissage des effectifs de la fonction publique, par mises à la retraite anticipée ou dégagements de fonctionnaires dont les pratiques ont été jugées “non conformes aux objectifs de la Révolution” semble considérable[19].

La loi de finances pour 1985 accentue encore la pression sur la fonction publique et parapublique burkinabé. Mentionnons, entre autres, la suppression des abattements fiscaux pour charges de famille, l’instauration d’une contribution exceptionnelle d’un mois de salaire pour les personnels des secteurs ” public, parapublic, militaire et privé” de catégories A et B, et d’un demi-mois pour les catégories C et assimilés, l’extension des mesures indemnitaires prises en 1984 au secteur parapublic C, l’ampleur des contributions volontaires destinées au financement de projets inscrits au PPD.

Le rythme accéléré auquel s’accomplit ce renversement amplifie les effets de court terme habituellement liés à la restauration des relations économiques au profit des zones rurales. D’une part, le secteur bancaire national et les sociétés de crédit spécialisé sont placés en situation critique, par l’accumulation de créances douteuses nées de l’affaiblissement des capacités de remboursement des fonctionnaires, ou de leur dégagement. En retour, ces organismes ont réduit le volume des prêts d’équipement aux ménages, renforçant ainsi l’effet des mesures gouvernementales sur la consommation urbaine. D’autre part, les entreprises orientées vers la satisfaction des besoins urbains solvables voient leur chiffre d’affaires fortement réduit; on pouvait estimer à 20 % la contraction du volume des affaires réalisées par le grand commerce, qu’il soit d’origine européenne, libano-syrienne ou nationale en fin 1984.

Cependant, les secteurs les plus touchés sont ceux du bâtiment, de la menuiserie et du travail des métaux, de la restauration, dont la participation à la production urbaine “moderne” – hors établissement de service – est de l’ordre de 52 %. L’artisanat et la petite production marchande articulés aux entreprises dites “modernes” (soit + 12 % environ des établissements du secteur dit “informel” subissent de même les effets de la compression de la demande finale ; il est par contre probable que les petites unités de production s’adressant directement aux consommateurs urbains bénéficient de la contraction des revenus et du report des intentions d’achat vers des biens à faible coût fabriqués localement.

I1 est clair que le Burkina ne dispose pas de l’infrastructure bancaire et du degré d’indépendance dans sa politique de crédit nécessaires au financement des projets de développement provincial ; la révision du traité de I’UMOA (Union monétaire ouest africaine), en 1973, et la réorganisation/voltaïsation du système bancaire opérée dans les années 1970-1974 restent insuffisantes pour orienter les financements en direction d’opérations dont la rentabilité, mesurée en termes monétaires, peut ne pas être immédiate.

L’accumulation repose donc sur une pression significative des revenus urbains (que confirmera le plan quinquennal), dont l’effet de court terme est de réduire le niveau d’activité urbaine et par là même le montant des recettes douanières (soit 40 % des ressources budgétaires), de la taxe sur le chiffre d’affaires et de l’impôt sur les revenus. Selon le rythme auquel s’accomplit le renversement, ces phénomènes, que d’autres Etats. ont connus, peuvent se révéler coûteux par les comportements anticipateurs de la part des couches sociales dont les privilèges, ou le niveau de vie, sont attaqués et par la résurgence de flux financiers et commerciaux officieux.

Les réactions politiques et syndicales devant l’ampleur des mesures prises par le CNR sont nombreuses. Elles traduisent le caractère irréconciliable de l’opposition entre un pouvoir et une base sociale qui lui préexistait; mais, en outre, la jeunesse scolarisée et étudiante, qui fournissait une partie essentielle de la force militante engagée auprès du CNR, semble aussi marquer le pas. A la fin des années 1970, la crise de désajustement de la jeunesse scolaire par rapport à l’ordre social a coïncidé avec la crise d’un appareil militaire chargé de gérer cet ordre, au moment où s’exprimaient en son sein des conflits révélant l’hétérogénéité de l’armée nationale, tant au plan de la stratification sociale que de la formation, des avantages et profils de carrière. Or, l’alliance entre la jeunesse et la fraction représentant l’échelon intermédiaire de la hiérarchie militaire semble d’autant plus difficile à préserver que l’abaissement des revenus des salariés urbains réduit, en conséquence, leur capacité d’accueil de nouveaux dépendants scolaires et compromet la durée du cycle de formation et les conditions matérielles dans lesquelles il se déroule.

Les implications politiques se révèlent donc, à court terme, particulièrement risquées ; si, dans la capitale, le contrôle de la situation est globalement assuré et les oppositions moins ouvertement exprimées (la concentration des forces militaires et la proximité du pouvoir central limitant la manifestation des antagonismes), il n’en va pas de même dans d’autres centres urbains et semi-urbains, comme en témoignent, par exemple, les conflits lors des élections des bureaux des CDR.

L’industrie et l’artisanat. un héritage catastrophique

L’artisanat urbain, la petite production marchande et la microdistribution ont connu un net développement depuis les années 1960. Les activitéS.de commerce ou de production du secteur dit (( informel n, mieux connu depuis les travaux de P. Van Dijk[20], jouent un rôle d’aspiration d’une main-d’œuvre urbaine en forte croissance que ni l’administration, ni les petites et moyennes entreprises dites “modernes” ne peuvent absorber. Une telle fonction lui est conférée par les caractères propres de ce secteur : coût d’installation d’une unité inférieur en moyenne à 50 O00 F, emploi d’un personnel apprenti peu ou pas rémunéré, possibilité d’involution en période de contraction du marché ou de concurrence. En outre, ces établissements sont soit étroitement articulés aux entreprises capitalistes qui transfèrent ainsi les travaux à faible marge bénéficiaire (cas des petits établissements de construction travaillant en sous-traitance, de la microdistribution ou des ateliers de réparation qui allègent *les charges d‘après-vente des grandes sociétés de distribution), soit les fournisseurs directs de biens de consommation pour les salariés à faible revenu – cas des tailleurs et tisserands, des artisans du bois ou métal, etc.

I1 est remarquable de constater que le dynamisme des établissements d’artisanat utilitaire n’a, au-delà de positions de principe exprimées dans les discours officiels, jamais reçu de soutien institutionnel en termes d’accès au crédit, aux marchés publics ou d’appui technologique. La création, en 1970, d’un Office de promotion des entreprises voltaïques chargé de former et d’appuyer techniquement les entrepreneurs locaux n’a pas été un succès, faute de moyens et d’une définition claire de ses attributions. De même, les différents Plans de développement et les réformes successives du Code des investissements, en 1970 et 1978, n’ont qu’accessoirement envisagé les conditions de croissance du secteur artisanal. Le destin du” Petit code des investissements” qui devait soutenir l’entreprise artisanale[21] et dont l’application a été gelée, traduit clairement l’antagonisme entre la fonction de relèvement du taux de profit des entreprises capitalistes et d’abaissement du coût d’entretien de la main-d’oeuvre urbaine dévolue à l’artisanat, et la perspective de leur croissance.

Aussi ténu soit-il, le tissu industriel burkinabé est l’exact reflet de la fonction subalterne que le capital colonial conférait à la région et du dynamisme des forces sociales occupant à l’indépendance un rôle dominant, soit au plan politique, soit au plan économique.

On peut schématiquement en rendre compte au moyen d’une périodisation des investissements.

Jusqu’à la décolonisation, la stratégie économique de l’impérialisme français fut déterminée par les ambitions du capital commercial, soucieux d’adapter les ressources humaines du pays aux besoins de l’économie de traite à l’échelon ouest-africain. Les investissements industriels furent donc rares et limités au traitement de produits agricoles, principalement vers Bobo-Dioulasso[22] (usine d’égrenage du coton de la Compagnie française des textiles, huilerie CITEC du groupe Boussac, abattoir frigorifique) ainsi que quelques activités impulsées par les missionnaires catholiques qui en formaient l’ossature.

Les entreprises de transport (Compagnie transafricaine) et de travaux publics (Société française d’entreprises de dragages et de travaux publics, Bureau central d’études pour les équipements d’outre-mer, Union d‘entreprises de construction, Chomette et Seura) étaient néanmoins les plus rentables ; leur croissance devait du reste être stimulée par la politique, de prestige de la Première République.

A partir de 1964, le gonflement du déficit budgétaire provoquant un net reflux des marchés publics, ces établissements européens se replièrent ; ils furent partiellement remplacés par un capital d’origine locale, détenu essentiellement par les plus dynamiques des commerçants de la place.

Enfin, la mobilisafion de l’épargne nationale et le recours au crédit donnèrent à l’Etat, à l’aide d’une politique de voltaïsation inaugurée en 1973, les moyens de prises de participation dans des entreprises d‘envergure nationale et, par-dessus tout, les outils d’une orientation sélective du crédit au profit de membres éminents de l’appareil administratif, qui investissent dans des domaines aussi divers que la chimie, les industries métalliques ou alimentaires, l’hydraulique.

L’état catastrophique des entreprises nationales, caractérisé par une faible rentabilité (une entreprise à participation publique sur dix est actuellement bénéficiaire) et l’absence d’effets d’entraînement sur l’économie (notamment sur l’agriculture et l’artisanat), résulte de causes multiples : la situation géo-économique défavorable du pays et la faiblesse du marché intérieur alourdissent les charges fixes des entreprises, les rendant médiocrement compétitives vis-à-vis des importations européennes et des productions concurrentes d’autres Etats de la CEAO (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest). Mais, en outre, l’octroi et le renouvellement généreux d’avantages fiscaux aux établissements européens dont les rentes de situation n’ont guère été touchées au cours de la voltaïsation, ainsi que l’absence de contrôle public des flux de capitaux privés permettent aux entreprises à forte rentabilité, dominées par le capital français, de se soustraire aux obligations de réinvestissement sur place et d’élever le niveau des profits rapatriés[23].

Enfin, la stratégie de promotion d’établissements privés gérés essentiellement par d’anciens membres de la fonction publique a échoué, tant par suite d’une définition erronée des objectifs industriels et des échelles de production, que par le comportement de “capitalistes sans risques”[24] de certains responsables.

Une réorganisation industrielle, fondée sur le desserrement des dépendances vis-à-vis de l’extérieur et sur une nouvelle définition des rapports intersectoriels, est en cours. Les orientations restent encore imprécises, révélant les difficultés d’accorder des sensibilités contradictoires à l’intérieur du CNR, et les résistances au changement de la part des intervenants privé!

Le poids respectif des industries d’Etat et du secteur privé fut en premier lieu au cœur des débats. Représentée dans le premier gouvernement, la LIPAD (Ligue des patriotes pour le développement) souhaitait renforcer le secteur public et le rôle des organisations de travailleurs dans les organes de gestion des entreprises, tandis que le président du CNR affirmait que “la propriété privée est chose normale au stade actuel de la société” et que le capitaine Zongo, ministre des Industries d’Etat, comptait favoriser l’économie de marché et céder certaines participations au secteur privé[25]. L’échec de la LIPAD au cours de l’épreuve de force qu’elle avait engagée avec l’Office des postes et la VOLTELEC, puis le remaniement ministériel d’août 1984 ont clos, dans l’immédiat, le débat. L’innovation principale, en la matière, réside en une réforme des conseils d’administration des établissements publics et mixtes, qui admettent désormais la participation de “représentants du facteur travail”, soit de délégués des Comités de défense de la révolution.

Par une réforme du Code des investissements et la réorganisation des structures des sociétés d’État, le CNR compte réduire les importations d’inputs industriels et donner priorité aux industries s’approvisionnant sur place ; l’agro-industrie et l’extraction minière devraient être stimulées, au moyen de la mobilisation populaire autour du projet Sourou et de la “bataille du rail” (achèvement de la voie ferrée desservant le site minier de Tambao, riche en manganèse).

L’indépendance industrielle suscite des résistances, comme en témoigne l’arbitrage rendu à l’avantage de la société IVOLCY (Industrie voltaïque du cycle et du cyclomoteur), filiale de la CFA0 (Compagnie française de l’Afrique occidentale) spécialisée dans le montage de cycles Peugeot. Rappelons que cette société bénéficie depuis 1964 d’avantages fiscaux prorogés deux fois, sans jamais avoir tenté de substituer aux importations de pièces une fabrication locale. En 1980, la création sur fonds privés nationaux d’une entreprise concurrente, la SAVCC-Sénisot, fabriquant sur place l’essentiel d’une production de 300 cycles par jour, risquait de déstabiliser, sur un marché particulièrement fructueux, l’un des bastions du capital d’origine coloniale. Le renouvellement de l’agrément dont bénéficie la société IVOLCY traduit, outre les préoccupations du CNR quant à l’emploi à Bobo-Dioulasso, la force toujours active des grandes compagnies européennes sur l’économie burkinabé.

Notons enfin l’extrême difficulté à réaliser conjointement le redressement financier des industries locales dans une conjoncture de contraction des débouchés intérieurs et de hausse du coût des importations, et le renversement des rapports industrie-agriculture dont I’UREBA (Union révolutionnaire des banques) fondée en juillet 1984, est l’outil privilégié. Financée par des contributions d’entreprises nationales, cette structure bancaire se destine à la réalisation de projets provinciaux (dispensaires, centres avicoles, cinémas, etc.) d’intérêt inégal. Certes, le renforcement des infrastructures économiques, dont l’énergie (4,4 milliards d’investissements prévus), les transports et communications (55 milliards) et l’habitat (6 milliards), peut jouer un rôle de stimulant de la demande pour les industries, locales, notamment celles du bâtiment et des travaux publics dont les fonds de roulement sont dramatiquement faibles.

En la matière, les taux de réalisation de ces projets seront déterminants et dépendront de la confirmation de financements essentiellement externes.

La question essentielle du contrôle commercial

L‘articulation commerciale du Burkina avec l’extérieur, son évolution au cours des dernières années et les implications majeures qui en résultent en termes de flux financiers et de dépendance, seront mieux saisies à l’aide d’une étude succincte du solde économique de la balance des paiements .(voir tableau suivant)[26].

En 1983, le taux de couverture de la balance commerciale était de 25 %, soit un déficit de 64 milliards : le coût croissant des importations de produits alimentaires et pétroliers (de 1979 à 1983, la valeur des importations.d’hydrocarbures est passée de 6,2 à 16,9 milliards, pour un volume en baisse de 6 %, comme des biens d’équipement et de consommation à destination des ménages urbains, n’est plus compensé que marginalement par l’exportation d’animaux vivants et de coton qui, tant en volume qu’en valeur, représentent une part décroissante du commerce extérieur burkinabé.

Fortement dépendante de la Communauté européenne et des États-Unis qui assurent respectivement 52 % et 11 % des approvisionnements, l’économie nationale a supporté les hausses de prix des pays industrialisés et les variations du franc sur les marchés des changes, alors même que les structures économiques forgées dès l’époque coloniale rendaient difficilement compressibles les importations. A l’inverse, la sécheresse dans les provinces du Nord et la saturation du marché ivoirien de la viande ont fait chuter les exportations de bovins dans des proportions considérables (de 61 O00 à 18 O00 têtes de 1979 à 1983), au moment où la baisse des rendements céréaliers dans les régions à forte densité conduisait les agriculteurs à réduire la part des terres consacrées à la culture du coton.

On constatera une fois encore que le déséquilibre commercial croissant, né de la crise organique de l’économie rurale burkinabé, induit une hausse parallèle du montant de l’épargne rapatriée par les travailleurs burkinabé installés à l’étranger. Dans la mesure où ni les taux d’accroissement de l’émigration, ni les taux de salaires des Etats exploitant la main-d’oeuvre migrante ne sont comparables à l’augmentation de l’épargne rapatriée (+ 31 %) de 1980 à 1981 par exemple), on peut affirmer sans risque que l’appauvrissement absolu des travailleurs émigrés constitue le tribut principal payé à l’extraversion de la formation voltaïque.

Or, le renversement des rapports de dépendance économique entre centres urbains et zones rurales, d’une part, la maîtrise des flux, économiques et financiers avec l’extérieur, d’autre part, supposent que soit résolue la question du contrôle commercial dont la complexité renvoie à deux caractéristiques principales.

La première est relative à la diversité des intervenants et aux spécificités du grand commerce national. Depuis l’indépendance, les compagnies européennes implantées sur le territoire ont amorcé un net mouvement de repli : la stratégie de contrôle prioritaire des régions fortement exportatrices provoqua le dépérissement des petites succursales, tandis que le retrait des militaires français basés à Bobo-Dioulasso et d’une partie du personnel administratif obligea les sociétés commerciales à réduire leur représentation en Haute-Volta et à se réorganiser. De plus, ces compagnies furent concurrencées, dès 1963, par l’installation de commerçants libano-syriens venus du Mali et de la Côte-d’Ivoire. L’élément déterminant du système commercial contemporain provient cependant du grand commerce local qui a su récupérer une part du marché laissé libre par les sociétés françaises ; aux biens de consommation traditionnellement commercialisés, les plus dynamiques des négociants ont su ajouter les matériaux de construction, la quincaillerie, le tissu, les pièces détachées automobiles et cycles, ainsi que les produits vivriers. Cette mutation réussie résulte de la combinaison de trois facteurs :

– la structure familiale des établissements commerciaux qui génère des charges de fonctionnement limitées, et la puissante articulation entre les exploitations commerciales et les maillons d’aval – demi-gros, détail et microdistribution – qui favorise et adapte, au moindre coût pour le grand commerce, l’offre et la demande;

– l’emploi à des fins nouvelles des réseaux traditionnels d’information et d’approvisionnement intra-africains, combiné à l’assimilation progressive de techniques modernes, tant dans la communication que dans la gestion. Dans ce domaine, les caractères propres de grands commerçants burkinabé, notamment ceux d‘origine yarga, ont certainement facilité ces reconversions[27];

– enfin, les timides tentatives de création d‘un réseau de collecte et de distribution d’Etat (Coopérative centrale de consommation de Haute-Volta, Office de commercialisation, en 1961, Société voltaïque de commercialisation, en 1967) et de contrôle commercial des principaux produits (Offices céréaliers et des produits de l’élevage) ayant échoué, le grand commerce s’est imposé comme rouage employé par les organismes parapublics, ou comme intervenant indépendant.

La seconde caractéristique renvoie aux capacités d’arbitrage du grand commerce entre marché officiel et marché clandestin ; selon les produits, le caractère contraignant des réglementations et les profits de change réalisables avec les Etats anglophones, les négociants sont à même d‘orienter les transactions et de mettre en échec les règles commerciales qu’édicte le pouvoir. Les exemples sont nombreux dans ce domaine[28]. Au pouvoir économique détenu par les grands commerçants dont l’aire d’activité n’est pas

réductible aux produits traditionnels, s’ajoutent l’autorité et l’influence qu’ils exercent au sein de la communauté musulmane nationale.

Le contrôle commercial, enjeu immédiat pour le pouvoir, se heurte ainsi à une double difficulté. Economique d’abord, puisque le développement d’un commerce d’Etat suppose une réorganisation complète des circuits de distribution, depuis l’importation jusqu’à la microdistribution ; en outre, une substitution incomplète risque de renforcer les réseaux de commerce parallèle. Politique ensuite, puisque l’influence des marchands sur la communauté musulmane, restée jusqu’à présent en retrait des événements, conduirait au renforcement des oppositions intérieures.

Ces considérations ont probablement joué lors de la définition des objectifs du CNR qui, jusqu’à présent, n’a pas souhaité engager d’épreuve de force. A la substitution immédiate et à la multiplication des réglementations le pouvoir semble préférer un renforcement progressif des magasins d’Etat Faso-Yaar (218 dépôts supplémentaires) et de l’Office national des céréales (48 magasins supplémentaires), complété par un contrôle populaire des pratiques commerciales privées par le biais des CDR. Le compromis peut-il être durable ? Les expériences antérieures de magasins d’Etat montrent que la rentabilité ne peut être obtenue que dans les régions déjà desservies par les négociants privés, où le degré de monétarisation et la concentration de la demande – ou de l’offre – restent compatibles avec l’équilibre financier ; aussi la carte de l’implantation géographique des Faso-Yaar devrait-elle rendre inévitables les situations de concurrence sur un terrain où le négoce privé dispose de possibilités manœuvrières considérables.

Orientations économiques et alliances

La stratégie économique élaborée par le Conseil de la révolution tend à desserrer les dépendances du Burkina par rapport aux économies occidentales et à ses relais principaux en Afrique de l’Ouest, ainsi qu’à renverser les flux d’échange entre les différents secteurs de l’économie nationale. Le relèvement des prix agricoles, la compression des dépenses publiques conçue comme moyen d’une accumulation de ressources destinées à la restauration de la productivité agricole, la nouvelle articulation entre système productif urbain et rural, la maîtrise progressive des circuits commerciaux forment l’ossature de cette stratégie. De telles transformations provoquent la rupture des alliances forgées à l’indépendance, entre le pouvoir central et les membres de l’administration, les détenteurs de positions économiques privilégiées et de pouvoirs délégués contre rémunération. Elles compromettent, de même, les positions avantageuses que le capital colonial français avait pu préserver après les années 1960 et, plus globalement, l’équilibre politique régional sur lequel reposent, dans une large mesure, l’orientation et la nature des échanges entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest.

Dans le cadre de cette transformation, la question essentielle semble celle des’ alliances sociales que le régime sera à même de générer ; l’élimination progressive des partis politiques et organisations syndicales des organes de décision – que ne compense nullement la création de Comités de défense de la révolution conçus comme relais du CNR[i]– et l’anesthésie des débats contradictoires qui en résulte, risquent d’isoler l’équipe au pouvoir et de réduire la participation des travailleurs urbains et ruraux à l’élaboration des orientations économiques, alors que celle-ci conditionne leur degré de mobilisation.


 

[i] Voir sur ce point P. Labazée, ” La voie étroite de la révolution au Burkina”, Le Monde diplomatique, fév. 1985 pp 12 – 13

Pascal Labazée


[1]T. Sankara, Discours d’orientation politique, Ouagadougou, 1983, 45 p:

[2] Cf. les risques d’expulsion des travailleurs étrangers installés en Côte-d’Ivoire, liés à la montée des réactions xénophobes et du thème de “l’ivoirisation” dans la perspective de la disparition du président Houphouët-Boigny, ainsi que l’accroissement des importations ivoiriennes de viande venant d’Amérique latine, qui prive le Burkina de son principal débouché.

[3] On peut schématiquement identifier les crises ayant provoqué l’agrégation de ces forces : crise du système productif agricole compromettant la reconduction des transferts de valeurs entre travailleurs ruraux et salariés urbains ; crise entre fonctions et pouvoirs exerces par la chefferie coutumière ; antagonismes entre les différentes strates composant l’administration et l’appareil militaire; crise enfin du système scolaire, due à une augmentation du nombre de diplômés, supérieure, depuis plusieurs années, aux capacités d’absorption de l’administration et des entreprises.

[4] Création de Comités de défense de la révolution dans chaque village, et d’un Pouvoir révolutionnaire dans chacune des 25 provinces que compte désormais le Burkina Faso.

[5] En tant que force politique; la chefferie a cessé d’exister dès avant l’indépendance proclamée le 5 août 1960, probablement lors de l’échec du contrôle de l’Assemblée nationale en octobre 1958. Cf. C. Somé, Sociologie du pouvoir militaire, Le cas de la Haute-Volta, Bordeaux, 1979, pp. 85-92.

[6] Cette tendance, inscrite dès le coup d’État du colonel Lamizana (3 janvier 1966), se manifestera plus clairement le 25 novembre 1980, lors du putsch du colonel Saye Zerbo. Voir à ce propos: Haute- Volta : Les raisons sociales d’un coup d’Etat, Politique Africaine 9, mars 1983, pp. 85-92.

[7] T. Sankara, op. cif., p. 18.

[8] Le Programme de base (ou programme provincial), constitue le premier volet du PPD, et se compose de projets de développement à l’échelon régional, axés pour l’essentiel sur des réalisations hydroagricoles (47% du financement), d’éducation et de santé (47%).

[9] Comme en témoignent par exemple les cas de dissolution de CDR dont les responsables élus étaient des représentants de la chefferie coutumière.

[10] Directement rattaché 3 la Présidence du Faso, ce bureau compte renforcer la coopération entre les ONG et les populations rurales, principalement en matière de retenues d’eau et de barrages, de banques de céréales et de pharmacies villageoises.

[11] Le potentiel irrigable du Burkina serait de 150 O00 ha, pour une ’superficie effectivement irriguée de 8 500 ha. Cf. Carrefour africain 785, mars 1985, pp. 26-28.

[12] Dès 1964, J.-L. Boutillier notait la relation entre densité de population et importance des champs exploités en prêt à courte durée, et constatait que “l’incertitude de l’appropriation pour un nombre élevé de cultivateurs et la grande proportion de ces derniers n’ayant que des droits ténus sur les terres qu’ils cultivent, freinaient certainement tous changements des techniques culturales” J.-L. Boutillier, * Les structures foncières en Haute-Volta B, Etudes voltaïques  5, 1964, p. 62.

[13] De 134kg/ha, en 1960-1961, à 379ha en 1971-1972, les surfaces consacrées au coton passant de 20 O00 à 80 000 au cours de cette période.

[14] Selon la Banque mondiale, la commercialisation effectivement contrôlée par les organismes officiels n’excédait pas, â la fin des années 1970, 15 % du volume des céréales locales mises sur le marché.

[15] CILSS, Documents de réflexion pour la conférence entre Etats membres et donateurs sur l’aide céréalière Ouagadougou juin 1981, 18 p. multigr., p. 5.

[16] En particulier au cours de la période 1975-1979, où le pouvoir d’achat du salaire minimum a baissé d’environ 20%.

[17] Notons au passage qu’en l’absence d’une législation locale ,sur l’emploi de produits phytosanitaires, et d’une réglementation mondiale sur la commercialisation des pesticides, l’essentiel des produits employés par les paysans de l’Ouest burkinabé est hautement toxique et interdit d’emploi dans les pays industrialisés; pour une réflexion plus approfondie sur Cette question, voir D. Weir, M. Shapiro, Pesticides sans frontière CETIM Déclaration de Berne, 1982, 107 p.

[18] Notamment au cours de la politique de rigueur du ministre M.T. Garango, inaugurée en décembre 1966, préconisant a l’arrêt de tout recrutement Y afin de résorber le déficit budgétaire hérité de la Première République.

[19] Environ 3 O00 fonctionnaires, en tenant compte des 1600 instituteurs dégagés après la grève du 9 mars 1983 déclenchée par le SNEAHV (Syndicat national enseignants africains de Haute-Volta).

[20] Pour une synthèse de ces travaux, voir P. Van Dijk, “La réussite des petits entrepreneurs dans le secteur informel de Ouagadougou” , Revue Tiers-Monde 21 (82), avril.-juin 1980, pp. 372-386.

[21] Ordonnance du 3 mars 1978.

[22] Au moins jusqu’en 1954, date à laquelle l’extension de la voie ferrée reliant Abidjan à Bobo-Dioulasso et les investissements en infrastructure énergétique permirent à Ouagadougou de combler une partie de son retard économique.

[23] Cf. par exemple l’étude du groupe de recherches CODESRIA : L’agro-industrie et les firmes transnationales : la SOSU-HV, enclave industrielle Ouagadougou 1982, 182 p. multigr.

[24] Nous empruntons ce concept, caractérisant la bourgeoisie politico administrative ivoirienne “incapable de fonder un capitalisme privé fait de risque d’entreprise et donc de pouvoir” à  l’ouvrage collectif dirigé par Y.-A. Fauré et J. F. Médard, Paris, Karthala, 1982, p. 221.

[25] Cf. Afrique-Asie, Interview du capitaine T. Sankara, 24 oct. 1983.

[26] A partir des informations tirées de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Balance des paiements, 1981, Ouagadougou, 1983, 24 p. multigr.

[27] Nous pensons, entre autres, à l’extrême intégration du grand commerce yarga au sein de l’organisation sociale mossi, ainsi qu’aux spécificités de l’islam dont il est porteur qui n’ont pas conduit les négociants à éviter l’inscription de leurs enfants dans le système scolaire national.

[28] Ainsi en va-t-il de la guerre que se livrent les grands commerçants et la société nationale de pneumatique SAP-Olympic depuis sa création en 1973 ou de l’arbitrage, en fonction du niveau des taxes prélevées par l’Etat, opéré par les commerçants de bétail entre les abattoirs officiels et clandestins, etc.

[29] Voir sur ce point P. Labazée, ” La voie étroite de la révolution au Burkina”, Le Monde diplomatique, fév. 1985 pp 12 – 13

Cet article “Réorganisation économique et résistances sociales : la question des alliances au Burkina” un article de Pascal Labazée est apparu en premier sur Thomas Sankara.


“Langage du pouvoir, pouvoir du langage” un article de C. Dubuch

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Cet article est extrait du numéro 20 du mois de décembre 1985 de la revue Politique Africaine. Vous  pouvez en charger une version PDF sur le site de la revue à l’adresse www.politique-africaine.com


Auteur: C Dubuch

Langage du pouvoir, pouvoir du langage

« Le 4 août 1983, le cours de l’histoire changeait subitement en Haute-Volta. Un coup d’État renversait le Conseil de salut du peuple (CSP), que dirigeait le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouedraogo, et instaurait un régime révolutionnaire. »

Media France Inter continents, RFI (Document 840722).

Voila comment, très sommairement, on peut planter le décor. Il est environ 21 h dans la capitale, lorsque, quelques minutes après la fin du discours prononcé par le chef de l’État à l’occasion de la Fête nationale prévue pour le lendemain, 5 août, éclatent les explosions brèves et les crépitements qui, quelques instants, laissent croire à un improbable feu d’artifice. Mais l’écho des rafales, venant de points stratégiques aisément repérables (la Gendarmerie, le « Camp Guillaume », la maison de « Jean-Baptiste », la Radio…) ont tôt fait de lever le doute : ce n’est pas un feu d’artifice pour le 5 août. Non. « Ils » sont venus. On s’y attendait, mais, comme pour le retour du maître, on ne savait ni le jour ni l’heure… Eh bien, ça y était.

Et chacun, bien sûr, de bondir alors sur son récepteur-radio. Car tout le monde sait bien, en pareille circonstance et on commençait à en avoir l’expérience que c’est un des objectifs principaux à atteindre, à la fois moyen et baromètre événementiel, outil indispensable de contrôle de la situation. On annonce son intrusion, on s’impose, on a gagné, toute résistance est inutile…

Et en effet, quelques minutes plus tard, la voix du nouveau vainqueur — que tout le monde connaît bien — un peu essoufflée, surexcitée, se fait entendre pour annoncer « le » message historique : une fois encore, l’armée a dû « faire son devoir » et prendre les choses en mains.

Ce message est le début d’un déferlement. Dans les heures et les jours qui suivent, on assiste à une véritable débauche de slogans, de mots d’ordre, de discours et de chants. Ressassés, du matin au soir, en toute occasion, sur les ondes, à la télévision, dans les meetings, ils structurent un nouveau langage, pour une politique neuve ; un langage révolutionnaire ou, du moins, ainsi baptisé. Ponctuation lancinante, leitmotiv mille fois répété, refrain braillard de « mettez-vous bien ça dans la tête », l’heure est venue, comme déjà ailleurs en Afrique auparavant, des proclamations de masse scandées en choeur, des véhémentes condamnations collectives, des féroces anathèmes publics.

Il faut avoir entendu des dizaines de fois « Gloire… au peuple ! Honneur… au peuple ! Pouvoir… au peuple ! » et sa suite, scandée de percussions ; ou bien « La patrie ou la mort ! Nous vaincrons ! » et les innombrables « L’impérialisme ? A bas ! Le colonialisme ? A bas ! Les fonctionnaires pourris, les douaniers pourris ? A bas ! » etc., pour mesurer combien ces litanies, comme une incantation multiforme au changement contre les vieux démons, ont pu remplir, par la voix des ondes, l’espace sonore du pays  et particulièrement de sa capitale après le 4 août: Il faut avoir entendu les discours retentissants, percutants, spectaculairement imagés, parfois maladroits, de Thomas Sankara, pour saisir à quel point l’outil du discours, du langage, se veut une arme de choc pour le nouveau régime.

Dans un premier temps, tout cela a revêtu un aspect vaguement pittoresque, « folklorique » et, quoique lassant, bon enfant tout de même. D’autant que l’ancien Premier ministre avait eu l’occasion de produire, par le passé, quelques morceaux de bravoure dans les discours que, disait-on, il improvisait, et de se tailler une certaine réputation en ce domaine… aussi bien d’ailleurs pour ses réussites que pour ses échecs. Bien sûr, certaines mesures quelque peu inquiétantes se profilaient, telle la création immédiate des CDR (Comités de défense de la révolution), et la distribution d’armes à ces volontaires que l’on savait être, dans bien des cas, des individus peu recommandables ; telle encore la liquidation sommaire, camouflée en tentative d’évasion, de certains militaires opposants. Les discours, malgré tout, c’était autre chose. Ils ne tuaient pas, eux, et la politique voltaïque avait de précieuses et anciennes traditions de démocratie. De quoi rassurer.

Mais il fallait être naïf, ou manquer d’information historique et méconnaître ce qui s’était passé ailleurs sur le continent, pour ne pas comprendre que le discours n’était qu’une étape dans la stratégie destinée à assurer la mainmise du nouveau pouvoir sur l’ensemble de l’appareil d’information et de communication public, en s’immiscant en outre dans la communication privée. Ainsi, au fil des mois, se mettait en place un certain nombre de mesures dont la conjonction était d’autant plus significative que venaient s’y greffer des événements pour le moins troublants : restructuration et reprise en main de l’hebdomadaire Carrefour africain début 1984 ; _création d’un quotidien gouvernemental, Sidwaya (« La vérité est venue ») et attribution du monopole de la distribution des informations à la Direction de la publicité et à l’Agence voltaïque de presse en avril de la même année ; incendie, en juin 1984, des bureaux du journal indépendant L’Observateur. Toujours en ce mois d’avril, d’ailleurs, à l’occasion des ordonnances accordant le monopole de la distribution du service des agences internationales de presse à l’AVP, le gouvernement déclarait vouloir « s’assurer le contrôle exclusif de la publicité et de l’information sur l’étendue du territoire national ».

De même, dans les rapports au sein des administrations et autres lieux de travail, fut imposée une modification des codes et des rites sociaux et l’instauration de comportements uniformisés, répétitifs, qui apparaissent comme un véritable conditionnement permanent : obligation de s’appeler mutuellement « Camarade », à tout moment et quel que soit le rang respectif des interlocuteurs ; la même interpellation étant de rigueur même dans la rue. Aux anciennes formules de politesse en vigueur pour toute correspondance est substituée le slogan officiel du nouveau régime : « La patrie ou la mort, nous vaincrons. » Et l’on est théoriquement tenu, dans les réunions publiques, meetings et autres rencontres, de clamer en choeur, avec enthousiasme, en réponse aux dénonciations de l’impérialisme, du colonialisme, du néo-colonialisme, de la réaction : « A bas ! » et autres invectives variées.

Tout cela, d’ailleurs, ne manque pas de rappeler des situations. Observées ailleurs au sud du Sahara et constitue un ensemble de démarches désormais classiques : modification des noms des individus et du pays, dans le cadre de l’authenticité, adoption de vêtements « autorisés », changement d’hymne national et de drapeaux (au prix d’une affligeante uniformité de symboles et de couleurs), usage d’un langage stéréotypé et d’autant plus creux et mensonger qu’il se veut virulent, etc.

Dans le cadre de cette stratégie globale de contrôle de l’information et de la communication, c’est précisément le phénomène du langage qui retient l’attention, en particulier l’aspect le plus courant et quotidien du discours oral, véhiculé par les médias le plus largement possible et amplifié par la télévision et surtout la radio nationales. Laissons de côté la presse qui, à elle seule, mérite une longue analyse. Lieu du double langage, de l’allusion voilée, des attaques sous-entendues et dont le sens n’est accessible qu’aux initiés de l’histoire politique du pays, elle constitue un objet d’étude très révélateur pour qui en possède les clés. Restons-en plus modestement à une approche, toute limitée qu’elle soit, de la réception des slogans et des différentes formes de réaction que ceux-ci suscitent. Et essayons, dans le même temps, d’y trouver une ou des interprétations possibles à la lumière des derniers développements de la situation, et des faits dont la réalité quotidienne vient de servir de contrepoint au verbe.

Le changement du 4 août s’est accompagné, répétons-le, d’une vague sans précédent de discours, slogans, mots d’ordre ou banderoles tendues dans les rues. Dans de telles circonstances, le destinataire collectif de ces messages ne reste pas passif. Il se produit un phénomène d’appropriation, de distanciation, destiné à permettre de prendre un certain recul, et qui est une forme de défense face à une propagande agressive dans sa répétition, sa permanence, son didactisme pesant et surtout son caractère omniprésent, imposé, incontournable. Le phénomène d’appropriation se réalise à travers l’humour, qui reprend et transforme l’objet du langage, le manipule, afin de le rendre plus acceptable, d’en créer un usage plus libre, plus autonome, et de rendre le conditionnement moins pesant. Dans cette démarche, deux champs principaux d’application sont à distinguer : d’une part les discours (surtout ceux de Thomas Sankara) ; d’autre part, les slogans.

Les discours de « Tom » sont connus depuis longtemps déjà. Est-ce par mimétisme des « grands de la contestation » (Sékou Touré, Fidel Castro…) ou à cause d’une verve naturelle qui, dans les meilleures conditions, génère un certain charisme, l’homme use et parfois abuse de diatribes que l’on prétend improvisées. Il surprend, frappe, amuse, ne laisse pas indifférent. Ses armes ? D’abord l’invective « originale » : ainsi, ses ennemis politiques sont-ils des « margouillats », des « crapauds », des « rats voleurs », des « caméléons équilibristes » (belle définition de l’opportunisme !), des « musaraignes », voire des « araignées » ; de même qualifie-t-il les éléments nuisibles de la société  ou prétendus tels de « véreux » ou de « pourris ». Il peut également utiliser un argot populiste accessible à tous, comme la célèbre dénonciation « La magouille ? A bas ! ». Enfin (et seule une étude détaillée des enregistrements radiotélévisés pourrait en faire le tour), il cultive l’art de la métaphore et de l’image surprenante, destinées à frapper les esprits. La révolution, par exemple, devient un « car » qu’il faut ou qu’il aurait fallu  prendre à temps, faute de quoi on s’essouffle, sans y parvenir, à essayer de la/le rattraper. Du fait de leur conviction insuffisante, certains ne « sont qu’à moitié assis » dans le car, d’autres « sont déjà tombés du car », d’autres encore ne vont pas tarder à le faire. Ailleurs, les « camarades-compatriotes » qui s’opposent à la révolution « n’ont pas de place au Burkina… Ou alors, dessous… ». C’est-à-dire une fois morts et enterrés. Le tout accompagné de gestes expressifs. Ou encore, les instituteurs grévistes dégagés en avril 1984 ont intérêt à ne pas faire de remous lors de la rentrée que l’on fera sans eux, car on n’hésitera pas à leur appliquer le dernier chatiment… « et le bois est cher cette année » (pour les cercueils). Ailleurs encore, la société est comme un « dinosaure » qui doit évoluer ou périr. Le langage est imagé, virulent, l’éloquence parfois mordante, sciemment mise en scène.

Ce sont ces images, ces métaphores qui seront, dans un premier temps, reprises et réutilisées quotidiennement dans le langage courant. Au travail, en famille, entre amis, on sera menacé de « tomber .du car » si on continue à ne pas être « sérieux » ; la même mise en garde poussera « l’accusé » à répliquer qu’il est « bien assis » ; on entendra condamner par jeu les « collègues pourris », les « parents pourris », les « tontons pourris », les « enfants pourris », ou bien encore quelque objet, ou fruit, abîmé sera « véreux » ou « pourri » et jeté « à bas » !

D’une manière générale, ces expressions font fortune (du moins auprès de ceux qui pratiquent le français avec assez de maîtrise) et sont reprises en plaisantant en privé, voire en public, dans un groupe restreint. Les enfants, même très jeunes, répètent ces formules, voire certains gestes  point levé ou doigt vengeur  dans les circonstances les plus diverses.

Dans la même veine, d’autres orateurs politiques s’essaieront à ce type de discours, rarement avec la même réussite ou la même facilité, mais avec parfois quelques trouvailles qui seront, une fois encore, récupérées et répétées pendant un temps, comme un écho qui s’éteint peu à peu. C’est, par exemple, à la fin d’un meeting tenu à Bobo-Dioulasso, au cours duquel on avait copieusement maudit tous les « pourris » possibles et imaginables, et où, pour conclure, l’orateur proposa de rassembler tous ceux que l’on avait pu oublier, de tous les enfermer dans le même sac, et « le sac pourri ? A bas ! ».

Les slogans, quant à eux, connaissent un sort semblable. Il est difficile de les dissocier complètement des discours, qui en sont un vecteur important, ou le lieu où ils sont exprimés en premier, et dans la mesure où ils les ponctuent systématiquement. Mais ils sont également utilisés isolés, car omniprésents, ils sont d’autant plus difficiles à supporter, et par conséquent largement détournés de leur fonction initiale. A cet égard, l’un des slogans les plus manipulés est le fameux « La patrie ou la mort ! Nous vaincrons ! D. Toutes les variantes en sont explorées, afin d’en rendre la constante présence moins pesante. Ainsi entendra-t-on, outre toutes les variations possibles sur le thème « la patrie ou… l’amour », « la patrie ou la mort… nous verrons… ou nous viendrons » : dans le premier cas, il est clairement sous-entendu que la perspective de la mort, même pour la patrie (ou plus sûrement, pour le régime) est refusée, alors que dans le second,, allusion est clairement faite aux opposants exilés à l’étranger, préférant, ou simplement rêvant, d’un « contrecoup ». Autre variation possible enfin : « A partir de la mort… nous verrons », variation venant cette fois de la part de ceux qui estiment qu’ils n’ont plus rien à perdre et, partant, s’affirment prêts aux actions les plus désespérées.

On ira même, plus tard, jusqu’à élaborer des variations commentées qui vont plus loin que le simple humour. Ainsi, à Bobo-Dioulasso, prétend-on que les gens disent : « La patrie ou la mort ? Ici, on a la patrie, ça nous suffit ! » ; ou bien on entreprend de restituer la trilogie : « La Patrie, c’est Bobo : la mort, c’est Ouaga ; et nous vaincrons, c’est Pô » (où étaient basés les para-commandos qui ont mené l’intervention du 4 août), avec une allusion aux contradictions qui divisent l’armée et opposent les responsables au sein même du CNR, ce que personne n’ignore.

Le même « traitement » est appliqué au couplet introductif qui, désormais, précède chaque édition du journal parlé, sur un rythme traditionnel de tam-tams :

« Gloire au peuple, pouvoir au peuple, honneur au peuple au génie créateur libéré.

Le peuple de Haute-Volta est capable de construire, seul et de ses mains, les fondements matériels de son avenir.

C’est pourquoi notre combat quotidien Vise à débarrasser notre peuple de ceux qui l’ont toujours écrasé, exploité, méprisé, baillonné. Malheur à ceux qui baillonnent leur peuple ! »

Cette dernière phrase, qui avait fait sensation, est d’ailleurs une citation de Thomas Sankara, au moment de sa démission du poste de secrétaire d’État à l’Information du CMRPN. Reprise d’un air entendu, elle vise cette fois le CNR.

Est également repris le premier vers du couplet « Gloire au peuple, honneur au peuple, pouvoir au peuple » qui devient « Gloire au peul, honneur au peul, pouvoir au peul ». La plaisanterie est à la fois ironie, car paradoxale par rapport à la vision qu’on a souvent de ce groupe au Burkina, et allusion aux origines familiales du président du CNR (à la fois peul et mossi). Plus profondément, on peut y déceler également une allusion quelque peu morbide au sort de ces éleveurs durement frappés par la sécheresse et dont on doute fort que le nouveau pouvoir améliore le sort plus que ceux qui l’ont précédé. Dans la même veine, on raconte (perfidement) qu’à Dori  dans le Nord du pays où les populations peul sont plus nombreuses  les gens ont été très flattés de la répétition de la formule, comprise comme ci-dessus, disant qu’à Ouaga, il y avait enfin un gouvernement bien ; jusqu’au jour où ils ont appris qu’on allait leur demander de construire la route Ouaga-Dori, qui est, pour le moment, l’un des projets les plus difficiles à réaliser.

 

Le « génie créateur libéré » fait également l’objet de plaisanteries. On l’utilise pour flétrir une maladresse quelconque. C’est alors « le génie créateur libéré » qui se manifeste ou qui est tellement libéré qu’on ne le contrôle plus. Le changement de nom du pays et de ses habitants a suscité le même type de réactions. Le Burkina-Faso devient « Burkina-façon », ou « Burkina-facho » ; les Burkinabé, des « Burkina-bêtes », « Burkina-beufs , ou « Burkinabêê ».

Le français n’a d’ailleurs pas le monopole de ce type d’humour, les langues nationales s’y prêtant parfois. Ainsi la formule « L’impérialisme… A bas ! », « Le colonialisme… A bas ! », deviennent, soit par incompréhension, soit par malice : « L’impérialisme… Awa ! », « Le colonialisme… Awa ! » (qui veut dire « il vient », « il arrive »). Le titre du quotidien gouvernemental Sidwaya, qui veut dire « La vérité est arrivée », est transformé en Zirwaya, dont la structure, fort opportunément parallèle, signifie « Le mensonge est arrivé »

Dans un premier temps, on a pu percevoir, dans la facilité avec laquelle se diffusaient les plaisanteries, le reflet d’une société accoutumée à une certaine forme de liberté d’expression, où les thèmes politiques étaient assez largement discutés. Et qui donc ne prend pas d’abord au tragique une situation qui n’a pas encore donné sa pleine mesure. Mais ces quelques exemples, qui ne sont qu’illustra-tifs, permettent aussi de déceler une autre dimension, qui va au-delà de celle d’humour, de distanciation et d’appropriation. C’est celle de l’ironie voulue, critique, la dérision de la désillusion, l’amertume, voire une forme d’opposition. La répétition des slogans déformés, des formules manipulées et détournées de leur fonction première, plus qu’un jeu, devient une forme de résistance à l’embrigadement, une arme offensive, voire une contre-propagande, une démarche politique. On peut y lire l’esquisse d’un contreprojet, plus ou moins conscient ou formalisé, mais qui révèle une prise de position. Et ce d’autant plus qu’avec le temps, suffisamment d’éléments précis sont intervenus pour marquer le décalage entre le discours et le réel.

Il n’est d’ailleurs pas certain que ces plaisanteries aient toujours été volontairement faites comme telles. Dans certains cas, elles ont éventuellement pu être créées, ou du moins propagées et soulignées, dans le but plus ou moins avoué de faire ressortir les contradictions du régime et les difficultés auxquelles se heurte cette forme de propagande. Et ces difficultés sont multiples. Hormis celles qui viennent du récepteur, dans la volonté de se préserver de ce discours, il en est d’autres qui proviennent du discours lui-même. Comme, par exemple, la langue utilisée. Cet aspect linguistique n’est d’ailleurs pas le moindre paradoxe d’une proclamation et d’une revendication de liberté culturelle, sociale et économique qui se fait dans une langue étrangère, justement celle dont on veut se libérer ; et malgré la volonté des autorités, il n’est pas près d’être résolu.

Le problème de la réception du message en français est certain, que se soit au niveau de la perception, comme à celui de la compréhension. Au plan de la perception, « awa » (il vient), est certainement plus immédiatement interprétable que « A bas ! ». De même, la formule « au poteau ! » qui a été utilisée pour condamner les mauvais fonctionnaires, douaniers, enseignants, citoyens, a pu être entendue « poto-poto » (qui désigne la boue d’argile), car c’est ce phénomène qui a un sens dans la vie courante pour les non-francophones (et ils représentent environ 90 °h de la population).

Au plan de la compréhension, on rencontre des difficultés à trouver des équivalents linguistiques précis à des termes tels que « impérialisme », « féodalité », « bourgeoisie », « réaction », « colonialisme » ou « néo-colonialisme », etc., qui sont traduits approximativement ou par périphrases, voire conservés tels quels. C’est par exemple le cas de « réactionnaire », entendu ou répété tant bien que mal (« rikshoner ») et dont on perçoit principalement qu’il s’agit de l’équivalent d’une insulte grave, et plus encore d’un qualificatif qu’il est dangereux de se voir attribuer par les temps qui courent. Bien sûr, on peut toujours expliquer. Mais c’est une tache longue et difficile, face à une réalité qui est complexe et contradictoire comme, par exemple, le fait que l’on condamne le colon, l’impérialiste (« Nansara » : le Blanc), mais que se soit le même parfois qui dispense les secours en cas de catastrophe. Et justement, proclamer et affirmer n’est pas expliquer, même si cet effort est supposé fait ailleurs. C’est pourquoi, il semble que le discours officiel n’ait pas beaucoup d’écho dans les campagnes, qui sont atteintes avec moins d’intensité et sont confrontées à des réalités que la parole ne peut, masquer.

Le journal Sidwaya lui-même (avec Carrefour africain) n’échappe pas à cette contradiction, puisque, « quotidien de mobilisation du peuple », il est rédigé en français, alors que les lecteurs francophones ne forment qu’une infime minorité de la population, essentiellement urbaine. Pour le moment, il paraît matériellement difficile d’échapper à cette situation, malgré les efforts qui sont faits pour y remédier : discours des responsables, création d’une presse de soutien des CDR et d’une presse rurale en langue(s) nationale(s) ; il est également difficile d’y échapper même pour les autres forces politiques ou sociales  syndicats, partis (même interdits) et groupements divers dont l’expression se fait aussi en français.

D’autres domaines d’expression ont également été investis, avec plus ou moins de bonheur, produisant encore des paradoxes parfois saisissants, tels que la forme se retrouve dans certains cas en contradiction frappante avec le contenu. Ainsi en est-il par exemple, de ce chant de gloire aux révolutionnaires, voulant bouter « l’impérialisme principalement français » hors du pays, sur l’air des Gars de la Marine, produit culturel. on ne peut plus français, justement ; ou du chant des CDR sur le très célèbre rythme pseudo-antillais Célimène… ou encore de l’utilisation du liwaga  chant traditionnel improvisé célébrant entre autres choses la gloire des chefs de la féodalité, et reprenant, comme une formule magique incompréhensible, « la patari ou la moré »… pour « faire plaisir au Chef »… lequel combat avec véhémence la féodalité ; ou, enfin, de la semaine culturelle de Gaoua, au cours de laquelle est exaltée la culture nationale authentique… dans un poème écrit en français.

Laissant de côté ces paradoxes, propres à toute communication dans les sociétés très segmentées de l’Afrique subsaharienne, nous nous contenterons de faire quelques remarques à propos de cet effort de propagande déployé par le CNR.

Pour commencer, il est permis de douter que ce langage abuse vraiment les groupes auxquels il s’adresse. Tout d’abord, dans le cas qui nous préoccupe, il n’est pas accessible à la majorité de la population. La presse écrite et les médias audio-visuels, dès lors qu’ils s’expriment en français, ne peuvent être compris que par une petite minorité lettrée, même s’il est possible de restituer certains fragments du discours dans les langues nationales. Telles quelles, les émissions « idéologiques » diffusées à la radio et à la télévision sont inaudibles, tant par leur forme que par leur contenu, pour la majorité des auditeurs. Et l’on peut se demander par quel étrange irréalisme le régime peut laisser passer une expression telle qu’il semble ne s’adresser qu’à lui-même. Hors la capitale, il est probable que les débats soulevés ne paraissent que fort lointains à la population, et que toute l’agitation politique de Ouagadougou demeure relativement incomprise.

Restent les structures qui sont partout en contact avec les populations, et d’abord les CDR. Leur pouvoir les rend menaçants et il n’est pas certain que leur effort d’explication (de « formation idéologique ») soit plus significatif que les abus de pouvoir, tracasseries et intimidations auxquels ils se livrent.

Enfin, la suite des événements est parlante d’elle-même. Elle a montré que la révolution, au-delà des mots, n’est pas une plaisanterie. Les dégagements et suspensions arbitraires ou disproportionnés (pour « manque de conviction révolutionnaire » ou « propos subversifs ») fondés sur la délation et couvrant tous les prétextes, les licenciements en masse (cas des instituteurs en avril 1984), les arrestations et détentions non motivées, les intimidations, les agressions contre les syndicalistes (à l’occasion du 1er mai 1985, par exemple), les perquisitions, les poursuites dont ils sont l’objet, le refus du dialogue avec les diverses forces sociales qui n’émaneraient pas du CDR, sans compter les petites affaires de corruption qui continuent d’avoir cours, sont connus de la population, tout autant que le discours officiel porteur d’une vision des choses radicalement différente. Mais la possibilité de réponse reste limitée. Et les interlocuteurs qui peuvent se permettre de plaisanter, et qui estiment encore pouvoir le faire, se recrutent parmi ceux qui maîtrisent le discours avec ses allusions, ses subtilités, ses significations profondes et les querelles qu’il recouvre, et qui sont capables de l’interpréter à la lumière des faits. Ce discours, en fin de compte, peut-il s’adresser, tel quel, à d’autres que ceux-là, et ceux qui le produisent peuvent-ils se faire des illusions sur sa portée réelle, alors que les difficultés politiques et économiques s’avèrent plus… parlantes ? Ne se met-il pas lui-même en scène, en se retournant sur lui-même, pour complaire à son propre émetteur ?

Il en est probablement de ce langage comme des mesures spectaculaires qui ont été prises pour frapper l’opinion publique : par leurs conséquences, elles suscitent plus d’exaspération que de crédulité.

 


C. Dubuch

Sources: http://www.politique-africaine.com

 

Cet article “Langage du pouvoir, pouvoir du langage” un article de C. Dubuch est apparu en premier sur Thomas Sankara.

“Femmes et révolution ou comment libérer la moitié de la société” un article de C. Benabdessadok

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Cet article est extrait du numéro 20 du mois de décembre 1985 de la revue Politique Africaine. Vous  pouvez en charger une version PDF sur le site de la revue à l’adresse http://www.politique-africaine.com


Auteur: C. BENABDESSADOK

Femmes et révolution ou comment libérer la moitié de la société

Sous le regard franc et le minois espiègle de Fatoumata Diallo  « Fatou » pour tout le monde  semble se profiler l’archétype des jeunes femmes que la révolution du 4 août a mis au devant, ou voudrait voir émerger de la scène politique et sociale. En Fatou se rencontrent en effet des qualités correspondant aux nouveaux comportements que le pouvoir burkinabé sollicite ardemment.

Fatou manie avec autant de talent la kalachnikov, la guitare électrique ou le micro, pour haranguer les foules lors des meetings ou chanter à l’occasion des prestations de l’orchestre musical féminin, « les Colombes de la révolution », formé à l’initiative du président Sankara, lui-même mélomane et praticien averti. Fatou est une militante enthousiaste de la Révolution démocratique et populaire (selon la formule consacrée au Burkina), sans blocage idéologique et, ce qui ne gâte rien, jeune et jolie. Infatigable, elle sillonne les mauvaises routes de la brousse pour porter « la bonne parole », assure au Secrétariat général national des CDR (Comités de défense de la révolution) sa permanence de secrétaire-dactylographe, participe aux réunions féminines, suit et commente l’information internationale. Tout cela ne l’empêche nullement de s’attabler à une terrasse de café pour discuter et provoquer la conversation avec un serveur sur l’usage du terme « camarade », devenu courant, voire signe distinctif et symbolique. Ses diverses activités l’amènent à troquer avec une aisance toute naturelle le treillis militaire pour le pagne, le pagne pour le jean ou le pantalon en toile et le T-shirt assortis.

Vrai, ce portrait ne correspond cependant pas à la condition de l’écrasante majorité des femmes burkinabé, loin s’en faut. Fatou a suivi les cours de l’école de police de Ouagadougou : elle est célibataire, sans enfant, indépendante économiquement et libre intellectuellement : « Oui, je suis une femme libre » me dit-elle presque à regret, « je n’ai jamais eu à souffrir de la domination d’un homme, ni au sein de ma famille, ni ailleurs. Je suis libre de m’exprimer, je peux tenir tête à un homme, on peut discuter de politique ou d’autre chose et je ne suis pas tenue par avance de le croire sur parole. Mais je sais que certaines femmes croient tout ce que les hommes leur disent. Moi, je n’accepterai jamais cela. Sur ce plan, je pense que je fais partie des femmes libérées. Mais il y a encore beaucoup, beaucoup à faire. »

Il y a en effet beaucoup à faire dans ce pays où deux caractéristiques globales permettent de saisir d’emblée la condition des femmes. La première est d’ordre général : les femmes burkinabé, comme l’ensemble des femmes africaines, prennent une part active aux activités économiques des pays africains. Une étude de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique a montré par exemple que les femmes africaines ont fourni la moitié de la production alimentaire en 1984. La seconde concerne les femmes du Faso en tant qu’elles appartiennent à un pays quasi exclusivement rural (la population active se situe essentiellement dans les campagnes qui pourvoient à 90 % des exportations), pauvre et structurellement arriéré.

Les femmes  faut-il le rappeler ?  subissent plus que les, hommes les conséquences du sous-développement économique et socioculturel. Soulignons que le taux de scolarisation au Burkina Faso est un des plus faibles du monde  moins de 20 %  et qu’il est encore plus faible en ce qui concerne les enfants de sexe féminin. En 1983, celui-ci constituait 37 % des effectifs dans le primaire, 34,5 % dans le secondaire et 22,9 % à l’université. Quant à l’analphabétisme, il touche 92,5 % de la population totale et 98 % des femmes, alors que celles-ci représentent 55 % de la population du pays (1).

Lorsqu’elles arrivent à poursuivre un minimum d’études leur offrant la possibilité de postuler un emploi de type moderne, les femmes sont confinées  ce n’est pas spécifique à l’ex-Haute-Volta  dans des secteurs qui leur sont traditionnellement réservés (santé, enseignement, essor familial, secrétariat) et dans des postes subalternes où leur promotion se heurte à davantage de difficultés que celle des hommes. La discrimination, tant au niveau des recrutements qu’à celui des salaires, est un fait également reconnu. « Certains, notait récemment le Comité de coordination et de sensibilisation des femmes révolutionnaires, sont contre le travail des femmes parce que des hommes ne trouvent pas d’emploi : c’est assimiler la femme à une roue de secours que l’on utilise quand on veut

De toute évidence, ce sont toutefois les paysannes qui vivent les conditions les plus pénibles. La dure bataille pour la survie focalise l’attention et l’énergie des millions de paysannes pour lesquelles la vie, malgré les couleurs chatoyantes de leurs pagnes et leurs palabres qui ravissent le visiteur venu d’ailleurs, est un long chemin de croix — ce qui est une façon de parler, puisque l’espérance de vie au Burkina Faso est de 32 ans. Dans le court récit qui suit, relatant la journée-type d’une femme de l’ethnie gouin à proximité du village de Tangrela, au sud-ouest du pays, nous sommes loin des images exotiques destinées à susciter l’attendrissement sur une hypothétique « authenticité » conservée intacte :

« A trois heures du matin, elle se précipite sur le puits qu’en saison sèche il faut aller chercher de plus en plus loin. De retour, elle pile le maïs pour en retirer le son, le lave afin qu’il gonfle, prépare le repas à emporter aux champs. Part aux champs. Au coucher du soleil, elle revient plus tard que les hommes, puisqu’elle doit ramasser le bois mort. Puis c’est la préparation du repas par le pilage du maïs apprêté le matin. Suivent les soins aux enfants, la vaisselle, le linge à laver, enfin le décorticage du maïs pour le lendemain » (2).

Et ce n’est pas fini. Outre ces activités, les femmes tiennent une place importante non seulement dans la production mais aussi dans la commercialisation des cultures vivrières. En effet, la polygamie étant très largement répandue, chaque femme contribue aux cultures des champs de son mari et, en plus, elle doit s’occuper de son champ personnel dans lequel elle fait pousser toutes sortes de légumes : gombo, haricot, oseille, piment etc. Les produits de ce champ, elle les vend elle-même sur le marché, l’argent gagné lui permettant de subvenir aux besoins de ses enfants.

Par ailleurs, certains travaux sont investis d’une signification religieuse et, de ce fait, incombent aux femmes, symboles de la fécondité : il s’agit des semailles et de la cueillette d’herbes et de fleurs qui servent à la préparation des sauces. Et quand, enfin, il lui reste un peu de temps « libre », la femme est accaparée par de nouvelles taches : ramasser la noix de karité et en extraire le beurre, filer le coton, aider à réparer les cases, préparer le savon traditionnel… Sans compter qu’un enfant en bas age est souvent là, accroché au dos de sa mère. Au total, quand l’homme se repose, dort ou va boire son dolo (boisson fermentée à base de mil), la femme continue et termine une journée qui mord largement sur la nuit.

On pourrait déduire de ce qui précède que les femmes jouissent d’un pouvoir étendu au sein du village et de la famille. Or, s’il est vrai qu’avant toute décision importante, l’homme, par un euphémisme révélateur, affirme « attendez d’abord » (sous-entendu : « Je vais consulter ma femme »), il n’en reste pas moins, ainsi que le constatait Thomas Sankara lors d’une interview, que « l’homme se comporte aux champs comme un contremaître et il regarde faire ses ouvrières ». Lé pouvoir des femmes  un certain pouvoir, en tout cas  existait dans la société traditionnelle. Mais aujourd’hui, avec la « modernité », il est devenu inexplicite, caché, en même temps qu’il s’est fragilisé.

Hier, le travail avait une valeur relationnelle, la communauté fonctionnait sur la base d’un ensemble de liens qui, même profondément marqués par des rapports de domination (les vieux sur les jeunes, les hommes sur les femmes, certaines familles sur d’autres), n’en structuraient pas moins un équilibre compensatoire. « L’un », aussi « petit » fut-il, était indispensable au « tout » et appréhendé comme tel par l’ensemble de la communauté. Avec l’introduction de l’économie de marché jusque dans les régions les plus reculées, le temps des femmes s’est trouvé de plus en plus accaparé par les hommes. Aujourd’hui, l’immense travail dit domestique que les femmes continuent d’assumer, étant donné l’arriération technique et le manque de ressources, est relégué au second plan : le salariat et la monétarisation l’ont profondément dévalué. De ce fait, les femmes des milieux ruraux ont beaucoup perdu de leur pouvoir et de leur autonomie, sans pour autant que leur mode de vie ait réellement changé. Mais, depuis quelques années, à partir d’initiatives diverses, les femmes ont commencé à se regrouper pour, sinon reconquérir un pouvoir perdu, du moins élever ensemble leur niveau de vie.

A Bogoya, par exemple, un groupement féminin s’est créé avec pour objectif immédiat d’unir les efforts des femmes du village pour obtenir des soins de santé primaire sur place. Jusque-là, les femmes enceintes devaient aller accoucher à l’hôpital provincial de Ouahigouya distant de sept kilomètres, une véritable expédition étant donné le mauvais état des routes et l’absence de moyens de transport. C’est avec l’aide d’une organisation non gouvernementale (l’Association  française des volontaires du progrès) et la participation des hommes, pourtant sceptiques au départ, qu’une maternité a été construite et un personnel minimum  une infirmière, une accoucheuse traditionnelle et une- pharmacienne villageoise — formé. Les femmes ont ensuite acheté un moulin ; fin 1984, elles avaient non seulement remboursé le prêt de 800 000 F CFA que leur avait accordé l’ORD (Office régional de développement) mais également accumulé une somme de 450 000 F CFA. Grace au moulin, les femmes s’exemptent de la tache du pilage et elles s’assurent un revenu en le louant (2 500 F par jour durant les bonnes périodes). Aussi se sont-elles ensuite attaquées â la construction d’une banque de céréales en dur. Ce groupement a d’ailleurs reçu pour l’année 1984 le premier prix dans sa catégorie dans le cadre du concours agricole organisé par le Conseil de l’Entente (3).

Autre exemple : dans le Yatenga (nord du Burkina), les femmes se sont engagées avec une telle énergie dans un programme d’auto-développement régional qu’aujourd’hui on appelle cette expérience « le barrage des femmes » (4). Ici c’est un problème ô combien dramatique qui a galvanisé les énergies féminines, l’eau. Comment ne pas comprendre que les femmes, plus que les hommes, sont sensibles à la pénurie d’eau quand c’est à elles que revient la tache de transporter à longueur d’année des canaris (5) de 25 à 30 litres ou qu’elles voient périr sous leurs yeux des nourrissons malades parce que « l’eau c’était la boue, des fois on mettait de la cendre pour faire descendre la boue ».

Devant les atermoiements des hommes, les femmes du groupe Naam (une ONG locale) se sont mobilisées, menaçant leurs maris de retourner chez elles s’ils ne voulaient pas construire le barrage. C’était en 1979. En 1981, tous, femmes et hommes, s’attelèrent à la construction du barrage ; celui-ci, avec l’aide de l’UNICEF, a coûté environ 20 millions de F CFA dont la moitié provenait de la contribution des villageois eux-mêmes en nourriture, matériel et main-d’oeuvre  alors que l’État dépensait en moyenne 500 millions de francs pour des ouvrages équivalents. On dit que le dernier jour des travaux a été célébré « par une fête et des danses ; Minata, l’initiatrice du projet, chanta les plantes et les arbres qui naîtraient autour du barrage » (6).

Comment, dans ce contexte, les préjugés ont-ils été surmontés ? Les réponses paraissent claires : d’une part, sur la base du fait que de tels groupes existaient dans la société mossi traditionnelle ; sous une forme différente bien entendu, les- groupes Naam, émanation de la culture mossi, sont considérés « comme des structures transitoires vers des coopératives modernes ». L’expérience s’ordonne donc autour du respect et de la mise en valeur des traditions socio- culturelles locales. D’autre part, on privilégie l’utilisation des ressources locales en faisant le moins possible appel aux fonds extérieurs, et on donne aux femmes une représentation égalitaire aux positions économiques clés : le Comité directeur du projet est constitué de six hommes et six femmes, et les femmes, orientées par des animatrices originaires de la région et formées par l’ONG, participent à d’autres activités (économiques, éducatives, sociales, récréatives).

Ce genre de démarche réunit de sérieux atouts pour « promouvoir la participation égalitaire des femmes aux activités liées à l’eau et à l’hygiène au sein d’un programme général de développement rural » (7). Aujourd’hui, cinq autres barrages sont en construction et le « moulin père » a donné des « soeurs moulins » et des « fils moulins » (8). En effet, mettant à l’ordre du jour une tradition de solidarité mossi, le groupe qui reçoit le premier le don d’un moulin en donne à son tour le prix d’achat à un autre groupe et ainsi de suite… Décidément, quand les valeurs positives de la tradition sont intelligemment exploitées et que les femmes s’en mêlent, même les moulins font des petits. Reste à espérer que dans les mois et les années à venir, un bilan exhaustif soit réalisé de ces expériences disséminées et mal connues.

Pour l’heure, d’autres sujets, tout aussi complexes, sont clairement mis à l’ordre du jour. L’excision, sujet tabou sous d’autres cieux, a longuement été abordée, notamment à l’occasion de la Semaine nationale de la femme qui s’est déroulée au mois de mars 1985 à Ouagadougou. L’hebdomadaire Carrefour africain, dans un dossier intitulé « Un égoïsme déguisé », notait que l’excision « vise en fait à diminuer le désir sexuel chez la femme de façon à s’assurer sa fidélité » et à « s’opposer à son émancipation », manière franche d’aborder la question. Mais l’hebdomadaire rapportait également toutes les conséquences physiologiques négatives ainsi que les croyances qui s’inscrivent dans cette pratique. « Chez les Gour-manche et les Lobi, par exemple, qui vivent aux confins du Burkina, de la Côte-d’Ivoire et du Ghana, le clitoris est considéré comme un organe masculin qu’il convient d’éliminer afin de rendre à la fillette toute sa féminité. » Et un gynécologue burkinabé de mettre en garde : « Les justifications de l’excision sont certes ambiguës, mais le fait qu’elle entre souvent dans un ensemble de rites liés à la maternité nous oblige à la plus grande prudence… » (9). Aussi, en ce domaine plus particulièrement, les autorités se refusent à juste titre à croire qu’un simple décret résoudrait le problème. Dans cette perspective, il ne s’agit pas d’aller en croisade contre l’excision, mais de promouvoir des actes qui permettent de transformer progressivement les mentalités : on parle d’organiser un forum-débat sur la question avec les responsables des cultes ou tous ceux qui ont une grande influence sur les communautés, et surtout de faire de l’éducation sexuelle une partie intégrante des programmes scolaires et de santé primaire. Plusieurs signes montrent, en outre, qu’on  assiste peut-être au début de la fin de cette pratique mutilante et douloureuse. De nombreux jeunes expriment de plus en plus ouvertement leur hostilité à l’excision et, fait significatif, le caractère solennel du cérémonial semble se perdre. Enfin, l’urbanisation constitue un facteur déterminant dans la décroissance du nombre de femmes excisées : ainsi, sur 1 411 femmes examinées en 1979 dans 14 dispensaires urbains, 623 seulement, soit 44 % étaient excisées, taux nettement inférieur à celui des campagnes (10).

La dot, ce « marchandage » des femmes, le mariage forcé, la polygamie et la nécessité de promulguer un code de la famille qui protège juridiquement la femme, suscitent aussi des débats, parfois houleux, souvent contradictoires. Les hommes burkinabé ne sont probablement pas plus machistes que d’autres. Mais les privilèges auxquels ils se sont accoutumés les empêchent d’appréhender la libération des femmes comme une auto-libération. Ainsi, lors d’un débat dans la province du Komoé, Aicha Traoré, du Secrétariat national des CDR, déclara devant la foule et en dioula, la langue régionale : « Les femmes ne sont pas des bêtes de somme qu’il faut livrer à des hommes qui ont les moyens et qui en feront par la suite des esclaves ». Lors de la discussion qui suivit, plusieurs hommes s’insurgèrent contre de tels propos et l’un d’entre eux intervint pour dire qu’« une femme qu’on n’achète pas ne vous respecte pas » ; d’autres firent remarquer que, dans un village de la province, précisément, « 3 500 jeunes sont effectivement en dehors du village à la recherche de 500 000 francs pour pouvoir se ° marier ». A titre d’exemple, la femme turka (ethnie située dans le sud-ouest du pays) est, semble-t-il, la « plus chère » du Burkina : « Dès l’age de six ans, la future femme est retenue et il faut 10 000 francs chaque hivernage jusqu’à l’age de seize ans » (11). La dot qui avait un caractère symbolique dans les temps anciens (sous forme de cauris) est devenue aujourd’hui excessivement élevée dans certaines régions et conduit à des conséquences dramatiques comme l’« exil » et l’exode rural auxquels faisaient référence les propos précédents—,mais  aussi, pour les jeunes filles, le mariage forcé. Les vieux, dit-on, n’entendent pas « livrer » leur fille à vil prix au premier prétendant venu. Aussi force-t-on les filles à se marier à des hommes qu’elles n’ont pas choisis, parfois des vieil- lards plus ou moins fortunés. La fuite devient donc le seul recours pour échapper au calvaire. Ainsi, à Saponé, rapporte une institutrice, une soixantaine de « fugitives » ont trouvé refuge auprès des soeurs d’une mission catholique. Ces jeunes filles souffrent profondément de la rupture avec le milieu familial qui les bannit presque systématiquement du village, jusqu’au jour où, revenant mariées selon leur propre choix, des gamins dans les bras, elles se réconcilient avec leur famille (12).

 

Tout aussi difficile à abolir est la polygamie, dans la mesure où la famille polygame correspond à une structure socio-économique nécessitant des bras nombreux pour travailler. « Lorsque nous arriverons à doter chaque paysan d’une charrue, cela fera déjà avancer un peu » déclarait à ce propos Pierre Ouédraogo, secrétaire général national des CDR. Néanmoins, lors de la Semaine nationale, qui regroupait des femmes venues de toutes les provinces, un consensus s’est dégagé pour que « la monogamie soit la règle et la polygamie l’exception… (que) l’option entre la polygamie et la monogamie (s’effectue) en présence des deux futurs époux ». Enfin, parmi les résolutions adoptées au cours de cette Semaine, une recommandation juridique a été votée demandant que le projet de code de la famille (élaboré dans les années soixante-dix) soit concrétisé.

 

Devant la multitude des questions demandant réponse (nous n’avons pas abordé ici les problèmes de la prostitution féminine, du lévirat que les femmes contestent depuis longtemps, du recouvrement des pensions alimentaires en cas de divorce ou de séparation, etc.) le pouvoir burkinabé a adopté une philosophie articulée autour de trois démarches complémentaires : affirmation résolue des droits des femmes, volontarisme aux allures parfois « folklori, ques », mesures concrètes et comportement mesuré.

Dès le « Discours d’orientation politique » du 2 octobre 1983, qui constitue le premier document à la fois programmatique et d’analyse du régime instauré par le CNR, « la politique de la femme » est placée en bonne position, après « l’armée nationale » et avant « l’édification économique », dans le chapitre consacré à « la révolutionarisation de tous les secteurs de la société voltaïque ». Après référence aux souffrances « doubles » que les femmes vivent, il est dit que « la révolution démocratique et populaire créera les conditions nécessaires pour permettre à la femme voltaïque de se réaliser pleinement et entièrement. Car, serait-il possible de liquider le système d’exploitation en maintenant exploitées ces femmes qui constituent plus de la moitié de notre société ? D. Si l’on retrouve ici l’argument classique d’un discours marxiste qui n’a pas toujours amené les femmes à poser et à résoudre leurs problèmes spécifiques, et les traces d’une perception instrumentale du potentiel féminin, le président Sankara, quant à lui, ne rate jamais l’occasion d’évoquer de manière moins « codée » et bien plus alerte, la condition des femmes et la nécessité absolue de leur libération :

« Femmes dominées par les hommes qui sont eux-mêmes dominés, c’est là un problème complexe, nous n’avons pas fini de nous libérer de nous-mêmes… La femme vit dans une sorte d’univers carcéral avec lequel elle a appris à composer depuis des années et des années. Imaginez-vous ce que le monde serait avec des femmes libres ? (…) L’infériorisation va jusqu’aux marques physiques. Ne parlons pas des expressions qui trahissent l’inféodation des femmes aux hommes ; ne dit-on pas d’une femme qui parle bien qu’elle parle comme un homme ? » (13).

Position de principe, donc, mais aussi volontarisme que d’aucuns ont pu juger folklorique. Ainsi, le slogan par lequel on conspue « les maris pourris », la journée du marché au masculin (destinée à faire connaître aux hommes les prix des denrées alimentaires), comme les deux ou trois rencontres-débats entre Sankara et les femmes, ont créé un climat positif pour les femmes, une sorte de caution par le haut pour les inviter à s’exprimer et à agir. Ces manifestations, plus spectaculaires que profondément efficaces, ont cependant le mérite d’installer le doute sur les habitudes de pensée et de susciter le débat à la base.

Enfin, des mesures ont été prises dont l’une concerne l’instauration de ce qu’on appelle à Ouagadougou le « salaire vital ». Il ne s’agit ni plus ni moins que de prélever sur les salaires des hommes mariés une somme (le tiers dit-on) qui sera versée directement à l’épouse. Pourquoi une telle mesure ? Elle se justifie par le fait que les problèmes liés notamment à l’éclatement de la famille traditionnelle et aux conséquences psycho-sociologiques qui en découlent amènent de nombreux pères de famille à s’adonner à l’alcoolisme ou à entretenir des « maîtresses » (une prostitution illégale ou déguisée répandue rendant la chose « facile »), laissant dans un dénuement plus ou moins total épouses et enfants. Pour le capitaine Sankara, « l’État ne contraint personne au mariage, mais exige que celui qui fonde un foyer assume ses responsabilités. Nous devons nous mettre à la place de nos hommes et de nos fem- mes. Il y a des hommes qui transforment leurs femmes en bonnes à domicile, leur refusant cependant jusqu’au salaire de bonne, et dissipent en futilités l’argent destiné au foyer. Ce qui, du point de vue de la morale simple, est amoral, est pour la révolution démocratique populaire inacceptable » (14).

Des mesures d’accompagnement doivent être arrêtées pour mettre en pratique (ce qui ne sera pas très simple, étant donné le nombre probable de cas de figure) cette décision dont les mouvements féministes n’auraient pas eu à rougir. Certains crieront à l’atteinte aux libertés, à l’ingérence de l’Etat dans la vie privée ; d’autres y verront un acte courageux destiné à protéger des milliers de femmes et d’enfants de la misère matérielle. Ce n’est peut-être pas insignifiant dans un pays où les salariés constituent objectivement une couche privilégiée par rapport au dénuement du monde rural qui, lui, nourrit la ville.

Les questions démographiques ont également été étudiées et un plan d’action pour la planification familiale adopté par le gouvernement. Là encore, l’approche veut tenir compte des réalités du pays. L’augmentation démographique  25°/00  est relativement élevée, mais elle n’est pas aussi préoccupante que dans d’autres pays, dans la mesure où, avec sept millions d’ames pour une superficie de 274 000 km2, la densité reste faible. Les Burkinabé entendent promouvoir une politique d’espacement des naissances dont les indispensables corollaires sont : un changement des mentalités face à la procréation (conçue comme un don de Dieu et comme la génération d’une main-d’oeuvre disponible), une plus grande attention à la vie des mères (5 à 6 % des femmes meurent à la suite de couches trop rapprochées ou trop nombreuses) et une action sur la mortalité infantile (182 enfants sur 1 000 meurent avant l’age d’un an faute de soins élémentaires ou à cause de la malnutrition et des maladies) ; ce plan envisage aussi l’abrogration de la loi de 1920 sur l’interdiction absolue de l’avortement et de la diffusion des moyens contraceptifs.

Pour terminer, il nous suffira d’évoquer l’accession de plusieurs femmes à des postes de responsabilité élevés.: au niveau gouvermental (trois détiennent actuellement des portefeuilles ministériels, dont celui du budget), comme au niveau de l’administration territoriale (dont une femme à la préfecture de Bobo-Dioulasso, la capitale économique du pays, et une autre au secrétariat général de la mairie de Ouagadougou), socio-politique (secrétariat général des CDR) ou haute fonction publique.

Cependant, et en dépit d’indéniables progrès, peu de choses ont véritablement changé dans la condition générale et profonde de la vie de la majorité des femmes. Mais tout ce qui se dit même dans la contradiction et la contestation qu’expriment les femmes quand elles le jugent nécessaire et tout ce qui se fait ,depuis deux ans et quelques mois laisse à penser que le destin des femmes a quitté le sentier du tabou, de l’exploitation et des souffrances tues, de l’indifférence et du « béni-oui-ouisme D. L’avenir statuera.


(1) Chiffres cités par le représentant de l’Association burkinabé pour les Nations Unies, Semaine nationale de la femme, Ouagadougou, 1-8 mars 1985.

(2) Collectif Tiers monde de Poitiers, Regards sur la Haute-Volta, Poitiers, 1981, p. 92.

(3) Sur cette expérience, cf. Carrefour africain 861, 14 déc. 1984.

(4) Cf. à ce sujet S.-Y. Yoon, « Le barrage des femmes. Les femmes mossi du Burkina Faso », Revue Tiers monde 26 (102), avr. juin 1985, pp. 443-449.

(5) Récipients de fabrication locale.

(6) S.-Y. Yoon, op. cit., p. 445.

(7) Ibid., p. 448.

(8) Ibid.

(9) Carrefour africain 874, 15 mars 1985.

(10) Chiffres cités par Libération, 18-19 mai 1985.

(11) Carrefour africain 817, 10 fév. 1985.

(12) Carrefour africain 832, 25 mai 1984.

(13) Interview de T. Sankara réalisée à Ouagadougou en mai  1984 pour un reportage télévisé, co-produit par les télévisions algérienne et burkinabé et coordonné par R. Vautier.

(14) Discours prononcé à l’occasion du deuxième anniversaire de la révolution, Ouagadougou, 4 août 1985.

Christine Benabdessadok

Cet article “Femmes et révolution ou comment libérer la moitié de la société” un article de C. Benabdessadok est apparu en premier sur Thomas Sankara.

“Une nouvelle phase de la révolution au Burkina Faso” un article de Pascal labazée

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Cet article est extrait du numéro 24 du mois de décembre 1986 de la revue Politique Africaine. Vous pouvez en charger une version PDF sur le site de la revue à l’adresse www.politique-africaine.com
Auteur : P. Labazée

Une nouvelle phase de la révolution au Burkina Faso

Pronnoncé depuis Ouagadougou par le capitaine Sankara (président du Conseil national de la révolution), le discours-anniversaire du 4 août 1986 n’a guère été suivi par les 7,2 millions de paysans burkinabè, mobilisés depuis un mois par les travaux agricoles. Dans l’immédiat, leurs préoccupations vont plutôt aux menaces que les insectes prédateurs font peser sur les cultures qu’aux subtiles analyses d’un pouvoir qui, depuis trois ans, s’obstine à les définir comme une composante économiquement et culturellement arriérée de la petite bourgeoisie (1). Par contre, le message présidentiel était particulièrement attendu des salariés urbains, qui en espéraient l’annonce d’un allègement des mesures d’austérité en vigueur depuis 1984. Si cet espoir a été déçu, le discours de l’An III confirme pourtant que la révolution est entrée dans une ère nouvelle, sous la pression de la fraction dominante du CNR composée essentiellement de l’Organisation militaire révolutionnaire et malgré les résistances des trois autres groupes politiques qui y sont officiellement représentés (2).

Au plan politique d’abord, les Comités de défense de la révolution (CDR), jusqu’alors relais exclusifs des dirigeants, ont perdu le monopole de la représentativité populaire : de nouvelles organisations de masse encadrant les jeunes, les femmes et les « anciens du Burkina » consolideront les bases du régime. Au plan des alliances sociales ensuite, le président du Faso a lancé un appel aux commerçants et industriels et rappelé les récentes mesures prises en leur faveur, tandis que la mendicité, la prostitution et la délinquance juvénile constituent désormais les axes prioritaires de la lutte sociale. Enfin, le capitaine Sankara a souhaité élargir le cercle des pays amis, qui s’était révélé singulièrement restreint lors du conflit armé qui avait opposé le Burkina au Mali, en décembre 1985.

Certes, l’allocution présidentielle évoque par quelques formules la rigueur du combat anti-impérialiste et de la lutte des classes. Mais son contenu prend acte des deux échecs majeurs de l’expérience révolutionnaire : échec de la réforme autoritaire des hiérarchies et structures sociales notamment villageoises pourtant sommées de se conformer au modèle idéal conçu par le CNR ; échec dans la constitution d’un espace militaire, politique et économique composé des États progressistes de la sous-région.

Trois années de révolution : la montée des résistances sociales

Récemment établi, le bilan du Programme populaire de développement (7 800 chantiers, ruraux en majorité, à réaliser entre octobre 1984 et décembre 1985) confirme que la paysannerie s’est largement mobilisée sur des opérations de dimension réduite visant à restaurer les conditions de la production agricole (maîtrise de l’eau, aménagement des terroirs) ou â développer les infrastructures de base en matière d’éducation et de santé primaire (3). Mais les résistances ont été profondes dès que les dirigeants ont tenté d’investir les CDR de village des principaux pouvoirs exercés par les hiérarchies coutumières, et de modifier les règles d’attribution et d’exploitation des sols.

Dès 1984, l’exercice du pouvoir administratif est revenu aux jeunes militants des Comités villageois. Ultérieurement, ceux-ci ont obtenu un pouvoir répressif étendu — depuis la saisie de terres et de bétail, jusqu’au droit de sanction collective infligée aux villages — lorsque les trois luttes ont été engagées (4). Enfin, les CDR sont devenus les détenteurs de l’autorité judiciaire depuis que chaque village est doté d’un Tribunal populaire de conciliation chargé de juger les délits mineurs et « tout comportement antisocial » même non défini par la loi. Plus généralement, il revient aux bureaux des CDR de « conscientiser » la paysannerie burkinabé et de « solutionner les problèmes du monde rural ». Or, il semble que les paysans soient finalement parvenus à intégrer, dans leurs pratiques sociales et leurs hiérarchies, l’institution nouvelle et son autorité multiforme. Bien souvent en effet, les villages ont élu aux bureaux des CDR les fils des chefs traditionnels ; dans d’autres cas, en particulier dans l’Ouest du pays, les militants des Comités ont préféré le compromis à l’épreuve de force avec les autorités lignagères, se limitant aux tâches d’édification et d’entretien d’ouvrages collectifs. Enfin, nombre de responsables des CDR, ayant refusé de composer avec le pouvoir coutumier, ont été contraints de fuir des villages devenus hostiles (5). En outre, les agriculteurs ont su employer les moyens répressifs des Comités pour résoudre les habituels conflits qui les opposent aux éleveurs ; les multiples exemples de saisie et d’abattage arbitraire de bétail (rendus possibles par la réglementation relative à la lutte contre la divagation des animaux) rendent compte de la marginalisation croissante de l’élevage burkinabè (6), qu’accélère d’ailleurs l’augmentation régulière des surfaces cultivables au détriment des zones de pâturage.

Promulguée en août 1985, l’Ordonnance de réorganisation foncière devait révolutionner les pratiques économiques villageoises en leur point le plus sensible : la gestion des terroirs. Fondée sur la constitution d’un Domaine foncier national dont l’État est seul propriétaire, la réforme donnait à une Commission d’attribution des sols, où siègent de droit les responsables CDR des villages, le pouvoir de répartition des champs de culture. Mais, faute de correspondre aux contraintes régionales et aux besoins des agriculteurs, cette réforme s’est vite révélée inapplicable : dans les régions à forte densité de population — par exemple dans les provinces du pays mossi qui comptent de 40 à 180 habitants au km’ —, les militants des Comités n’ont pas souhaité intervenir dans la gestion des fragiles équilibres fonciers qui restent ainsi aux mains des chefs de terre. Même échec dans l’Ouest burkinabè, pour des raisons toutefois différentes : les terroirs sont au coeur de nombreux litiges opposant les communautés autochtones à celles des migrants mossi, que les CDR ne sont guère pressés de trancher au risque de les transformer en affrontements (7).

En déclarant inadaptées les pratiques sociales villageoises et irrationnelle leur organisation économique, les dirigeants se sont finalement engagés dans une impasse. Impasse liée au rejet, par les paysans, des formes supposées supérieures d’organisation de la production : ainsi l’exploitation des 1 500 ha irrigués de la plaine de Douna (province de la Comoé) oppose l’État, qui compte y développer des cultures commerciales au sein d’exploitations collectives, aux 20 000 paysans gouin, turka et sénoufo attachés aux parcelles familiales. Même conflit pour le projet Sourou (16 000 ha aménagés, devant assurer 10 % de la production céréalière nationale), bien qu’ici les responsables aient enfin renoncé à les exploiter en fermes d’Etat, compte tenu du refus catégorique des agriculteurs concernés. Impasse liée à la mise en oeuvre d’un ensemble de réalisations coûteuses, prétendus symboles de la modernité et du progrès, mais au bout du compte, sans rapport avec les priorités que se reconnaissent les paysans. Ainsi, afin de démocratiser l’électricité dans les campagnes, six provinces ont été dotées de centrales thermiques qui produisent l’énergie la plus chère du monde, inaccessible aux villageois. Le déficit induit, estimé à 150 millions de F CFA, devrait être résorbé par une hausse des tarifs urbains et par la réduction des salaires versés aux agents de la Société nationale d’électricité.

« Rien n’a changé, c’est le même pays, la même poussière, la même misère, les mêmes constructions de terre séchée » déplorait le capitaine Sankara, il y a un an. Le constat est excessif, si l’on s’en remet au dynamisme dont ont fait preuve les sociétés rurales lorsqu’étaient en jeu des P. LABAZEE

projets de développement coïncidant avec leur stratégie de survie. Mais il est exact, s’il se rapporte au contrôle social de la paysannerie, qui a trouvé dans ses hiérarchies l’outil de la résistance.

Ultime revers de la politique agricole du CNR : le relèvement du prix d’achat des produits agricoles (12 % l’an en moyenne) a fait bondir le niveau des récoltes destinées à la vente en 1985/1986 ; mais, faute de débouchés solvables et plus encore d’une infrastructure commerciale cohérente, les paysans ont dû se résoudre à voir pourrir les surplus. En stimulant la production sans en assurer le rachat, les dirigeants ont à la fois avivé l’inflation urbaine et alimenté le circuit commercial spéculatif sans pour autant réduire le déficit céréalier (165 000 tonnes en 1985).

Mécontentements et démobilisation sont plus sensibles encore dans les centres urbains. Certes, un apparent unanimisme a été obtenu en éliminant du débat politique l’ensemble des partis d’opposition et en contestant aux centrales syndicales leurs moyens d’action comme leur légitimité. Des formes passives de résistance au pouvoir se sont néanmoins développées, qu’expliquent la réduction du pouvoir d’achat des salaires (30 % par rapport à 1982), la récession économique urbaine (8) et le discrédit des CDR où l’opportunisme politique est devenu le plus simple moyen d’accéder aux postes de pouvoir et de disposer d’une autorité répressive sur la population.

Dans les administrations et les services para-publics, les bureaux des Comités ne parviennent plus guère à imposer la présence des salariés aux réunions, aux entraînements sportifs obligatoires, aux travaux collectifs sur les champs de la fonction publique. Même constat pour les Comités de quartier, qui mobilisent une fraction restreinte des populations sur les tâches d’aménagement. Plus grave pour la mise en oeuvre des projets de développement est l’expatriation d’intellectuels, de cadres administratifs et de techniciens, due à l’écart croissant entre les taux des salaires burkinabè et ceux des États côtiers. De même, la compression des salaires urbains est à l’origine de la crise de conscience que traverse le mouvement lycéen depuis quelques mois : en rendant plus difficile la poursuite de cycles longs, et moins valorisante la promotion sociale attachée aux diplômes, la politique de rigueur compromet les stratégies personnelles des élèves, qui constituent pourtant l’assise principale du régime en ville. En février 1985, l’agitation scolaire aboutissait à la fermeture des principaux établissements de la capitale.

Les oppositions politiques et syndicales ne peuvent certes coordonner ces formes diffuses de contestation urbaine. Du moins disposent-elles désormais d’une expérience de la clandestinité, et des actions par coup de force d’autant plus efficaces qu’elles bénéficient de soutiens dans un appareil militaire pourtant épuré depuis novembre 1983. En témoigne la BURKINA FASO

double explosion des poudrières de Bobo-Dioulasso et Ouagadougou (mai 1985), qui complète une liste déjà longue d’attentats visant directement les forces armées révolutionnaires.

Un révélateur : le conflit Mali-Burkina

En décembre 1985, la brusque résurgence d’un litige frontalier qui, depuis vingt ans, oppose le Mali au Burkina aura révélé l’ampleur de la crise sociale à la composante militaire du CNR. Trois villages situés sur l’étroite bande frontalière de l’Agacher sont au coeur du conflit : leur population est en majorité composée d’agriculteurs d’origine malienne, tandis que les territoires si l’on s’en remet aux tracés cartographiques de la colonisation, sont burkinabè. L’opposition entre conceptions sociologique et topographique de la Nation avait, dès 1974, fourni le prétexte à une guerre dont l’enjeu réel était alors d’ordre économique (9). En 1985, par contre, le litige frontalier revêt manifestement une signification politique : pour le général Traoré, il s’agissait de désamorcer les tensions sociales dans la fonction publique malienne dont le Trésor n’assurait plus le règlement des salaires depuis octobre et d’en finir avec un voisin que plusieurs États ouest-africains jugent compromettant pour la stabilité politique de la sous-région.

Au-delà du déroulement militaire du conflit, la guerre de Noël a révélé les faiblesses du régime burkinabè sur trois points. D’une part, les alliances conclues par le Burkina avec les pays frères depuis 1983 n’ont guère résisté à l’épreuve. Certes, le capitaine Sankara savait ne pas pouvoir disposer d’un soutien efficace de la Libye : les relations entre les deux Etats s’étaient dégradées depuis qu’en avril 1985 le Burkina avait déploré la médiocrité de l’assistance au développement que fournit Tripoli et refusé le paiement du matériel militaire livré à l’armée burkinabè par le colonel Kadhafi. Mais, en outre, l’Algérie n’a que peu contribué à apaiser les ardeurs belliqueuses du général Traoré. Toutefois, l’isolement diplomatique burkinabè devait être total lorsque le président Rawlings, engagé dans une délicate expérience de redressement économique financée par la Banque mondiale et le FMI, se contenta d’un vague appel au calme en direction des deux pays, évacuant implicitement toute mise en oeuvre des accords militaires qui, depuis novembre 1983, lient Burkina et Ghana et constituent le premier acte vers la formation d’un front de pays progressistes ouest-africains.

D’autre part, en ouvrant un front militaire à Koloko et Faramana (villages situés à l’ouest et au nord de Bobo-Dioulasso), les forces maliennes visaient à radicaliser les oppositions diffuses des populations de l’Ouest burkinabè vis-à-vis du CNR. Jamais, en effet, les responsables CDR ne sont parvenus à mobiliser la deuxième ville du pays (souvent qualifiée de « réactionnaire ») dont les habitants, en majorité musulmans, ont mal supporté les réquisitoires des premières heures de la révolution à l’encontre de l’Islam, et se reconnaissent de nombreux liens culturels, linguistiques et commerciaux avec la population malienne.

Enfm, la menace, nullement improbable, d’une résurgence du conflit pose au CNR une doublé question sur l’avenir de l’expérience révolutionnaire. Est-il possible de poursuivre les efforts d’investissement et d’assainissement budgétaire en maintenant les 8 000 soldats burkinabè en alerte ? Et quel soutien espérer d’une paysannerie devenue méfiante, et d’une petite bourgeoisie urbaine lassée par l’austérité ?

Vers une nouvelle stratégie politique

En mettant à nu l’isolement international et la fragilité de l’assise sociale des dirigeants révolutionnaires, la guerre de Noël a d’abord rendu précaire l’alliance entre les deux principaux courants du CNR. Pour les partis d’obédience stalinienne, l’agression malienne contraint à radicaliser le processus révolutionnaire et à accentuer « la conscientisation des niasses ». A l’inverse, les représentants de la composante militaire et nationaliste du Conseil privilégient désormais la voie du compromis politique. Dès le 3 janvier, le capitaine Sankara annonçait d’importantes mesures de clémence en faveur du colonel Saye Zerbo (chef de l’État voltaïque de 1980 à 1982) et de l’ex-président de l’Assemblée nationale Gérard Ouédraogo dont la popularité reste forte dans le nord du pays mossi. Ouverture politique complétée peu après par un volet syndical : sur les 1 600 instituteurs dégagés en mars 1984 pour fait de grève, 250 devaient être réintégrés. La composition sans principe de la liste des enseignants repris indiquait en outre que le CNR souhaitait revenir sur l’une des mesures les plus impopulaires de ses trois années de pouvoir.

Plus essentielle encore semble la reprise en main des CDR. En avril 1986, la première Conférence nationale des Comités donna au président du CNR l’occasion d’instruire le procès du bas niveau de formation des militants et des exactions commises par quelques « pillards », « tortionnaires » et « terroristes » contrôlant les structures de base. Parallèlement, le chef de l’État construisait l’ouverture en direction des détenteurs de l’autorité coutumière. Présenté comme un événement d’une « importance capitale pour la politique nationale », la création de l’Union nationale des anciens du Burkina (UNAB) faisait perdre aux CDR l’exclusivité du contrôle sur le débat politique et donnait implicitement au pouvoir gérontocratique le rôle de médiateur des sociétés rurales ; accessoirement, elle permettait de jeter un pont en direction de deux anciens dignitaires, nommés membres d’honneur : le premier président de Haute-Volta, Maurice Yaméogo, qui a gardé son influence sur la troisième ville du pays, et son successeur toujours respecté, le général Sangoulé Lamizana.

Commerçants et industriels trouvent aussi leur compte dans la réorientation en cours des alliances sociales. La restauration d’un « climat de confiance entre opérateurs économiques et pouvoirs publics », promise en fait dès juin 1985, a été réalisée en 1986, au prix d’un abaissement significatif des taxes douanières et surtout de la levée de l’ordonnance, en vigueur depuis janvier 1985, instaurant la gratuité de l’habitat locatif détenu dans sa quasi-totalité par les entrepreneurs nationaux. En outre, le Plan quinquennal de développement populaire 1986-1990 accorde une place déterminante à l’investissement privé local.

Deux arbitrages relatifs aux structures internes du premier plan quinquennal ont, du reste, été sévèrement jugés par la composante radicale du CNR. D’une part, le tiers des projets définis au niveau des villages et départements a été supprimé, afin de ne pas aggraver les charges internes de financement (qui représentent déjà 25 % des 90 milliards annuels d’investissements prévus). D’autre part, 85 % des ressources seront affectées à la production, les secteurs sociaux n’obtenant que 12 milliards de financement annuel ; choix décisif ; puisqu’il condamne le projet d’« École révolutionnaire » ardemment défendu par la tendance stalinienne du CNR. Son application, jugée coûteuse, aurait signifié à court terme la disparition de la coopération enseignante fournie par la France.

La réorientation de la stratégie du CNR n’est pas exempte de risques. Il n’est pas certain en effet que les anciens dignitaires et les responsables de l’opposition burkinabè s’engagent dans la voie du compromis ; ils peuvent au contraire utiliser l’ouverture en cours pour consolider leurs assises, notamment par les salariés urbains et leurs dépendants familiaux. En outre, les dirigeants ont créé un front nouveau de contestation géré par l’aile radicale du CNR, qui voit dans l’assouplissement des alliances sociales une compromission. L’audience des partis dont elle se compose reste confidentielle ; elle peut pourtant s’étendre parmi les militants des CDR, quelque peu désorientés par la brusque reprise en main de leur organisation.

Les responsables militaires disposent certes d’atouts pour contrôler l’évolution de la situation politique. En premier lieu, les oppositions restent divisées, tant sur les projets politiques que par les rivalités de personnes solidement forgées au cours de 23 années de formules variées de gouvernement. De plus, les dirigeants jouissent toujours dans les forces armées, parmi les hommes du rang, d’un prestige qui constitue leur principale garantie de longévité politique. Enfin, l’apparition depuis quelques mois de thèmes de mobilisation fondés non pas sur l’opposition entre « peuple » et « ennemis du peuple », mais sur la morale, les comportements, voire les moeurs, censés refléter l’idéal révolutionnaire, peut masquer aux yeux de nombreux militants CDR le changement des alliances sociales en cours.

Il reste que le soutien à terme de la paysannerie suppose probablement plus qu’une reconnaissance officielle de ses hiérarchies. Il est plus sûrement conditionné par l’abandon du regard, somme toute dévalorisant, que les États portent habituellement sur leurs paysans ; or, les dirigeants burkinabé ne semblent pas avoir renoncé à l’image d’un monde villageois hors du temps et peu conscient de ses intérêts. En s’adressant aux anciens dignitaires et aux responsables coutumiers, la politique d’ouverture fait, une fois de plus, l’économie d’une mise en question des analyses de classe et des représentations sociales du CNR.

Septembre 1986



(1) Cf. T. Sankara, Discours d’orientation politique, Ouagadougou, Ministère de l’information, octobre 1983, pp. 18-19.

(2) En mai 1986 était publiée la liste des 4 organisations membres du CNR : l’Organisation militaire révolutionnaire (nouvelle appellation du Rassemblement des officiers communistes) que dirige le capitaine Sankara ; l’Union des luttes communistes (ULC), mouvement prochinois reconstruit en 1984 ; l’Union des communistes burkinabé (UCB) rassemblant quelques militants prosoviétiques ; enfin le Groupe des communistes burkinabé (GCB) issu de la scission d’un mouvement pro albanais, le PCRB.

(3) Le taux de réalisation du PPD a été de 70 %, les plus notables succès étant enregistrés sur les petits chantiers associant étroitement les paysans.

(4) Luttes contre la déforestation et contre les feux de brousse responsables de la rapide dégradation du couvert végétal ; lutte contre la divagation des animaux.

(5) Les armes de la résistance auront été diversifiées et d’une efficacité variable. Mais la sorcellerie est restée l’un des plus tards moyens de préserver l’ordre social. Cf. M. Duval, Un totalitarisme sans État. Essai d’anthropologie politique à partir d’un village burkinabè, Paris, L’Harmattan, 1985.

(6) L’élevage n’assure plus que 13 % des recettes d’exportation (contre 48 % en 1978). Le président du Faso reconnaissait récemment (Jean Ziegler, Sankara, un nouveau pouvoir africain, P.M. Favre, 1986,

p 82.) les risques liés à une réglementation répressive en la matière.

(7) Cf. B. Tallet, « Espaces ethniques et migrations », Politique africaine 20, déc. 1985, pp. 65-78.

(8) Fin 1985, 16 établissements d’envergure nationale sur 67 avaient cessé toute activité, 32 connaissaient de graves difficultés. Le secteur du bâtiment était particulièrement touché, qui en un an perdait 50 de son chiffre d’affaires et 30 % de se Effectifs employés. La dépression est en outre aggravée par la forte réduction de l’assistance financière internationale (160 millions de dollars en 1985, soit 22 par rapport à 1982).

(9) Il s’agissait alors de contrôler les d’autre de la frontière, qu’un consortium ressources minières (phosphates, calcaires à étranger se proposait de valoriser. ciment et manganèse) situées de part.

(10) Cf. T. Sankara, Discours d’orientation politique, Ouagadougou, Ministère de l’information, octobre 1983, pp. 18-19.

(12) En mai 1986 était publiée la liste des 4 organisations membres du CNR : l’Organisation militaire révolutionnaire (nouvelle appellation du Rassemblement des officiers communistes) que dirige le capitaine Sankara ; l’Union des luttes communistes (ULC), mouvement pro-chinois reconstruit en 1984 ; l’Union des communistes burkinabé (UCB) rassemblant quelques militants pro-soviétiques ; enfin le Groupe des communistes burkinabé (GCB) issu de la scission d’un mouvement pro-albanais, le PCRB.

(13) Le taux de réalisation du PPD a été de 70 %, les plus notables succès étant enregistrés sur les petits chantiers associant étroitement les paysans.

(14) Luttes contre la déforestation et contre les feux de brousse responsables de la rapide dégradation du couvert végétal ; lutte contre la divagation des animaux.

(15) Les armes de la résistance auront été diversifiées et d’une efficacité variable. Mais la sorcellerie est restée l’un des plus sûrs moyens de préserver l’ordre social. Cf. M. Duval, Un totalitarisme sans État. Essai d’anthropologie politique à partir d’un village burkinabè, Paris, L’Harmattan, 1985.

(16) L’élevage n’assure plus que 13 % des recettes d’exportation (contre 48 % en 1978). Le président du Faso reconnaissait récemment (Jean Ziegler, Sankara, un nouveau pouvoir africain, P.M. Favre, 1986,p 82.) les risques liés à une réglementation répressive en la matière.

(17) Cf. B. Tallet, « Espaces ethniques et migrations », Politique africaine 20, déc. 1985, pp. 65-78.

(18) Fin 1985, 16 établissements d’envergure nationale sur 67 avaient cessé toute activité, 32 connaissaient de graves difficultés. Le secteur du bâtiment était particulièrement touché, qui en un an perdait 50

de son chiffre d’affaires et 30 % de ses effectifs employés. La dépression est en outre aggravée par la forte réduction de l’assistance financière internationale (160 millions de dollars en 1985, soit — 22 par rapport à 1982).

(19) Il s’agissait alors de contrôler les ressources minières (phosphates, calcaires à ciment et manganèse) situées de part et d’autre de la frontiére, qu’un consortium étranger se proposait de valoriser.


P. Labazée
Sources : http://www.politique-africaine.com

Cet article “Une nouvelle phase de la révolution au Burkina Faso” un article de Pascal labazée est apparu en premier sur Thomas Sankara.

“Ouaga et Abidjan : divorce a l’africaine ?” un article de Y. A. Fauré

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Yves André Fauré

 Cet article est extrait du numéro 20 de la revue politique africaine parue en décembre 1985 (voir politique-africaine.com)

LORSQUE, le 4 août 1983, le Conseil de salut du peuple (CSP) (1) cède la direction politique du pays au capitaine Sankara, les choses paraissent devoir s’éclairer dans les orientations internes et dans les rapports diplomatiques entre Ouagadougou et Abidjan. La chasse aux fonctionnaires et militaires corrompus, les poursuites judiciaires diligentées contre les politiciens impliqués dans la vie publique passablement agitée qu’a connue le pays depuis l’indépendance, la lutte déclarée a la chefferie traditionnelle, l’austérité prêchée dans le fonctionnement de l’État et l’ascèse exigée de ses agents accréditent les options révolutionnaires du nouveau régime qui se sont déjà traduites, sur le plan de l’organisation politique, par la mise en place d’un Conseil national de la révolution (CNR) relaye dans le pays par les nombreux comités de défense de la révolution (CDR).

Les orientations externes redoublent ces options en prenant des accents ” anti-impérialistes ” et « non alignés », en consolidant les relations avec l’Algérie, la Libye, Cuba et le Ghana, en exigeant aussi, par exemple, du gouvernement français, en matière de coopération, une attitude plus conforme a un code de conduite socialiste (2). Il n’est pas jusqu’au lexique politique officiel (3) qui n’ait vocation a rendre compte de la réalité des engagements politiques, sociaux, idéologiques du régime et, en en rendant compte, a faire croire a cette réalité.

Certes, le front de la gauche voltaique se fissure vite avec le violent conflit qui oppose au gouvernement la CSB (Confédération des syndicats burkinabé) et le bloc au pouvoir paraît soudain moins monolithique avec la mise a l’écart du nouveau régime d’une des organisations qui l’avaient jusque là soutenu, la LIPAD (Ligue patriotique pour le développement) d’orientation marxiste-léniniste. Mais enfin, les orientations de l’après-août 1983 sont globalement réaffirmées et même, pour certaines d’entre elles, approfondies, et la foi progressiste, sans cesse réactivée par le discours d’Etat ; la découverte de complots (mai 1984, mai 1985 (4)) vient rappeler à temps que les intérêts attaqués, les frustrations engendrées et la revanche organisée chez certains Burkinabé semblent être à la mesure du service populaire qu’affirment remplir les dirigeants. Bref, la révolution est en marche.

Le nouveau cours politique qui saisit le Burkina, en accentuant la distinction des références et des priorités respectives des gouvernements de Ouaga et d’Abidjan, paraît de nature à éloigner chaque jour davantage deux États qu’une histoire coloniale partiellement commune (la Haute-Volta fut rattachée de 1932 a 1947 a la Côte-D’ivoire) et l’ampleur des transferts humains (environ deux millions de Burkinabé vivent chez le voisin ivoirien où ils représentent près d’un quart de la population totale) invitent toujours à rapprocher, associer, comparer. Aussi les prises de position au nord gagnent-elles d’autant plus de valeur progressiste et de vertu révolutionnaire qu’elles tranchent de plus en plus nettement avec les options libérales affichées et réaffirmées au sud, même au plus fort de la crise économique.

Assuré de l’écartement, voire de l’opposition entre les itinéraires qu’empruntent désormais les deux pays, le premier réflexe a pu consister à extrapoler les comportements externes des orientations politiques internes et à en induire, avec la plus rigoureuse logique, un état des rapports nécessairement conflictuel, une inimitié de principe. Et comme les principaux intéressés eux-mêmes, c’est-à-dire les leaders respectifs des deux Etats, se sont, en partie, ingéniés à se bouder et à échanger quelques coups peu amènes, ils ont en quelque sorte authentifié la prédiction créatrice des observateurs en faisant advenir ce qu’elle énonçait logiquement : le capitaine Sankara n’a-t-il pas annulé à plusieurs reprises ses visites prévues à Yamoussoukro et la Côte-d’Ivoire n’a-t-elle pas privé le chef burkinabé d’une présidence attendue à la Communauté économique de l’Afrique occidentale (CEAO) lors du sommet d’octobre 1983 a Niamey ? Sur le même registre conflictuel on était prédisposé à accueillir la révélation de complots contre les hommes du CNR qui, préparés notamment depuis le territoire ivoirien, ne pouvaient dès lors avoir été fomentés, financés qu’avec la bienveillance des autorités d’Abidjan.

Comme, d’autre part, l’histoire très récente des rapports entre les deux régimes s’est pimentée de quelques « affaires » (5), le tableau semblait complet et les choses bien nettes : les deux leaders, donc les deux régimes, donc les deux pays étaient voués au pire à se déchirer, au mieux à se méconnaître.

Pourtant, les choses ne sont peut-être pas aussi simples et les divergences aussi marquées que le laisserait penser une interprétation purement logique et inductive dont la grande cohérence interne tend à forcer la cohésion des faits, négligeant incertitudes, retournements, transactions. Cette démarche révèle quelques faiblesses, qu’il s’agisse de rendre raison d’une multiplicité de phénomènes apparemment contradictoires — et qui ne le sont jamais entre eux mais le deviennent a la faveur de schèmes ou de théories explicites ou implicites, en tout cas préalables, qui contiennent le principe des contradictions — ou de restituer la nature exacte de certains processus qui conditionnent l’élaboration, en Afrique noire, des politiques extérieures.

Sur le plan des ” faits “, on n’aurait aucune peine à contrebalancer la thèse conflictuelle en évoquant les signes récurrents de réchauffement entre les deux directions politiques comme, par exemple, très récemment, le soutien ivoirien offert a la candidature burkinabé a la présidence de la Banque africaine de développement (avril 1985) ou encore le message de félicitation adressé par M. Houphouët-Boigny au capitaine Sankara a l’occasion du deuxième anniversaire de la (sa) révolution et qu’on ne saurait réduire à un acte strictement protocolaire sans négliger en amont les circonstances, soit l’état des relations, qui ont alors encouragé à l’observance d’une des règles de la bienséance diplomatique. Comment aussi oublier les actuels engagements financiers ivoiriens dans un certain nombre d’opérations au. Burkina : modernisation de l’aéroport de Bobo-Dioulasso, forage de puits dans la région de Ouagadougou, soutien à l’élevage, rénovations immobilières dans la capitale (6) ? Certaines rumeurs, qui demanderaient à l’évidence d’attentives vérifications, vont jusqu’à faire état d’une assistance économique plus essentielle encore puisqu’elle consisterait en une aide directe au budget de l’Etat burkinabé. Du fait même de son caractère incontrôlé, il n’est pas utile d’insister sur ce type d’information ; remarquons simplement que cette assertion n’est pas plus aberrante que les faits précédents et avérés, au regard de leur incompatibilité avec la thèse conflictuelle entre les deux régimes. Dans le même registre des « faits », notons que les autres gouvernements de la région, quelle que soit leur orientation idéologique et économique, ne sont pas épargnés par les critiques burkinabé et les incidents officiels. Un exemple parmi d’autres : en août 1985, le secrétaire malien de la CEAO a été déclaré persona non grata par le gouvernement de Ouaga et le président du Mali, prié de pourvoir a son remplacement (7). Au surplus, on fera remarquer que le spectre des humeurs qui se dégage des relations récentes entre Ouaga et Abidjan recouvre tous les états possibles qui vont de l’harmonie a la tension : l’obstacle ivoirien à la présidence burkinabé de la CEAO au sommet d’octobre 1983 a Niamey a été levé au sommet de Bamako d’octobre 1984 ; les convergences au sein des organisations régionales succèdent à de soudaines dissensions ; les périodes où les leaders refusent de s’adresser la parole sont suivies de phases où les palabres sont interminables ; les mises en cause réciproques précèdent de peu les absolutions publiques : tel a été, par exemple, le cas dans l’affaire de l’attentat à la bombe dans les appartements du capitaine Sankara à Yamoussoukro, où celui-ci a, alors, publiquement engagé la responsabilité des autorités ivoiriennes.

L’examen des données structurelles des rapports ivoiro-burkinabé met en évidence la présence massive en territoire ivoirien des Mossi, Bissa, Gourounsi, etc., attirés au sud, d’abord de force, puis de façon plus ou moins contractuelle ou volontariste : il ne faut certainement pas oublier que la division coloniale de l’espace social africain avait une fonction économique, plus spécialement marquée encore dans l’ensemble ivoiro-voltaique constitué explicitement en vue d’assurer un réservoir de main-d’œuvre pour les plantations, et cette histoire sociale ne peut pas ne pas peser, d’une certaine façon, sur les relations nouées plus tard par les Etats « souverains ». L’ampleur de cette présence burkinabé en Côte-d’Ivoire est corrélative au développement des cultures de rente qui ont fait la prospérité ivoirienne et représente une force économique, qu’il s’agisse d’immigrants parvenus au statut de petits planteurs ou cantonnés dans celui de salariés agricoles dont l’industrieuse activité assure une belle part de la production de cacao et de café. Cette donnée peut, sans gros risque d’erreur, être érigée en contrainte, moins unilatérale en ce qu’elle pèserait sur l’activité stratégique de l’acteur (puisqu’après tout on pourrait par exemple considérer que les deux millions de Burkinabé constituent pour le gouvernement ivoirien dans sa politique à l’égard de Ouaga tout autant une contrainte qu’une ressource) que contextuelle, puisque, nolens volens, et même si l’essentiel des relations transfrontalières des migrants se développe à l’intérieur des deux « sociétés civiles » respectives, c’est-à-dire en méconnaissant les circuits étatiques, ces même relations font suffisamment problème aux yeux des deux gouvernements pour qu’ils tendent à les contrôler, les organiser, les ponctionner. Cette contrainte est donc contextuelle, dans la mesure où elle impose des rapports nécessaires   coopératifs ou conflictuels, peu importe ici  entre les représentants des deux communautés perçues alors comme nationales ». L’ignorance du voisin, partenaire ou ennemi, n’est guère possible, ce qui oblige à envisager un terme inéluctable à  toute période de fâcherie et à limiter singulièrement les velléités séparatistes. Plus généralement encore, la situation géo-économique du Burkina, qui en fait le second marché intérieur de la si elle ne préjuge pas de l’état affectif des relations, les impose cependant comme une nécessité politique.

La conjoncture présente de ces relations se caractérise au surplus par un certain équilibre des ressources qu’on pourrait appeler « humaines » si elles ne reposaient pas, précisément, sur une certaine dose de contrainte par corps. Macaire Ouédraogo, qui avait fui son pays en 1983, dès les premiers soubresauts de la révolution, et était considéré comme un opposant au régime du capitaine Sankara, semble avoir été incarcéré par les autorités ivoiriennes après avoir, dit-on, décidé de regagner Ouagadougou. Le CNR, attentif à ce qu’il aurait pu faire passer pour un important ralliement, n’a pas manqué d’exiger immédiatement sa libération (8). Réciproquement, c’est une personnalité ivoirienne, Mohammed Diawara, ancien ministre du Plan, qui est détenue au Burkina. Même si ce n’est pas l’ancien homme politique qui est visé ici  depuis quelques années il était devenu homme d’affaires  et même si sa détention ne relève pas du domaine strict des relations officielles ivoiro-burkinabé, puisqu’il est poursuivi dans le cadre d’une enquête pour le détournement de 6 milliards de F CFA appartenant à la CEAO, sa qualité d’Ivoirien et d’ancien ministre ne disparaissent pas pour autant et c’est aussi par rapport à elle que sera peut-être interprétée la décision de la justice burkinabé son égard.

Une autre source de prudence, lorsqu’il s’agit d’apprécier les rapports entre les deux régimes, est constituée par le fait, d’autant plus fondamental pour nous ici qu’il est dénié par toutes sortes de discours, de la non-unité des configurations politiques productrices d’une politique extérieure  ce singulier étant déjà en soi un obstacle à la connaissance puisqu’il postule une cohérence, une intégration, une homogénat que l’observation attentive ne confirme pas. « Etats », « systèmes politico-administratifs « directions politiques », « gouvernements », quels que soient les appellations et les niveaux des ensembles politiques retenus, on sait, avec G. Allison, qu’ils sont constitués de groupes et d’organisations qui ont leurs intérêts spécifiques, leurs pouvoirs propres, leurs représentations et leurs stratégies appropriées, que la discontinuité et la concurrence conditionnent l’élaboration de la décision diplomatique et que la négociation, le marchandage, l’influence inégale entre factions, clans, appareils, services prévalent dans son cheminement, obligeant l’analyste à délaisser des modèles plus ou moins implicites dominent la rationalité, le monolithisme ou, à tout le moins, intégration (9). Cette perspective méthodologique est de nature à améliorer notre compréhension d’un des derniers avatars de la diplomatie burkinabé. On sait que le dernier sommet du Conseil de l’Entente réuni a Yamoussoukro, le 10 septembre 1985, et, suite à des « attentats et actes de terrorisme », exceptionnellement consacré aux problèmes de sécurité, s’est achevé par le traditionnel communiqué proclamant la profonde unité d’intérêts des chefs d’Etat en cette matière et le ferme engagement de renforcer la coopération entre leurs gouvernements en vue de prévenir et de lutter efficacement contre les actes de sabotage, d’où qu’ils viennent » (10). Sur le moment, le leader burkinabé a émis des réserves que le communiqué n’a pas précisées mais que certaines sources, dites autorisées, ont cru pouvoir expliquer par le dépit du gouvernement de Ouagadougou devant l’indifférence, à tout le moins, qu’il constate chez ses voisins du conseil lorsque divers actes de sabotages mettent en jeu sa propre survie(11) . Pendant ce temps à Ouaga, un comité de coordination des CDR du ministère des relations extérieures et de la Coopération se réunissait et dénonçait violemment la pusillanimité et même la complicité des autres gouvernements du Conseil de l’Entente (Niger, Togo, Benin, Côte-d’Ivoire) dans des faits terroristes, longuement énumérés, dont aurait eu à pâtir le Burkina depuis l’instauration du régime révolutionnaire (12). De retour à Ouaga, dans un discours tenu à l’occasion d’un grand meeting, le capitaine Sankara reprenait à son compte cette escalade de reproches et de revendications, puisque, en termes très vifs et très explicites cette fois, non seulement il vilipendait l’inertie des gouvernements voisins et dénonçait les protections que semblent y trouver les opposants burkinabé, mais, surtout, menaçait les autres puissances de la région de s’employer a exporter sa révolution et contribuer au renversement de leurs dirigeants en suscitant directement la mobilisation des populations (13). Il est vraisemblable que le durcissement observé en deux jours dans le comportement du leader burkinabé reflète l’analyse d’une aile sans doute beaucoup plus déterminée des groupes qui soutiennent ou composent l’alliance gouvernementale révolutionnaire et que la ligne de politique extérieure, ainsi modulée en quelques jours d’intervalle, est le résultat d’un marchandage entre fractions et groupes. Ces rapports de force internes, et leur fluctuation, interdisent de faire de cette ligne Pout-put d’un ensemble unifié et encore moins d’en proposer des anticipations logiques.

L’ensemble de ces réserves “anisés à l’encontre d’une appréciation globale des relations entre deux Etats fondés sur une démarche qui induit une chaîne déterminée de faits — constitutifs ici d’une politique extérieure à partir d’un signe initial auquel on accorde ainsi une valeur structurante, n’est peut-être encore rien au regard des milles et un paramètres sociaux et culturels qu’il convient d’intégrer à l’analyse et qui, s’ils ne peuvent absolument pas donner à penser à une espèce ontologiquement différente des politiques extérieures et des rapports internationaux sur le continent noir, sont cependant suffisamment prégnants localement pour qu’ils suggèrent un faisceau de particularités de la diplomatie en Afrique noire. Des précédents historiques révèlent des réalités socio-culturelles et politiques très profondes, génératrices de certaines constantes dans les échanges interétatiques : la persistance des relations entre MM. Houphouët-Boigny et Sékou Touré au plus fort même de la crise ivoiro-guinéenne émargeait certainement au répertoire de ces pratiques et normes qui donnent au jeu international africain ces nuances rendent si malaisée son explication que celle-ci semble relever du talent de l’école du clair-obscur plutôt que de l’art de l’enluminure.

En ce sens, tout d’abord, pourrait-on retenir la tonalité plus relationnelle qu’organisationnelle des flux diplomatiques, non sans rapport avec les techniques d’élaboration et d’expression des politiques extérieures marquées, comparativement aux chancelleries d’autres aires, par un relatif délaissement du document écrit. Cette modalité, probablement liée aux formes pratiques de la domination politique qui s’exerce en Afrique noire, n’est pas sans conséquences sur le travail du chercheur attire, par hypothèse, par le matériau documentaire et par le crédit scientifique auquel il permet de prétendre. Rappelant ainsi la limite objective qui pèse sur le métier d’historien dans la reconstitution précise des faits sociaux et de leur enchaînement causal, le faible recours à l’instrument écrit dans la mise en œuvres de l’activité diplomatique, corrélatif à la souplesse de celle-ci, donne quelques accents un peu naïfs aux travaux qui prétendent restituer, sur la base exclusive de ce document écrit, les conditions de production d’une décision ou d’une politique extérieure. Ainsi en va-t-il plus particulièrement pour tout ce qui relève de la diplomatie ivoirienne où l’ampleur de l’oralité, dans les ordres, les contacts, pratiquée par son chef fonctionne finalement comme un piège au regard de l’analyste.

Dans ce même ordre d’idées qui invite à rester attentif aux modalités locales de l’expression diplomatique, la « personnalisation » relevée dans les échanges interétatiques au sein du continent les multiples déplacements présidentiels, les nombreuses rencontres « au sommet » etc.  peut participer d’une grammaire des relations politiques, non exclusivement réductibles au code protocolaire ou au statut inégal de la puissance, mais sensibles, pour une part, aux constantes des relations sociales internes. Le capital de respect, voire d’autorité, dont semblent disposer les vieux chefs d’Etat et qui leur vaut des rôles de conciliateurs, d’intermédiaires pour dénouer des crises ou apaiser des tensions caractérisées précisément par la disparition de la parole directe  et le président nigérien Kountché a eu à s’employer, à certains moments, pour relancer le dialogue ivoiro-burkinabé  les modalités d’allocation de la « reconnaissance internationale » qui prend un tour particulier lorsque, par exemple, reçut générationnel se creuse entre jeunes dirigeants et vieux leaders  et les difficultés observées dans les premiers contacts entre Sankara et Houphouët-Boigny en sont, peut-être, une illustration  offrent, semble-t-il, quelques figures de cette matrice des relations internes aux systèmes sociaux qui déborde sur la scène diplomatique. Le lexique à travers lequel certains observateurs ont décrit les rencontres entre les chefs burkinabé et ivoirien  « vieux renard » et « jeune loup » etc.  ne se réduit sans doute pas à une stylisation médiatique, mais traduit certaines réalités plus profondes auxquelles le mode de fonctionnement des medias, qui survalorise les signes extérieurs de l’identité, donne seulement un plus grand écho.

On veut ici suggérer qu’en cette matière des « relations internationales » auxquelles ressortissent en partie les rapports entre Ouaga et Abidjan, il y a des phénomènes et des registres fort divers qui introduisent des incertitudes et des difficultés, rendent assez malaisée la construction de répertoires cohérents des comportements de coopération ou de conflit en opposant, à la raison raisonnante du travail scientifique, les raisons irraisonnées des acteurs politiques. On n’oublie pas que l’univers politique accueille une parole performative ; on sait qu’en son sein, plus qu’ailleurs, « dire, c’est faire » (14), mais à produire, par l’analyse ou le récit, une unité compréhensive qui relaie la cohérence discours/pratique visée et proclamée par tout pouvoir, on néglige les discontinuités et les « contradictions » qui constituent aussi la matière quotidienne des échanges internationaux.

Ceci ne doit pas conduire à minimiser la force des orientations idéologiques, à ignorer les styles gouvernementaux propres, à nier les priorités socio-économiques spécifiques, à rendre indistinctes les bases sociales des pouvoirs et, par suite, à douter de la profondeur des désaccords et de la sincérité de certains divorces entre régimes politiques. Simplement, la prise en compte d’un maximum de variables et l’attention portée aux multiples dimensions sociales de l’action diplomatique, sans atténuer la gravité des ruptures, permettent de reconstruire des processus plus compréhensifs de la réalité, de restituer ces “je ne sais quoi ” et ces « presque rien » qui nourrissent les activités sociales et politiques et que la raison des analyses et la logique des classements ne parviennent pas à faire disparaître du monde pratique.

Y.A FAURÉ


NOTES

(1)           Voir « Haute-Volta : les raisons sociales d’un coup d’Etat Politique africaine, 9, mars 1983, pp. 85-92 ; et R. Otayek, • Le changement politique et constitutionnel en Haute-Volta X., L’Année africaine, 1983, pp. 86-106.

(2)           La remarque fort directe du capitaine Sankara : « on vote trop Le Pen a Ouagadougou (cf. Bulletin quotidien d’Afrique/AFP, 6 août 1985) pourrait a elle seule résumer les aspirations du pouvoir a l’égard des Français.

(3)  Depuis le slogan « une seule foi progressiste, une seule voie révolutionnaire qui agrémente nombre de panneaux publics, jusqu’à la formule ritualisée « la patrie ou la mort, nous vaincrons qui ponctue discours et ordres, mélange d’aspiration populiste et d’invention néo-traditionnelle : qu’on songe ici àla toute récente débaptisation des lois, décrets et arrêtés en zatu, kiti, rabo censés être plus conformes, parce que plus familiers à la population, à l’épanouissement d’une identité burkinabé.

(4)  Dont il n’est pas question, ici, de nier l’existence. Voir a ce sujet, A. Conchiglia, Sankara démantèle le complot et « Burkina : la rançon de la différence », Afrique-Asie, 26 août-8 sept. 1985, pp. 8-11.

(5) Le 11 février 1985, une bombe endommage la suite hôtelière que doit occuper à Yamoussoukro le leader burkinabé venu enfin participer à un sommet du Conseil de l’Entente (12 et 13 février 1985); le 9 avril de la même année, a Abidjan, c’est l’assassinat d’un homme d’affaires d’origine voltaique, propriétaire d’une importance chaine d’hôtels et de restaurants en Côte-d’Ivoire, et dont l’adjoint, M. Macaire Ouédraogo, fut candidat a la présidence de l’ex-Haute-Volta en 1978.

(6) Ces interventions financières sont rappelées notamment par S. Andriamirado dans son article « Le retour de l’enfant prodigue Jeune Afrique, 1260, 27 fév. 1985, pp. 30-31. Certaines de ces aides ont été acceptées par le pouvoir burkinabé a la suite de l’échec essuyé auprès d’autres pays comme Cuba et la France.

(7) Cf. Bulletin quotidien d’Afrique/AFP, 10 août 1985.

(8) Cf. Bulletin quotidien d’Afrique/AFP), 6

(9) Cf. G.T. Allison, Essence of décision : explaining the Cuban missile crisis, Boston, 1971. Le lecteur francophone intéressé pourra avoir accès à une présentation résumée de ses modèles dans l’ouvrage de P. Braillard, Théorie des relations internationales, Paris, Presses universitaires de France, 1977, pp. 172-196.

(10)         Cf. Bulletin quotidien d’Afrique/AFP, 12 sept. 1985.

(11)         Idem.

(12)         Cf. Bulletin quotidien d’Afrique/AFP, 11 sept. 1985.

(13)         Cf. Bulletin quotidien d’Afrique/AFP, 12 sept. 1985. D’ailleurs, il est significatif que la dépêche du Bulletin quotidien d’Afrique/AFP du 13 septembre 1985 qui revient sur les résultats de ce sommet fasse état de « graves dissensions au sein du Conseil de l’Entente, au lendemain du sommet

(14) Cf., par exemple, J.L. Austin, Quand dire c’est faire, Paris, Le Seuil, 1975

SOURCE: http://www.politique-africaine.com/

 

Cet article “Ouaga et Abidjan : divorce a l’africaine ?” un article de Y. A. Fauré est apparu en premier sur Thomas Sankara.

“Quand le tambour change de rythme, il est indispensable que les danseurs changent de pas” un article de René Otayek

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Cet article est extrait du numéro 28 datée du décembre 1987 de la revue politique africaine www.politique-africaine.com. Vous y trouverez en particulier une version PDF du présent article. René Otayek, alors l’un des meilleurs spécialistes universitaires de l’époque du Burkina Faso, s’est rendu sur place 2 semaines après le 15 octobre 1987 et livre ici ses impressions et ses premières analyses après l’assassinat de Thomas Sankara. Un point de vue certes critique sur les insuffisances du processus révolutionnaire mais qui mérite toute notre attention de par la connaissance et la qualité des analyses.

B. J.


Burkina Faso : “Quand le tambour change de rythme, il est indispensable que les danseurs changent de pas”[1]

René Otayek

Y a-t-il encore, y a-t-il jamais eu un seul partisan de Thomas Sankara au Burkina Faso? On peut se le demander à l’issue de quinze jours passés dans ce pays et un peu plus de trois semaines après la mort du premier président du Faso. En effet, discuter avec un Burkinabè ayant un minimum de responsabilités officielles, dans le contexte actuel, a quelque chose d’irréel. Les critiques contre l’ex-chef du CNR (Conseil national de la révolution), sont si nombreuses, si violentes par fois, qu’on se demande s’il s’agit bien du même homme encensé à longueur de colonnes et d’antenne quatre années durant. Mais l’usage de la langue de bois se généralisant de haut en bas de la pyramide politique, on aurait plutôt tendance à penser que le tambour ayant changé de rythme, les danseurs, tous les danseurs, se sentent obligés de changer de pas. Quitte à brûler aujourd’hui l’idole adorée hier.

Cela étant, ce nouveau changement politique par le recours aux armes – le quatrième depuis novembre 1980 – suscite de multiples interrogations. Quelles sont les divergences qui opposaient Thomas Sankara à ses trois compagnons *historiques du CNR, Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henry Zongo? Comment son régime, apparemment solide, s’est-il écroulé comme un vulgaire mur en banco mal séché? Comment expliquer l’absence de réactions populaires à sa mort ? Quelles sont les perspectives qui s’offrent aujourd’hui au Burkina ? Sans prétendre fournir de réponses définitives à ces questions – quinze jours, c’est court pour se faire une idée précise, d’autant que, la peur aidant, les gens ne se livrent pas facilement -, on peut tout de même risquer quelques remarques qui ne relèvent pas exclusivement du genre “impressions de voyage”.

Choses vues à Ouaga

Ce genre, sacrifions-y rapidement quand même pour évoquer l’ambiance à Ouagadougou telle qu’on l’a sentie dix jours après le coup d’Etat. Visiblement, les Ouagalais sont encore sous le choc. Cliché facile mais qui rend parfaitement compte des sentiments d’une population peu habituée à la violence politique. L’ex-Haute-Volta n’a-t-elle pas été longtemps célébrée pour le pacifisme de ses mœurs politiques, la révolution du 4 août 1983 ayant constitué à cet égard une fracture historique puisque, pour la première fois, le sang avait coulé ? C’est dire que l’homme de la rue ne comprend pas qu’on ait pu tuer celui qui incarnait la ” révolution démocratique et populaire”. S’il avait commis des fautes, pensent beaucoup, même parmi ses adversaires les plus résolus, il fallait l’arrêter et le juger. Au hasard des promenades dans les rues de la capitale burkinabè, au détour d’une conversation, à quelques graffiti, à certains regards, à mille petits détails impalpables, on a pu se rendre compte combien la mort du P.F [2] avait été traumatisante. Comment ne pas évoquer aussi ce sentiment de désarroi, de découragement, d’anxiété mêlés, accentué par la chaleur étouffante, donnant l’impression de se trouver sous une chape de,plomb ? Comment ne pas remarquer la démobilisation populaire, déjà sensible du vivant de Sankara, aggravée par le vide politique que le fantomatique Front populaire n’arrive pas à combler ? Comment, enfin, ne pas céder à l’irrésistible envie de qualifier la situation de surréaliste avec des vainqueurs visiblement embarrassés par leur victoire et, face à eux, un chef de garnison militaire – celle de la ville de Koudougou – qui “résiste”, sans qu’on en comprenne trop les raisons, à coups de communiqués et de déclarations à la presse internationale ? , Ouaga attend. Un affrontement qui tournera court. Un nouveau gouvernement. Des explications. Ouaga, en cette fin d’octobre 1987, vit une “saison blanche et sèche”.

Le décalage, on l’aura compris, est énorme entre le discours officiel et le sentiment profond de l’homme de la rue qui découvre avec stupéfaction que la révolution avait été dévoyée par celui qui l’avait portée sur les fonts baptismaux. Toute la liturgie construite autour de Sankara n’avait donc servi qu’à établir et consolider un pouvoir autocratique, celui d’un homme auquel on ne reconnaît plus pour unique mérite que celui d’avoir incarné l’espoir ” pour le peuple burkinabè à un moment de sa vie”. Maigre bilan de quatre années de sankarisme triomphant.

Sankara revisité

A vrai dire, l’entreprise de démythification de Sankara à laquelle se livre, dès le lendemain du coup d’Etat, la presse burkinabè, n’a rien de surprenant. Pour légitimer Blaise Compaoré, il faut illégitimer, disqualifier son prédécesseur. Tâche difficile dans la mesure où le premier fait figure de fratricide, circonstance aggravée par l’absence de sépulture décente donnée à Sankara “chose mal acceptée par les Burkinabè” et par le fait qu’on a peine à imaginer que la responsabilité du nouveau chef de l’Etat dans la dérive autoritaire du CNR soit nulle. D’ailleurs, ce qui frappe, c’est la persévérance avec laquelle les médias tentent de justifier le coup. Chaque jour, le quotidien officiel Sidwaya “La Vérité est venue” apporte une nouvelle pièce au dossier : personnalisation et concentration excessives du pouvoir de Sankara, refus de la collégialité au sein du CNR, décisions arbitraires et peu réfléchies …, on découvre même qu’il est responsable “d’assassinats politiques, restés jusque-là secret d’Etat” (Sidwaya 27 oct. 1987) et l’on conclut, fort logiquement, que si Compaoré n’avait pas bougé le premier, c’est Sankara qui l’aurait fait puisqu’un complot dit “de 20 heures” devait aboutir, le 15 octobre, à l’élimination physique des adversaires de Sankara au sein du CNR (Sidwaya, 27 oct. 1987). Il se murmure que l’idée en aurait été soufflée à ce dernier par Mengistu Haïlé Mariam, alors qu’il fêtait à Addis-Abeba le dernier anniversaire de la révolution éthiopienne. En somme, Compaoré n’aurait fait que prendre les devants. Paradoxalement, le luxe de détails fournis par la presse n’apporte que peu d’éclairages sur les divergences qui déchiraient le CNR. Celles-ci étaient cependant de notoriété publique. Bien avant son déclenchement, des rumeurs couraient sur l’imminence d’un coup. Les dernières semaines précédant la mort de Sankara, les tracts s’étaient multipliés, chaque camp préparant visiblement le terrain en dénonçant l’autre. Le 2 octobre, célébrant l’anniversaire du DOP (Discours d’orientation politique), sorte de charte de la révolution, Thomas Sankara avait été vertement et publiquement critiqué par le responsable des CDR de l’université. L’épreuve de force était donc inéluctable. Comme était programmée selon toute vraisemblance la mort du P.F. Ecarté du pouvoir mais vivant, il aurait représenté un dan- ger permanent, un risque de guerre civile, dit-on même. Pressé d’agir, Compaoré l’aurait fait en surmontant son aversion pour la politique. Ne dit-on pas, en effet, que tout ce qui l’intéressait, c’était s’occuper de son unité de commandos de Pô (celle-là même qui avait porté Sankara au pouvoir le 4 avril 1983 et l’en a délogé le 15 octobre dernier) et que, pour lui, assurer l’intérim pendant les voyages à l’étranger du “camarade-président” tenait du cauchemar ? A l’origine du conflit, il semble bien aujourd’hui qu’il y ait eu accumulation et conjonction de plusieurs facteurs. Certains tenaient incontestablement à la personne même de Sankara et à la manière dont il exerçait le pouvoir. Depuis le 15 octobre, il est de bon ton au Burkina de critiquer l’autoritarisme du P.F. Sans aller avec certains jusqu’à parler de “dictature”, on doit reconnaître qu’il y a du vrai dans les reproches faits à Sankara. Peu à peu, grâce à son charisme, son don de la parole, sa capacité à utiliser les médias audio-visuels, du fait aussi, sans doute, de la sympathie qu’il a su inspirer à bon nombre d’intellectuels occidentaux “tiers-mondistes” et des sollicitations incessantes dont il était l’objet de la part de la presse internationale, il avait eu tendance à se poser en principal, voire unique centre de décision du CNR. S’ajoutait à cela un goût prononcé pour la mise en scène politique (discours ponctués par des applaudissements et des slogans commandés par un chœur, concours pour la désignation de l’enfant l’imitant le mieux, uniformes chamarrés et excentriques) renforcé par une certaine servilité de la presse locale, peu ou prou contrainte de célébrer le culte du chef, dont on peut penser, il est vrai, qu’il a fini par porter ombrage à ses camarades militaires. Du reste, ces derniers avaient d’autres sujets de mécontentement, en particulier les appels directs de Sankara à la troupe, pour dénoncer les officiers “contre-révolutionnaires”, son projet de création de la FIMATS (Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité) appelée à devenir “son” unité, comme Compaoré avait la sienne, sous le commandement d’un non-militaire, Vincent Sigué, exécuteur des basses œuvres du régime ; autant de mesures qui ne pouvaient qu’indisposer une armée burkinabè très jalouse de son esprit de corps en dépit de sa transformation en “armée populaire”.

La révolution dans l’impasse

Il est cependant probable que ces désaccords n’auraient pas dégénérés en conflit armé s’ils n’étaient venus se greffer sur une situation politique et économique extrêmement tendue. L’enthousiasme révolutionnaire s’était vite épuisé. Les grands projets (en particulier la bataille du rail pour l’exploitation du manganèse de Tambao) étaient en panne. Les infrastructures construites dans l’euphorie du PPD (Programme populaire de développement) se trouvaient condamnées à la paralysie, le plus souvent faute de moyens. La population, à qui on avait demandé de gros sacrifices, n’y croyait plus. Pourtant, le CNR avait mis en place, sous couvert de mobilisation populaire, un système de contrôle politique et social apparemment sans faille. Il y avait les CDR, bien sûr. Mais d’excès de toutes sortes en reprises en main, ils s’étaient condamnés à devenir un simple instrument du pouvoir, souvent mal supporté par la population. Les femmes, les enfants, les anciens avaient été dotés de structures d’encadrement. La paysannerie s’était vue coiffée d’une Union nationale. On avait redécoupé administrativement le territoire et installé des PRP (Pouvoir révolutionnaire provincial) ; on avait réformé l’appareil judiciaire et élaboré un nouveau code de la famille. Bref, s’était mis en place un Etat qui se voulait fort, un Etat que très tôt à Politique africaine (no 20, déc. 1985), nous avions qualifié de “totalisant”, marqué par la volonté de pénétrer et de contrôler étroitement la société civile. Particulièrement douloureux était également l’échec de la stratégie de modification des alliances sociales. Le CNR entendait faire de la paysannerie sa principale base sociale, au détriment des couches salariées urbaines, notamment les agents de l’administration, sur lesquelles s’appuyaient les régimes précédents. Dans cette perspective, il avait adopté un large éventail de mesures salariales et fiscales qui, combiné avec la compression des effectifs de la Fonction publique, devait aboutir à un transfert de ressources vers les campagnes. Parallèlement, il avait revalorisé les prix payés aux producteurs et entrepris de .réorganiser les circuits de commercialisation. Mais la pièce maîtresse sur laquelle reposait cette stratégie était la réforme agro-foncière, destinée à “libérer” les paysans de l’emprise de la “féodalité”. Son application s’est cependant heurtée à de multiples résistances. En milieu urbain, si elle a abouti à une restructuration foncière articulée autour de lotissements attribués par l’Etat, elle n’a pas réussi à éliminer l’influence des chefs coutumiers. Autrefois propriétaires, ils ont développé des stratégies leur permettant de sauvegarder en grande partie leur pouvoir, en faisant attribuer, par exemple, -des lotissements aux membres de leur famille. En milieu rural, l’application de la réforme a été quasiment nulle. Pire encore, en dépossédant les autorités traditionnelles de leur pouvoir – celui-ci est désormais confié aux CDR -, le CNR a laissé s’accumuler une multitude de conflits (entre éleveurs et agriculteurs, entre autochtones et migrants …) qui, autrefois, se réglaient par l’intervention de ces autorités. Sans compter que la “révolution des mentalités” voulue par l’introduction des CDR dans les campagnes n’a pas eu lieu, les autorités traditionnelles réussissant là aussi à récupérer partiellement, sinon à neutraliser (par la sorcellerie ou par des stratégies familiales ou lignagères), la nouvelle institution. Le CNR a donc perdu sur les deux tableaux. Il n’est pas parvenu à s’assurer de l’adhésion de la paysannerie à son projet de transformation sociale et n’a pas su empêcher les salariés urbains de se détacher de lui, comme l’atteste la confrontation, souvent violente, avec les syndicats. Dans nos conversations avec des fonctionnaires, nous avons souvent perçu une sorte de rancœur doublée d’un sentiment d’injustice – fondé ou pas, là n’est pas la question – à l’égard de la politique suivie en ce domaine, sentiment sans doute renforcé par les diatribes du pouvoir contre les “intellectuels”, les sacrifices salariaux plus ou moins forcés (comme l’obligation de s’abonner au Journal officiel) et la multiplication des contraintes (le devoir de s’habiller en cotonnades, par exemple) qui, conjugués, ont achevé de, consommer le divorce entre l’Etat et ses agents. Sur le plan spécifiquement économique, la situation était au moins aussi difficile. Ces derniers mois, le CNR avait multiplié les mesures d’encadrement perçues comme autant d’entraves à la liberté d’entreprise. Tous les secteurs d’activité avaient été sommés de se constituer en GIE (Groupements d’intérêts économiques), ce qui s’était traduit par un surplus de taxes et de contraintes administratives. Plus récemment, il avait décidé l’interdiction d’importer des fruits des pays voisins (en particulier de la Côte-d’Ivoire), mesure qui avait provoqué des pénuries, fait monter les prix et pénalisé les grossistes comme les revendeuses au détail, sans parler du manque à gagner pour les transporteurs routiers. Inquiets de cet interventionnisme, les entrepreneurs nationaux demeuraient sur le qui-vive, sourds aux sollicitations pressantes (et contradictoires) du pouvoir.

 Sankara face à lui-même

C’est donc sur ce fond de crise que doit être analysée la prise de pouvoir de Blaise Compaoré. De ces échecs, de ces blocages et du désenchantement qui les accompagnait, Sankara était conscient. Comme il l’était, sans doute, du rétrécissement de son assise politique. Ainsi, on saura peut-être un jour de quel poids a pesé dans sa chute la vaste campagne qu’il avait engagée contre la corruption et qui avait abouti au démantèlement de nombreux réseaux clientélistes qui s’étaient multipliés dans l’administration pendant les années soixante- dix, à la faveur de la politique de “voltaïsation”. Il n’est pas inintéressant de mentionner à cet égard le fait que certains des tracts attribués à la fraction “sankariste” mettaient en doute l’intégrité morale de Compaoré, alors qu’en retour, quelques jours après le coup, Sidwaya se demandait à demi-mot où étaient passés les produits de la vente de L’Intrus, hebdomadaire satirique alors totalement contrôlé par Sankara en personne. Dans le même ordre d’idée, on s’est entendu dire que l’instauration d’une Commission du peuple pour la prévention de la corruption, devant laquelle les principaux responsables politiques devaient venir. déclarer leurs biens (Sankara le fit en premíër) était une “arme anti-Blaise” (en fait, c’est à travers son épouse, Ivoirienne de l’entourage de Houphouët-Boigny, que Compaoré était visé). De là à penser que les lésés de la politique de moralisation de la Chose publique ont vu – ou cru voir – en Compaoré un moyen de retrouver leur lustre d’antan, il y a un pas que, pour le moment, peu d’éléments nous permettent de franchir. Dernier élément enfin qui fragilisait le pouvoir de Sankara, la perte de ses appuis au sein du CNR. Celui-ci, on le sait, était constitué des représentants de plusieurs formations d’extrême-gauche, profondément divisées entre elles et – c’est important de le souligner – regroupant toutes tendances confondues quelques centaines de personnes à peine. Pour imposer son autorité, Sankara a, semble-t-il, joué successivement ces groupes les uns contre les autres (Carrefour africain, 23 oct. 1987). Mais ces derniers mois, seul l’un d’entre eux – l’ULCR (Union des luttes communistes “reconstruite” – appuyait l’ancien chef du CNR. On dit même qu’il aurait été lié à certains de ses membres – en particulier deux ministres – par une appartenance commune à l’ordre rosicrucien. Carrefour africain (23 oct. 1987) semble d’ailleurs faire allusion à cela en évoquant l’influence que des “forces mystiques” auraient exercé sur Sankara. Quoi qu’il en soit, cette situation mettait Sankara en demeure d’agir. La solution, il crut la trouver dans la dissolution de toutes les formations politiques, prélude à la création d’un parti unique. Mis en minorité sur ce point en juin dernier, il revint à la charge quelques mois plus tard. Sans plus de résultat, sauf celui de convaincre Compaoré et ses compagnons qu’il était temps d’intervenir. Pour eux, cette mesure était prématurée. Plus fondamentalement, on peut penser qu’ils craignaient, via ce parti, une totale mainmise de Sankara sur le pouvoir. Il y a fort à parier, par ailleurs, que, compte tenu de leurs divergences, les groupuscules soutenant le CNR ne voulaient pas de ce projet qui aurait signifié leur disparition. D’autant que le système d’organisation du CNR leur permettait de se neutraliser réciproquement, donc de maintenir un certain équilibre entre eux. Une structure unique, contrôlée par Sankara, aurait pu mettre un terme à ce jeu et faciliter le contrôle du parti par un groupe dominant, celui soutenu par Sankara.

Quelle voie pour le Front populaire ?

Dans l’ensemble, le Front populaire a bien “négocié” la situation après son coup. Profitant de la démobilisation des structures populaires [“cette révolution … avait fini par ne plus exister que dans le discours” (Carrefour africain, 23 oct. 1987)] – et du choc consécutif à la mort de Sankara, que les Burkinabè n’apprirent que plus de vingt-quatre heures après, et par “Africa no 1”, maniant habilement la carotte (proclamation du lendemain du coup d’Etat “jour férié” pour “réfléchir” au bilan de quatre ans de révolution et réintégration de plus d’un millier d’enseignants licenciés en 1984 pour fait de grève) et le bâton (étalement sur une semaine de la rentrée scolaire et déploiement militaire discret mais efficace devant les établissements réputés les plus remuants comme le lycée Zinda Kaboré), il réussit à prévenir toute manifestation populaire. Mais ce répit, à l’évidence, ne sera que très provisoire si le Front populaire ne se réconcilie pas rapidement avec les Burkinabè qui, dans leur majorité, jugent sévèrement ce nouveau pouvoir aux mains tâchées de sang (souvent, d’ailleurs, le CNR est confondu dans le même jugement : “Depuis que vous êtes là, dit-on à l’adresse des militaires, on se tue. Avant, ce n’était pas comme ça”). D’ailleurs, ses multiples appels à l’organisation de manifestations de soutien en sa faveur sont, pour l’instant, demeurés sans écho. Conquérir une légitimité ne sera donc pas chose facile pour Compaoré. Pour cela, il lui faudra regagner la confiance des salariés urbains, sans renier, au moins symboliquement, l’orientation “paysanne” du régime précédent. Mais sa marge de manœuvre risque de s’avérer des plus étroites. Il lui faudra aussi élargir sa base sociale et politique. La première proclamation du Front populaire comportait un appel direct aux syndicats et à “toutes les organisations patriotiques et révolutionnaires” pour qu’elles s’associent au “processus de rectification”. A ce jour, les premiers n’ont pas encore répondu. Et la laborieuse gestation du nouveau gouvernement – formé quinze jours après le coup ! – reflète sans équivoque possible à la fois la difficulté de trouver de nouveaux partenaires (autres que ceux qui étaient associés au CNR) et celle d’arbitrer entre leurs exigences contradictoires. Résultat, un gouvernement où, certes, les militaires ne sont plus que quatre – occupant les ministères clés de l’Economie et de la Défense -, mais dont les autres membres – dont sept du précédent gouvernement – sont dans leur très grande majorité issus des mêmes groupuscules d’extrême-gauche qui soutenaient le CNR. Il faut cependant noter que le poids de l’ULCR a substantiellement diminué, au profit de deux autres groupes, l’Union des communistes burkinabè (UCB) et le Groupe communiste burkinabè (GCB). La formation de ce gouvernement est donc loin de lever toutes les inconnues. L’attitude de la LIPAD (Ligue patriotique pour le développement) en est une. Evincée du CNR en 1984, mais rompue à l’action clandestine, bien organisée, elle est demeurée silencieuse jusqu’à présent. On murmure – mais on murmure tellement de choses à Ouaga ces derniers temps – qu’elle ne serait pas étrangère au coup de Compaoré. L’attitude future des syndicats, en particulier la Confédération  syndicale burkinabè à laquelle la LIPAD est très liée, sera, à cet égard, révélatrice. Mais si “l’hypothèse LIPAD” se vérifiait, c’est, compte tenu de ses orientations marxistes “classiques” – lire “fidèles au modèle soviétique” -, vers un durcissement certain que le Burkina irait. A vrai dire, peu d’éléments, pour l’instant, militent en faveur de cette thèse (mais les événements ont tendance à s’accélérer au Burkina) sauf, peut-être, l’intention que l’on prête à Compaoré de rendre le pouvoir aux civils (mais quand ?) : en effet, de toutes les formations politiques autorisées et clandestines, c’est la LIPAD qui paraît la plus à même de se saisir du pouvoir. Les groupuscules d’extrême-gauche auraient du mal à le faire, compte tenu de l’exiguïté de leur base sociale et de leurs divisions, et un retour pur et simple aux partis de notables de la IIIe République semble aléatoire, quand bien même des rumeurs font état d’ouvertures du nouveau régime en direction de l’opposition “progressiste” incarnée par Joseph Ki-Zerbo. Car, quel que soit le jugement porté sur l’œuvre de Sankara, il est incontestable qu’elle a profondément, et sans doute durablement, marqué l’imaginaire politique burkinabè, se substituant au souvenir, souvent exalté, des journées insurrectionnelles de janvier 1966 qui avaient abouti à la chute de Maurice Yaméogo. Ceci pour souligner combien les intentions du nouveau régime demeurent floues. Il semble apparemment décidé à mettre un terme à l'”aventurisme” et au “spontanéisme” de la période antérieure ; il prétend également restaurer le débat démocratique pour revitaliser les structures populaires existantes (Carrefour Africain., 23 oct. 1987), le tout en se posant en continuateur de la révolution d’août 1983. Ce discours, vague à souhait, semble circonscrire à deux le choix des possibles : soit faire du sankarisme sans Sankara, soit revenir sur la politique suivie depuis quatre ans, mais en conservant la référence symbolique au 4 août 1983. Autrement dit, vider progressivement la révolution de son contenu… Le Front populaire entend également – et ceci est peut-être une indication intéressante – rétablir ou conforter les relations de bon voisinage avec les Etats formant son environnement régional (on pense bien sûr à la Côte-d’Ivoire en premier lieu). Objectifs louables, mais dont on ne peut s’empêcher de penser qu’ils ne suffisent pas à justifier un coup d’Etat sanglant. Entre les rumeurs, les hypothèses et les conjectures, il est en fait une certitude, et une seule : celui qui détenait la force armée a triomphé. Et cette réalité grève lourdement l’avenir politique de Blaise Compaoré. Au Burkina, il est à craindre que le tambour n’ait pas fini de changer de rythme.

René Otayek (Ouagadougou, 7 novembre 1987)

 


[1] P.C. Ilboudo, Aduma ou la force des choses, Paris, Présence africaine, 1987, p. 32.

[2] P.F. (Président du Faso), abréviation par laquelle on désignait familièrement Thomas Sankara.

Cet article “Quand le tambour change de rythme, il est indispensable que les danseurs changent de pas” un article de René Otayek est apparu en premier sur Thomas Sankara.

“Un homme est mort au Burkina” de Yves Benot

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Yves BENOT

19 octobre 1987

En assassinant le capitaine Thomas Sankara, les officiers conjurés de Ouagadougou ont, pour la première fois dans l’histoire du Burkina Faso (ex Haute-Volta), rompu avec une tradition qui a fait que tous les autres chefs d’État renversés dans ce pays sont aujourd’hui vivants.

Si, après de longs mois d’un conflit larvé, puis pratiquement public, ils en sont venus là, à ce meurtre et à quelques autres, c’est sans doute que Sankara représentait quelque chose de si radicalement différent dans la vie politique africaine (pas seulement au Burkina) qu’ils ne pouvaient plus que s’y plier ou s’insurger. Mais, le putsch accompli et l’armée déployée dans la capitale, cette différence s’est encore manifestée au grand jour : contrairement à ce qui s’est si souvent produit en Afrique au lendemain d’un coup d’État, personne n’est descendu dans la rue pour applaudir le nouveau pouvoir, personne n’a crié de joie d’être délivré du pouvoir précédent. Bien au contraire, on a su — malgré l’interruption des communications et la pénurie d’informations — que, loin de répondre aux appels des officiers, c’est sur la tombe de Sankara, précipitamment enterré dans la nuit, que les Burkinabé se sont aussitôt rendus. Les putschistes sont apparus, devant le monde, seuls avec leurs tanks et leurs soldats. Et aussi avec leurs mensonges sur lesquels il faut s’arrêter pour comprendre ce qui s’est produit.

On doit d’abord remarquer que cet isolement par rapport à la population souligne le caractère strictement et étroitement militaire du coup d’État. Contrairement à ce qui s’écrit couramment dans la presse française, ce n’était pas ainsi que Thomas Sankara était devenu président le 4 août 1983 ; ce qui se dénouait ce jour là, c’était un mouvement de masses qui, depuis le 17 mai, lors de la destitution et de l’arrestation de Sankara, alors premier ministre, avait réalisé dans la rue l’unité de toutes les forces de gauche, et même de l’écrasante majorité de la population, contre le président de l’époque, le médecin-colonel Jean-Baptiste Ouedraogo. Et s’il est vrai que les trois officiers qui prétendent aujourd’hui avoir mis fin au pouvoir d’un « autocrate » ont en 1983 contribué à son accession à la présidence, ils ont, ce faisant, aidé et renforcé le mouvement populaire, bien loin de s’imposer à lui, ou d’apporter à eux seuls la solution.

C’est l’existence de cet élan qui a permis à Sankara d’introduire d’emblée un nouveau style de gouvernement et de vie, dans un pays où gouverner avait toujours signifié s’enrichir dans les villes, et abandonner la majorité paysanne à sa misère. Le nouveau style, d’emblée, remettait l’accent sur la priorité aux intérêts de ces sept huitièmes de la population, et pas seulement dans le discours ; on se rappelle les incessantes tournées de Sankara et des siens dans les villages, l’organisation des Comités de Défense de la Révolution dans les villages, les hiérarchies locales bousculées par l’assujettissement des chefs à l’impôt, le lancement des programmes populaires de développement avec des constructions d’écoles, de dispensaires, des forages de puits, l’énorme effort pour la santé publique.

C’était possible parce que, pour la première fois, ceux qui étaient au pouvoir ne l’utilisaient pas pour leur profit personnel, donnaient l’exemple de l’austérité et de l’intégrité. On se souvient de cette décision qui fit quelque bruit, de mettre en vente les Mercedes officielles et de n’autoriser que les Renault Cinq comme voitures de fonction. Et d’interdire tout usage à des fins personnelles des voitures de fonction… Ajoutons que les salaires des ministres correspondaient tout juste au Smic en France, peut-être un peu moins.

Ce n’est pas que les villes aient été délaissées, et il est bon de savoir que c’est seulement depuis la Révolution qu’il y a des autobus à Ouagadougou. Mais l’essentiel, c’est que cette rigueur que Sankara incarnait personnellement, et qui se traduisait dans les rues des villes par la nette prééminence de la bicyclette et de la mobylette sur l’automobile, c’était une condition nécessaire de la préservation de l’indépendance économique, de la possibilité d’un développement autocentré.

Le Burkina a, de ce point de vue, un atout (comme aussi le Cap-Vert), il n’a pas eu jusqu’ici de graves problèmes de balance des paiements parce que les apports de la population émigrée — surtout en Côte-d’Ivoire — compensent le déficit commercial, qui peut être réduit quelque peu, mais non pas éliminé à court terme. Encore faut-il que cet atout ne soit pas gaspillé en dépenses de prestige ou en enrichissement personnel : et c’est là-dessus que portait l’effort de la Révolution. C’est cet effort, difficile, mais poursuivi obstinément, qui a permis à Sankara de tenir ferme contre les pressions du Fonds Monétaire International ; des pressions dont il y a tout lieu de penser qu’elles étaient relayées par des ministres français. Quoi qu’il en soit de ce dernier point, il reste que, dans toute l’Afrique Occidentale, seul le Burkina (avec la République du Cap-Vert) échappait à la dictature du FMI… Et seul aussi, il donnait l’exemple d’un pouvoir d’État qui ne profitait pas du pouvoir pour son compte personnel.

Il donnait aussi l’exemple d’une révolution qui avait évité au maximum de verser le sang, au sein de laquelle coexistaient différents groupements politiques. Et c’est ici qu’il faut parler des mensonges des putschistes et de leurs contradictions. Inutile de s’arrêter sur ce qu’avait de grotesque l’accusation d’« erreurs accumulées depuis quatre ans » lancée le premier jour : s’il en était ainsi, Comparé, Lingani et Zongo en seraient nécessairement coupables, tout autant.

Après quoi, ils prétendent avoir été en état de légitime défense, parce que Sankara aurait voulu les faire arrêter et même assassiner. Depuis plusieurs mois que les divergences graves étaient apparues, Sankara aurait, en effet, pu les faire arrêter : précisément, il s’y est refusé, parce qu’il ne voulait pas s’engager sur la voie de l’État répressif et autoritaire. Conscient de ce qu’il risquait lui-même, il avait choisi de préserver au moins l’avenir.

Et quant à l’accusation d’avoir voulu dissoudre toutes les formations politiques et imposer le parti unique, il y a là un complet retournement de la vérité. Car ce sont les putschistes eux-mêmes qui, avec un quatrième personnage, le capitaine Pierre Ouedraogo, secrétaire général des Comités de Défense de la Révolution, auraient voulu imposer leur parti unique, l’Union des Communistes Burkinabé (UCB), qu’ils avaient créé en 1985 — avec des éléments d’ailleurs divers puisque le médecin-capitaine Arsène Yeh, qu’ils ont tué le 15 octobre, en était membre sans partager leurs tendances. C’est Compaoré qui s’était opposé à Sankara en août, sur la question de la réintégration des fonctionnaires révoqués, et du dialogue d’idées. Le discours de Sankara, le 4 août dernier, qui en appelait au pluralisme et au débat d’idées, ce n’est pas l’œuvre des putschistes. Et s’il n’y avait eu qu’eux, au mois de mai dernier, Soumane Touré aurait été mis à mort : d’autres s’y sont opposés.

Mais alors, de quoi s’agit-il ? Au-delà de tel ou tel individu, au-delà des discours et déclarations, on décèle dans le putsch un phénomène redoutable que Sankara voyait venir, et qui l’amenait à confier qu’il y avait maintenant trop d’ambitieux, au point qu’il n’aurait plus pu imposer les Renault Cinq : le désir ardent de groupes que l’on peut, pour simplifier, dénommer petits bourgeois, de profiter enfin de la vie et des positions de pouvoir. C’est ce groupe que Saint-Just qualifiait ainsi, en regardant Danton : « Cette secte qui veut vivre heureuse et jouir». Menace grave et permanente pour la politique rigoureuse et égalitaire, bien plus profondément humaine, que Sankara voulait, et qu’il continue à représenter pour le peuple burkinabé.

Devant cette tragédie, qui risque de se poursuivre, on pense aux vers d’Eluard sur l’assassinat de Gabriel Péri par les nazis : «Un homme est mort qui n’avait pour défense que ses bras ouverts à la vie».

Yves Benot

Source : Aujourd’hui l’Afrique N° 36 1 trimestre 1988


Lettre adressée par Thomas Sankara aux membres du gouvernement. Cet important document prouve que la disparition de Sankara était préparée de longue date puisque le texte de cette lettre montre que le président avait décidé dès le mois d’août la réintégration des fonctionnaires. Son «intransigeance» constituera un argument contre lui et le nouveau gouvernement annoncera comme première mesure « libérale » la réintégration des fonctionnaires !

Cet article “Un homme est mort au Burkina” de Yves Benot est apparu en premier sur Thomas Sankara.

“La révolution d’Août et la phase actuelle” de Babou Paulin Bamouni

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Babou Paulin BAMOUNI

Cet article, publié en aout 1984, alors qu’une rupture venait d’intervenir entre le CNR et le Parti Africain de l’Indépendance, a fait l’objet d’une republication dans la rubrique “devoir de mémoire” du quotidien gouvernemental Sidwaya le 7 avril 2010. Paulin Bamouni fut l’un des conseillers de Thomas Sankara, responsable de la presse présidentielle. Il a été assassiné aux côté de Thomas Sankara le 15 octobre 1987, avec 6 autres compagnons. Il a écrit un ouvrage intitulé “Burkina Faso : processus de la révolution » dont la présentation se trouve à l’adresse qui se voulait une tentative d’analyse théorique de la Révolution.

Bamouni développe la thèse selon laquelle la sortie du PAI du CNR allait apporter une clarification et un bond qualitatif. En réalité, elle allait laisser la voie libre à de nombreux opportunistes et d’arrivistes, dont une bonne partie vont lutter politiquement contre Sankara, puis comploter aux côtés de Blaise Compaoré jusqu’à son assassinat. C’est cette génération qui tient l’essentiel du pouvoir aujourd’hui.

B. J.


Un an après le déclenchement de notre Révolution, celle-ci est à une phase décisive de son évolution : phase qui conduit après analyse, des théories et des faits, au choix idéologique ; choix qui dans son amorce actuelle a nécessité d’abord la clarification au niveau des hommes car chacun a fait à présent ses preuves.

La situation présente relève donc d’un processus normal, car comme toutes les révolutions animées par une coalition de forces révolutionnaires, notre révolution devait passer par la dispute du pouvoir pour avancer. Même les révolutions qui ont eu la chance d’être déclenchées sous la direction d’un parti communiste conséquent comme la grande Révolution socialiste d’octobre 1917 en Russie n’a pas échappé à la règle tant la lutte a été âpre ne serait-ce qu’entre les Bolcheviks et les Mencheviks.

La lutte qui s’est révélée au sein de la Révolution d’août pour le contrôle du pouvoir est donc une chose normale qui a permis à celle-ci d’avancer tant théoriquement que pratiquement.

Ceux qui croient à une période d’incertitude se trompent. Où a-t-on vu une révolution silencieuse sans soubresauts ? A ce titre, coalition de forces révolutionnaires pour rendre le pouvoir, dispute ensuite entre membres coalisés pour le contrôle du pouvoir, puis victoire d’un membre ou de membres idéologiquement unifiés suivis de l’imposition d’une ligne politique et idéologique à toute la révolution semble le chemin classique que suivent les révolutions pour toute clarification. La révolution d’août est à l’unification.

La révolution d’août est à l’unification idéologique qui doit être nécessairement appuyée par le choix d’une ligne politique c’est-à-dire un programme idéologique cohérent capable de conduire la révolution d’août à son triomphe total. Dans ces conditions il est tacitement une obligation à la révolution de se prononcer même si cela n’est pas à afficher tout de suite au grand jour pour un programme idéologique parmi tous ceux dont les tenants s’affrontent ou se sont affrontés.

Car le discours d’orientation politique du 2 octobre 83 ne donne que des indications politiques au CNR qui n’est qu’un organe suprême de décision et non l’instance d’un parti ayant élaboré un programme politique et idéologique permettant à la Révolution d’évoluer idéologiquement selon la farouche volonté de clarification manifestée par le peuple. Là encore, les choses semblent claires, car la dispute a eu lieu et une ligne juste s’est dégagée.

Le choix est donc loin d’être compliqué. Sa concrétisation est indispensable, car cela constituera une clarification de vue aux yeux de beaucoup de militants qui ignorent que c’est ça le fruit de la lutte idéologique : “faire passer sa ligne politique et idéologique au détriment des autres après un âpre combat d’idées”. La situation actuelle montre que c’est presque fait, puisque des voix se sont éteintes et des lignes politiques et idéologiques sont rejetées avec force et fracas.

En conséquence il est erroné que des voix s’élèvent d’un peu partout pour inviter la Révolution ou le CNR à faire table rase sur les organisations révolutionnaires dans leur ensemble sans distinction ou à les renvoyer dos à dos. Beaucoup de militants ne se rendent pas compte que cet éventuel renvoi dos à dos serait une négation pour la lutte de certaines de ces organisations, qui a permis à la Révolution de s’orienter dans la bonne direction.

Par ailleurs ce renvoi dos à dos constituerait un appel à un rejet systématique de toute ligne idéologique au profit d’une politique d’unité nationale ou tous les “amateurs nageurs politiques” n’hésiteraient pas à se jeter à l’eau pour faire de la révolution une mare aux canards. Cette conception politique est dépassée. L’alignement derrière le CNR n’exclut pas le choix d’une ligne politique et idéologique.

Ce choix d’ailleurs permettra à la révolution et au CNR d’échapper au vide idéologique et à la “navigation” à vue ; vide et navigation à vue qui ne doivent même pas être envisagés, car dialectiquement parlant un choix s’impose. Il appartient aux militants de le savoir pour éviter le cul de sac où l’on pourrait se retrouver si pour eux la dissolution du 1er gouvernement le 19 août 84, signifie mise d’une croix sur tout ce qui n’a pas été envisagé dans le discours d’orientation. La Révolution d’août ne saurait politiquement et idéologiquement flotter en comptant seulement sur les bonnes volontés.

Ces bonnes volontés ont besoin de s’appuyer sur un support idéologique pour rester cohérentes et politiquement claires. C’est d’ailleurs par le choix idéologique et politique matérialisé quelque part que le CNR se renforcera en apparaissant comme une sorte de mouvement de masse aux yeux des militants à défaut d’un parti catalyseur.

En effet, sans programme idéologique, les exigences populaires actuelles vis-à-vis de l’équipe gouvernementale qui doit être parfaite, risquent d’amener sous peu cette nouvelle équipe à mettre en sourdine les problèmes idéologiques. Personne n’osant élever la voix.

Ce qui la jettera probablement dans un pragmatisme sans esprit révolutionnaire conséquent tendant à résoudre seulement des problèmes administratifs pour plaire en évitant de heurter la moindre sensibilité. Les débats d’idées s’émousseront pour laisser place au piétinement politique où la Révolution sera appelée à ne résoudre que des problèmes au jour le jour sans une véritable projection dans l’avenir.

Pour prévenir cette éventualité le pragmatisme d’où qu’il vienne a besoin d’être associé dans le cadre de la Révolution d’août à un esprit révolutionnaire soutenu par une idéologie prolétarienne conséquente c’est-à-dire un programme idéologique. Sinon l’on évitera difficilement l’amalgame au sommet et partant à tous les niveaux de la révolution.

Chose contraire à la volonté actuelle de clarification. Pour l’an II de la Révolution démocratique et populaire, la maîtrise du pouvoir et son contrôle, l’élimination des opportunistes, la constitution d’une base révolutionnaire avec le prolétariat à sa tête en alliance avec la paysannerie et la sauvegarde des intérêts du peuple commandent qu’un programme idéologique et politique se dégage dans un cadre politique structuré pour définitivement enterrer les lignes politiques erronées qui sont dans le coma au Burkina Faso.

En conséquence, la Révolution d’août a besoin d’une bonne route pour avancer, car le discours d’orientation apparaît dans la phase actuelle comme son bâton sur lequel elle s’appuie. Quant aux esprits idéologiquement neutralistes qui s’agitent par inconscience politique, ils ont besoin d’être freinés dans leur élan.

Babou Paulin BAMOUNI

Cet article “La révolution d’Août et la phase actuelle” de Babou Paulin Bamouni est apparu en premier sur Thomas Sankara.


“Mort de Sankara : enfin toute la vérité” de Sennen Andriamirando

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Nous publions ci-dessous une enquête du Sennen Andriamirado, grand reporter à Jeune Afrique, publié dans le mensuel Jeune Afrique Magazine en décembre 1987.

Sennen était devenu un ami de Sankara avec qui il parlait en toute franchise. Il a même publié deux ouvrages qui lui sont consacrés, “Sankara le rebelle” dont la présentation se trouve à l’adresse  et “Il s’appelait Sankara” dont la présentation se trouve à l’adresse. Nous vous invitons à aller y lire nos commentaires sur les enquêtes de Sennen Andriamirado.

Ce qu’il faut savoir c’est que Sankara avait demandé à Sennen de venir le voir dans les mois qui précédaient son assassinat mais ce dernier n’avait pas pu. Lorsqu’il a pu venir, après l’assassinat, il a fait son enquête dans des conditions difficiles puisque la plupart des partisans de Sankara étaient en prison. C’est probablement d’Harouna Traoré, le seul rescapé parmi les collaborateurs de Sankara, présents ce jour-là, qu’il a pu recueillir le récit de l’assassinat.

Blaise Compoaré qu’il connaisait aussi très bien a refusé de le recevoir tandis que les autorités du pays lançaient une campagne pour le salir.

Dans les autres premiers articles qu’il a publiés dans l’hebdo Jeune Afrique, il avance clairement l’hypothèse d’un complot extérieur, qu’il réfute dans l’ouvrage “Il s’appelait Sankara”.

Bruno Jaffré


Pourquoi a-t-il été tué ? Par qui ? Et comment ? Parce qu’il voulait rassembler en un vaste front les différents mouvements révolutionnaires et créer une force spéciale d’intervention attachée à sa personne, Thomas Sankara a été assassiné. Avec préméditation. De sang froid. Jeune Afrique avait promis de faire la lumière sur sa fin tragique : voici comment il a vécu ses dernières heures tandis que ses ennemis exécutaient leur plan. Dès le début, les ordres étaient clairs : « Il faut le neutraliser à tout prix. — Et s’il résiste ? — Anéantissez-le. »

AVT_Sennen-Andriamirado_7146par Sennen Andriamirado envoyé spécial publié dans N°43 de Jeune Afrique Magazine de décembre 1987

C’est le 27 mai 1987 que Thomas Sankara a signé son arrêt de mort. Ce mercredi-là, il a réuni tous les dirigeants des organisations participant au Conseil national de la révolution (CNR) : l’ ULC (Union des luttes communistes), l’ULC-R (Union des luttes communistes -Reconstruites), l’UCB (Union communiste burkinabé), le GCB (Groupe communiste burkinabé) et l’OMR (Organisation militaire révolutionnaire). L’idée du président est alors d’amener tous ces groupes, à la fois partenaires et rivaux, vers l’unité. Bien que les chefs de tendances craignent la création d’un parti unique, ils acceptent de signer une déclaration de principe sur la nécessité (révolutionnaire) de s’unir, y compris par l’auto-dissolution éventuelle des groupes.

Il y a pourtant déjà des divergences : l’ULCR demande la réintégration de la LIPAD (Ligue Patriotique pour le Développement NDLR) , le groupe marxiste le plus ancien, au sein du CN R et, par-delà, au sein du front marxiste-léniniste qui serait à créer ; l’UCB, au contraire, se déclare hostile à tout élargissement de l’actuel CNR et propose une sélection très sévère des groupes qui doivent y être maintenus. La tentative d’union commence donc par une nouvelle guerre de chapelles, voire par un ostracisme renforcé. Mais Sankara croit toujours que lorsqu’une cause est juste, tout le monde finit par y adhérer.

En juin 1987, le capitaine Blaise Compaoré, numéro deux du régime, est en voyage à l’extérieur pour trois semaines, dont deux en Chine. Il est accompagné du capitaine Pierre Ouédraogo, secrétaire général national des CDR (Comités de défense de la révolution). Au cours de leur périple, les deux hommes ont tout loisir de discuter de « la nouvelle lubie » du PF (président du Faso). Tous deux, promoteurs et protecteurs de l’UCB, appréhendent que « l’union par l’élargissement » voulue par Sankara n’aboutisse à noyer les groupes marxistes les plus durs : le président est tenté de proposer non seulement à la LIPAD mais aussi à l’UNAB (Union nationale des anciens du Burkina), à l’UNPB (Union nationale des paysans du Burkina) et même au Mouvement pionnier (qui regroupe des enfants jusqu’à l’adolescence) de participer au vaste Front qu’il préconise. Il n’a d’ailleurs pas avoué son idée secrète : il se sent prisonnier d’un CNR trop fermé et l’intégration de nouveaux groupes, même non politiques et surtout pas marxistes, pourrait banaliser les groupuscules rivaux membres du Conseil.

A son retour à Ouagadougou, dans la première semaine de juillet, Blaise Compaoré confie à Sankara ses inquiétudes et, surtout, le prévient du danger que présenterait un parti unique. Le président cède et reconnaît qu’un parti monolithique serait contraire à sa propre idée de la révolution et de la démocratie.

C’est ainsi que, le 3 août 1987, lors d’un « Direct avec le peuple » à la télévision, il rectifie sa position : « Une unité ne se décrète pas, elle s’assume comme une démarche volontaire, une démarche militante. » Mais les divergences de tendances provoquent déjà des affrontements sur le terrain. A l’Université, à l’Asecna, des militants de l’ULCR et de l’UCB en viennent presque aux mains. Encore optimiste, Sankara se contente de banaliser les incidents : « II faut simplement voir ces luttes, ces affrontements, comme étant la volonté de résoudre les contradictions. » Hors du Burkina, on considère aussi ces incidents comme des querelles coutumières entre groupuscules marxistes.

Une autre tradition, propre au Burkina celle-ci, va cependant envenimer le climat politique. Se cachant derrière des dénominations fantaisiste (Association de camarades honnêtes ou Association des démocrates unis, etc.), les groupes rivaux se lancent dans une guerre des tracts, dont Ouagadougou a le secret.
Rien n’est épargné à personne. Même les protecteurs, supposés des frères ennemis, ont droit aux diffamations les plus ignobles. Sankara, Compaoré, Lingani et Zongo deviennent, à tour de rôle, des cibles privilégiées. Accusés de corruption, de népotisme, de détournements de fonds ou d’obsession sexuelle. Malgré l’outrance et la grossièreté des tracts, les quatre chefs historiques de la révolution burkinabé en arrivent à se soupçonner les uns les autres.

Le 3 septembre 1987, un tract particulièrement ordurier à l’encontre de Sankara et de son épouse est discuté lors d’une réunion de l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR). Réunion houleuse au cours de laquelle de jeunes officiers proclament : « Quiconque s’attaque au président du CNR s’attaque à la révolution. » Et d’accuser indirectement « Blaise Compaoré et autres » d’être à l’origine du tract. C’est l’époque où les fidèles de Sankara commencent à craindre une tentative de putsch du capitaine Biaise (voir J.A. n° 1400 du 4 novembre 1987). Ce dernier, en minorité au sein de l’OMR, demeure militairement l’homme fort : les commandos de Pô, dont il est le seul patron depuis 1981, lui vouent une fidélité absolue.

Sankara ne croit pas qu’un coup d’Etat réussirait contre lui. Ses amis non plus qui estiment en revanche qu’un attentat n’est pas à exclure. Ils soumettent au président un projet de parade : mettre sur pied une force d’intervention qui relèverait non de l’armée mais du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité et qui s’appellerait FIMATS. Le ministre est précisément Nongma Ernest Ouedraogo, ami d’enfance et frère adoptif de Sankara. Pour entraîner et diriger cette force dont les deux cents hommes seront triés sur le volet, on fera appel à celui qui n a de dieu que Sankara : Vincent Askia Sigué, un baroudeur au passé trouble dont le seul savoir consiste à se battre ou à tuer.
Sigué n’est pas militaire mais pour commander la Force d’intervention, il faut lui attribuer un grade. Celui, de sous-lieutenant, préconise Sankara. Une erreur. Dans l’armée, il l’a oublié, on ne badine pas avec les grades et surtout, le commandant Jean-Philippe Lingani, chef des Forces armées, et le capitaine Blaise Compaoré ne veulent pas faire un tel cadeau a un Sigué que tous craignent et que beaucoup détestent.

Sankara a tout de même compris que l’opposition de ses compagnons à la mise sur pied de la Force et à la nomination de Sigué à sa tête cache une autre crainte : le PF disposerait désormais non seulement d’une protection « blindée » mais aussi d’une redoutable force de frappe. L’hostilité a remplacé la méfiance autour des deux seuls sujets de discorde : l’élargissement du CNR en un vaste Front dont les 120 membres seraient élus parmi toutes les organisations ; la création de la Fimats.

Le 1er octobre à 2 h 30, les quatre chefs historiques sont réunis à la présidence du Faso. Comme d’habitude, le capitaine Henri Zongo essaie de concilier les positions. En vain. Le lendemain 2 octobre, à Tenkedogo, Thomas Sankara et Blaise Compaoré président la célébration du quatrième anniversaire du « Discours d’orientation politique ». Plusieurs personnes prennent la parole dont un étudiant, Jonas Somé, sympathisant de l’UCB et protégé de Blaise Compaoré. La déclaration préparée par l’étudiant a reçu l’aval du secrétaire général national adjoint des CDR, le lieutenant Hien Kilimité, lui-même membre de l’UCB. Jonas Somé attaque sur le thème de l’unité prônée par Sankara : « L’unité, la tolérance, etc. Avec qui et pourquoi faire ? » Et d’enchaîner : «L’unité dans la révolution démocratique et populaire doit se faire avec les révolutionnaires conséquents et leurs amis pour faire des bonds en avant et non pour reculer » Sankara, furieux de cette résurgence publique de l’ostracisme, prend le dernier la parole et répond à l’étudiant et, à travers lui, à l’UCB et à Compaoré : « L’objectif de la révolution n’est pas de disperser les révolutionnaires. L’objectif de la révolution est de consolider nos rangs. Nous sommes huit millions de Burkinabé, nous devrons avoir huit millions de révolutionnaires. » Et il précise : « Il ne faut pas dire que tel groupe est bon et que tel autre est mauvais. Il nous faut un front large de rassemblement des composantes du peuple. Il faut gagner même les réactionnaires. Il faut aller à eux et les amener à travailler pour la révolution démocratique et populaire. »

Le 7 octobre à Ouagadougou, le Conseil des ministres est présidé par Biaise Compaoré. Thomas Sankara finit par arriver et revient sur « l’incident » public de Tenkedogo. Il y a vu une manœuvre de quelques « camarades sectaires ».

Le lendemain, 8 octobre, les quatre chefs historiques sont à nouveau en conclave. Ils parlent toujours des deux sujets de discorde : l’élargissement du CNR et la création de la FIMATS. Cette fois, Sankara est seul contre trois. Il quitte la réunion, traitant ses amis de sectaires et d’ambitieux.

Le 14 octobre, le Conseil des ministres adopte, en l’absence de BLaise Compaoré parti à Pô au milieu de ses para-commandos, le nouvel organigramme du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité. Ainsi sera créée la FIMATS. Les deux cents hommes de cette force sont, en vérité, déjà en formation au camp de Loumbila, à la sortie est de Ouagadougou. Il reste à les équiper. Dans la journée de ce même mercredi 14 octobre, du matériel militaire commence à être transféré du camp de la gendarmerie et de celui de Kamboinse vers Loumbila. Quand le soir Blaise Compaoré rentre à Ouagadougou, il a décidé d’agir. Ce sera demain ou jamais. Il a déjà donné ses instructions à ses commandos de Pô.

Ce matin du 15 octobre 1987, Thomas Sankara s’est levé tôt comme d’habitude. D’ailleurs, il a peu dormi. Jusqu’à 3 h du matin, il a écrit. A 7 h, il est déjà au téléphone. Séance de gymnastique. Pas de petit déjeuner. Douche.
Vers 10 h, le président du Faso appelle un de ses amis étrangers, alors en Afrique centrale. Puis un autre l’appelle d’Europe. Aux deux, il ne parle que d’un seul sujet : « Un article paru dans tel journal publié à Dakar est d’une malveillance évidente. C’est un tissu de mensonges. On m’accuse d’avoir fait exterminer des gens, comme Sékou Touré et même d’avoir exécuté des colonels qui n’ont jamais existé. Ça sent le coup monté. Comment répondre ? » On lui dit de ne pas répondre. Mais il est quand même très énervé, se disant que l’ article en question paraît au pire moment : à Ouagadougou, lui comme ses compagnons d’armes sont depuis plusieurs semaines l’objet de tracts orduriers et l’article lui donne l’impression de vouloir préparer l’opinion publique africaine à il ne sait trop quoi. Pour se relaxer, il va faire « des pompes » sur son balcon. C’est là que le surprend un de ses conseillers qui lui demande s’il cherche à se détendre parce qu’il y a des tensions entre ses camarades et lui. Sankara a alors cette phrase : « Les tragédies des peuples révèlent les grands hommes mais ce sont les médiocres qui provoquent ces tragédies. »

Et il se remet à lire le rapport de synthèse qu’on lui a préparé sur le « Code de conduite révolutionnaire» qu’il a l’intention de proposer ce soir, à 20 h, à ses trois compagnons de la direction du Conseil national de la révolution (CNR) : Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Boukary Lingani et Henri Zongo. Ce Code se base sur l’acceptation, signée le 27 mai 1987 par tous les groupes membres du CNR, de s’auto-dissoudre dans un Front qui remplacerait le CNR.

A 12 h, il reçoit Jonas Somé, cet étudiant qui, le 2 octobre dernier à Tenkedogo, lui a porté publiquement la contradiction en se prononçant contre l’élargissement du CNR et pour un nouveau sectarisme. Le PF lui répète ce qu’il avait dit ce jour-là : « Chaque fois que nous nous enfermons dans l’idée que seul un groupe est valable et que tout le reste n’est que lamentation, c’est là que nous nous retrouvons isolés. C’est là que nous compromettons la révolution. » Jonas Somé, protégé de Biaise Compaoré, s’explique jusqu’à 14 h avec le président. Lequel lui dit à la fin de l’entretien : « Je considère que l’incident est clos. Tu peux le dire à Blaise. » Et il rentre chez lui.
Mariam Sankara a déjà fini de manger. Le président se met à table et demande à sa femme de lui lire un rapport qu’il n’a pas eu le temps de parcourir jusqu’au bout. Vers 15 h, Mariam étant partie au travail, Sankara fait sa sieste.

Peu avant 16 h, Mariam téléphone. On lui dit que le président est réveillé mais qu’il est sous la douche. Elle attend, puis le président, ayant enfilé son survêtement de sport, bavarde quelques minutes au téléphone avec elle.

Entre-temps, des commandos venus de Pô ont relevé, comme tous les quinze jours, ceux des leurs qui, depuis le 1er octobre, assuraient la garde du Conseil de l’Entente, siège officiel du CNR et du gouvernement. Ça ressemble à une relève normale. A cette nuance près que les nouveaux arrivants, commandés par le lieutenant Gilbert Guenguéré, adjoint du capitaine Blaise Compaoré en tant que commandant du Centre des para-commandos de Pô, ont cette fois une mission historique : « Neutraliser à tout prix le PF. » Certains d’entre eux avaient osé une question : « Et s’il résiste ? » Réponse : « Anéantissez-le. »

Aucun officier ne reconnaît aujourd’hui avoir donné cet ordre. Mais le terme est propre aux commandos. Et Blaise Compaoré lui-même l’employait quand, à propos de l’exécution de putschistes condamnés à mort en juin 1984, il disait : «Ils voulaient nous tuer. Nous les avons anéantis. » Anéantir veut dire abattre, donc tuer. Ces hommes sont des fidèles de Blaise Compaoré jusqu’à la mort. C’est lui qui les a formés. Ils n’ont rien à voir avec Thomas Sankara qui a quitté le commandement du centre de Pô en février 1981. Pour l’heure, ils ont reçu un ordre : anéantir, s’il le faut, Thomas Sankara.

Ils ordonnent aux civils qui travaillent au Conseil de l’Entente de quitter les lieux. A la résidence présidentielle, Thomas Sankara reçoit un autre appel téléphonique : on l’attend pour la réunion qu’il avait convoquée à 16 h au Conseil de Entente. Ses conseillers sont déjà sur place : Paulin Bamouni, Patrice Zagré, Frédéric Tiemdé, Harouna Traoré. Le PF confirme à celui qui le rappelle ainsi à ordre : « J’arrive tout de suite. » Quelqu’un — la même personne, selon certains témoignages — prévient alors Biaise Compaoré par téléphone : « Le PF quitte la résidence. Il arrive au Conseil. » II est 16 h 10.

Blaise — qui n’est pas au lit contrairement à ce qu’il dira — quitte son domicile, se rend lui-même le volant de sa Peugeot 504, traverse en trombe les « Champs-Elysées » (le boulevard de la Révolution), Passe devant l’ambassade de France et Disparaît. Trois minutes après, il fait le Chemin inverse, cette fois encadré par des Commandos armés jusqu’aux dents et se dirige à toute vitesse vers l’aéroport de Ouagadougou. Ses hommes l’attendent dans une villa de la SOCOGIB (une société immobilière), face au salon d’honneur présidentiel de l’aérogare. Il s’y embusque, talkie-walkie dans une main, Kalachnikov dans l’autre. Sur la piste de l’aéroport, un avion attend, prêt à décoller au cas où il en aurait besoin.

Au même moment, le président Thomas Sankara, ayant quitté sa résidence et après avoir contourné par l’arrière le Palais d’Etat (la présidence du Faso), arrive au Conseil de l’Entente. Il est assis à droite du chauffeur dans sa Peugeot 205 noire dans laquelle ont également prix place deux de ses gardes du corps. Dans une Renault 5 — noire également — trois autres gardes (plus-le chauffeur) ont suivi. Les deux voitures se garent, à 16 h 15, devant le pavillon « Haute-Volta » du Conseil de l’Entente. Thomas Sankara met pied à terre, s’engouffre, accueilli par ses conseillers et suivi de ses gardes dans le pavillon.
Certains de ses compagnons terminent de fumer une cigarette devant l’entrée quand Sankara leur dit de l’intérieur : « Dépêchez-vous ! Il faut commencer. » II est 16 h 20 quand des coups de feu éclatent à l’extérieur. « Qu’est-ce que c’est ? » interroge le président qui se lève et entend une voix lui ordonner : « Sortez de là ! Sortez les mains en l’air. » Sankara laisse échapper un soupir, dit à ses compagnons : « Restez, restez ! C’est moi qu’ils veulent. » Et il sort les mains en l’air, pour voir de face les assaillants. Son chauffeur et un de ses gardes restés à l’extérieur ont déjà été tués par les premières rafales. A peine est-il sur le perron du pavillon qu’il est abattu de deux balles dans la tête et de dix autres dans le buste. Ses compagnons sont également abattus. Mais contrairement à ce que nous avions cru comprendre, aucune grenade n’a été utilisée.

Treize cadavres gisent sur la maigre pelouse du Conseil de l’Entente. Des compagnons du PF, il reste deux survivants, deux de ses gardes qui ne l’avaient pas suivi dans le pavillon : Bossobe Traoré, blessé, et Zourma Ouedraogo dit Otis, indemne. Un troisième a fait le mort : Harouna Traoré.
En entendant le bruit des tirs, depuis le siège du Conseil burkinabé des chargeurs où elle travaille, Mariam téléphone au Conseil de l’Entente pour demander ce qu’il se passe. Le standardiste lui répond : « Je ne sais pas du tout. Je suis à l’intérieur et je ne vois rien de ce qui se passe à l’extérieur. » Par le téléphone, Mariam entend encore mieux les rafales. Elle ne sait pas encore qu’elle est veuve. Elle dément aujourd’hui avoir jamais téléphoné à Blaise à ce moment-là : « Je voulais parler à mon mari, avoir de ses nouvelles ! Pourquoi aurais-je téléphoné à Blaise et non à mon mari ? »

Blaise Compaoré, lui, toujours en alerte près de l’aéroport, sait déjà. Par talkie-walkie, le lieutenant Guenguere lui a annoncé : « Opération terminée. » Blaise insiste pour avoir des détails et s’entend confirmer : « Le PF est mort. Tous ses compagnons aussi. » II est 16 h 30. Blaise Compaoré s’effondre et s’isole dans une pièce de la villa. Comme quelqu’un qui, ayant assassiné un être cher, refuse a posteriori d’admettre son acte.

17 h. Mariam Sankara sort de son bureau et bavarde dans la rue avec une amie. Elles sont en train de plaisanter quand une voiture banalisée de la gendarmerie freine devant elle. Le chauffeur lui dit d’embarquer tout de suite, sans pouvoir lui expliquer pourquoi. Voyant que ses deux enfants — Philippe et Auguste — sont déjà dans la voiture, ne cherchant plus à comprendre, elle embarque. Elle passera sa première nuit de veuve chez son frère.

18 h. Ayant quelque peu récupéré, le capitaine Blaise Compaoré arrive enfin au Conseil de l’Entente. Depuis une heure et demie, les corps de Thomas Sankara et de ses douze compagnons sont à terre. Personne n’a voulu, ou osé, y toucher. Compaoré ordonne de les enlever et de les enterrer.

18 h 30. Radio Ouagadougou annonce le renversement de Thomas Sankara, la dissolution du CNR et la création du Front populaire. Président : le capitaine Blaise Compaoré.

Sennen Andriamirado

Décembre 1987

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Blaise Compaoré justifie l’assassinat de Thomas Sankara

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Interview publiée dans Jeune Afrique du 4 novembre 1987

Jeune Afrique : Vous avez désormais sur la conscience, et sans doute pour toute votre vie, la mort de votre meilleur ami, Thomas Sankara.

Blaise Compaoré : J’aurais pu l’avoir sur la conscience si j’avais ordonné de l’abattre. Or ce n’est pas le cas. C’est pour avoir voulu nous liquider, Jean-Baptiste Lingani, Henri Zongo et moi, qu’il s’est fait abattre par des soldats qui me sont fidèles.

JA: Maintenant qu’il est mort, vous ne risquez pas d’être contredit.

BC:I Il est mort, et c’est bien dommage en effet. Nous les Africains, nous sommes très sensibles à la mort. C’est d’ailleurs pourquoi même ceux qui pouvaient le détester affichent une certaine consternation. Je suis moi-même très triste, parce que la mort de Thomas n’était pas la condition sine qua non pour régler les sérieux problèmes qui se posaient à notre révolution.

JA: Alors qui l’a tué, et pourquoi ?

BC: Les soldats qui partaient pour l’arrêter ont été obligés de faire usage de leurs armes lorsque Thomas Sankara et sa garde personnelle ont ouvert le feu sur eux.

Qui avait ordonné de l’arrêter ?

Les soldats ont pris eux-mêmes cette initiative, quand ils ont été contactés pour participer à notre arrestation et à notre élimination.

JA: Dans votre armée, n’importe quel militaire peut ainsi décider d’arrêter le chef de l’Etat, sans y avoir été invité par ses supérieurs ?

BC: Ils m’ont expliqué, après le drame, qu’ils savaient que je n’aurais pas accepté de faire arrêter Thomas s’ils venaient m’annoncer que celui-ci préparait notre assassinat, à 20 h ce jeudi 15 octobre.

JA: Pourquoi ?

BC: Connaissant mon amitié pour lui, ils savent que je n’aurais pas pris une telle décision sans preuve des projets du président.

JA: Quelles preuves avez-vous aujourd’hui pour excuser la dramatique initiative de vos soldats ?

BC: Lorsque je suis arrivé au Conseil de l’Entente après la fusillade et que j’ai vu le corps de Thomas à terre, j’ai failli avoir une réaction très violente contre ses auteurs. Cela aurait sans doute été un carnage monstre dont je ne serais certainement pas sorti vivant. Mais quand les soldats m’ont fourni les détails de l’affaire, j’ai été découragé, dégoûté. Je suis resté prostré pendant au moins vingt-quatre heures. De plus, j’étais malade et dans mon lit quand les coups de feu m’ont réveillé.

JA: Et vous avez ordonné d’aller l’enterrer sommairement dans le cimetière des pauvres, à dix kilomètres de Ouagadougou ?

BC: Non ! J’avoue que je ne me suis pas occupé de cela. Dans mon esprit, les corps des victimes devaient être transportés à la morgue et être restitués ensuite à leur famille. C’est seulement le lendemain que j’ai appris qu’ils avaient été enterrés à Dagnien. Thomas Sankara ne peut pas être enterré ailleurs qu’au cimentière des militaires. Le Front populaire va d’ailleurs prendre les dispositions qu’il faut pour cela.

JA: Pourquoi n’a-t-on pas demandé d’explications à ceux qui l’ont tué ?

BC: Vous savez, nous sommes des militaires. Thomas a personnellement vidé son chargeur. Le seul gendarme qui ait été abattu dans cette fusillade l’a été par le président. On ne peut pas reprocher à des militaires de riposter quand on tire sur eux. D’autre part et contrairement à vous, les journalistes étrangers, notre préoccupation première a été de proposer tout de suite quelque chose de concret à notre peuple, pour poursuivre la révolution et ne pas risquer de tomber dans les travers qui ont conduit au drame que nous déplorons tous

JA: Que proposez-vous, à présent, à votre peuple ?

BC: Quand j’ai demandé à mes hommes pourquoi ils avaient arrêté Sankara sans me le dire, ils ont répondu que s’ils l’avaient fait, j’aurai refusé. Et c’est vrai. Je savais que mon camp politique était fort. Thomas ne contrôlaient plus l’Etat. Je n’avais plus besoin de faire un coup d’Etat. Mais mes hommes ont pris peur quand ils ont appris l’après-midi que nous devions être arrêté à 20h.

J’ai assumé, sans chercher plus loin, les conséquences de leur acte.

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Messages au Président du CNR, Président Du Faso à l’occasion de l’an IV de la RDP

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De son excellence M. Chadli Bendjedib, président de la république démocratique et populaire d’Algérie, secrétaire général du parti du Front de libération nationale.

À son excellence le capitaine Thomas Sankara, président du Conseil national de la Révolution, Président du Faso.

Monsieur le Président et cher frère,

La célébration, par le peuple burkinabè, de la révolution du 4 août, m’offre l’heureuse occasion d’adresser, au nom du peuple algérien, de son parti le Front de libération nationale, de son gouvernement et en mon nom personnel, mes vœux les plus sincères de bien-être et de bonheur pour vous-même et mes plus chaleureuses et sincères félicitations au peuple burkinabè.

Nous formons le vœu ardent que le peuple burkinabè sous votre sage conduite emporte encore davantage de succès et de victoire dans l’édification d’une société de progrès et de prospérité.

Je saisis cette opportunité pour vous réitérer la volonté et la disponibilité de l’Algérie à œuvrer pour consolider encore davantage les relations excellentes qui existent entre nos deux peuples.

Je voudrais aussi vous faire part de la satisfaction de mon pays pour la qualité exemplaire de nos relations bilatérales et pour le dialogue fécond et constructif qui a toujours prévalu entre l’Algérie et le Burkina Faso.

L’Algérie, de concert avec votre pays, s’efforcera toujours de concrétiser les idéaux de paix, de justice et de liberté qui sont contenus dans notre charte continentale et auxquels les peuples africains aspirent si ardemment.

Très haute et fraternelle considération.

Chadli Bendjedid, Président de la République, Secrétaire général du parti du FLN


 

Message du président de la république populaire de Chine Li Xiannian

À son Excellence le capitaine Thomas Sankara, Président du Conseil national de la révolution, Président du Faso et Chef de l’État du Burkina Fao, Ouagadougou.
À l’occasion du 4ème anniversaire de la fête nationale du Burkina Faso,, je tiens à adresser, au nom du gouvernement et du peuple chinois ainsi qu’au mien propre, à vote excellence et, à travers vous, au gouvernement et au peuple burkinabè, mes chaleureuses félicitations et meilleurs vœux.

Pendant les quatre années écoulées, sous la direction de votre excellence, le gouvernement et le peuple burkinabè faisant rayonner l’esprit de lutte ardue, ont déployé des efforts inlassables dans l’édification du pays et obtenu des succès réjouissants. Je voudrais vous souhaiter de tout cœur de faire des progrès encore plus grand dans votre marche en avant.

La Chine et le Burkina Faso sont des pays amis. Nous constatons avec satisfaction que les relations d’amitiés et de coopération entre nos deux pays se développent dans de bonnes conditions.

Nous sommes persuadés que grâce aux efforts conjugués de nos deux parties, ces relations ne manqueront pas de se consolider et de se renforcer encore davantage.

Je souhaite prospérité au Burkina Faso et Bonheur à son peuple.

Que soit éternelle l’amitié entre les peuples chinois et burkinabè.

Li Xiannian Président de la république populaire de Chine.


Du Président du Conseil d’État de la République socialiste du Vietnam, Vo Chi Cong.

À l’occasion du 4ème anniversaire du jour de la révolution du Burkina Faso, je tiens à adresser à votre excellence, au Conseil national de la révolution et au peuple burkinabè tout entier mes chaleureuses félicitations.

Le peuple vietnamien se réjouit vivement des grandes réalisations remportées par le peuple burkinabè dans la consolidation de son indépendance nationale comme dans l’édification d’un Burkina Faso prospère. Il lui souhaite sincèrement de nouveaux succès plus grands encore, apportant ainsi une contribution positive à la lutte commune des peuples des pays africains et du monde entier pour la paix, l’indépendance nationale et le développement.

Puissent la solidarité de combat et les relations d’amitié entre nos deux peuples se consolider et se promouvoir chaque jour davantage.

Très haute et militante considération

Hanoi le 03 août 1987

Vo Chi Cong Président du Conseil de l’État de la République socialiste du Vietnam.


Du général Joao Bernardo Viera, Guinée Bissau.

À son Excellence le capitaine Thomas Sankara, Président du Conseil national de la révolution, Président du Faso, Chef du gouvernement – Burkina Faso ; Ouagadougou.
La célébration du 4ème anniversaire de la Révolution démocratique et populaire dans votre pays m’offre l’agréable occasion d’adresser, camarade président et cher frère, mes sincères félicitations.

Je me réjouis que les relatons d’amitié et d’estime réciproque qui existent entre nos deux peuples continuent à encourager et à favoriser le développement d’une coopération saine et mutuellement avantageuse entre nos deux pays.
Haute et fraternelle considération.

Général Joao Bernardo Viera, Président du Conseil d’État de la République de Guinée Bissau.


Du Secrétaire général de la Ligue des États arabes, Chedli Klibi.

À son Excellence monsieur le Président Thomas Sankara, président de la république – Ouagadougou – Burkina Faso
J’ai l’honneur de vous adresser à l’occasion de la célébration du 27ème anniversaire de l’indépendance du Burkina Faso mes plus vives félicitations et mes vœux les meilleurs pour votre bonheur personnel, le progrès et la prospérité du peuple burkinabè frère.

Je voudrais également saisir cette excellente occasion pour vous redire le profond attachement de la ligue et des États membres aux liens de solidarité qui les unissent à la communauté africaine et leur souci de renforcer dans tous domaines leurs rapports de coopération et de concertation avec l’OUA. Il me plaît de même de souligner l’excellence des relations arabo-burkinabè et de rendre hommage aux positions d’avant-garde que vous ne cessez de défendre au service des causes de la justice et de la liberté notamment celles des peuples sud-africains namibien et palestinien.

Très haute considération.

Chedli Klibi Secétaire général de la Ligue des États arabes.


De Didier Ratsiraka, président de la République démocratique de Madagascar.

À son excellence le capitaine Thomas Sankara, président du Conseil national de la révolution, président du Faso – Ouagadougou.
À l’occasion du quatrième anniversaire de la Révolution démocratique et populaire de votre pays, et de la restauration de sa souveraineté, il m’est particulièrement agréable de vous adresser au nom du peuple malgache, de son pouvoir révolutionnaire et en mon nom personnel mes félicitations les plus chaleureuses. Je formule les vœux les meilleurs pour votre bonheur personnel, pour la prospérité du peuple burkinabè, pour le renforcement des relations d’amitié, de solidarité et de coopération entre nos deux pays, afin que triomphent nos deux révolutions.
Très haute et fraternelle considération.

Didier Ratisiraka, Président de la république démocratique de Madagascar.


De Mathieu Kerekou, président de la République populaire du Bénin

Camarade Président et cher frère,

Au moment où le peuple frère du Burkina Faso célèbre dans la ferveur révolutionnaire le 4ème anniversaire du déclencheent de sa révolution, il nous est particulièrement agréable de vous adresser nos très vives, fraternelles et militantes félicitations.
Le peuple béninois, son parti d’avant-garde, le parti de la révolution populaire du Bénin et son conseil exécutif se joignent à nous-même pour vous exprimer la haute appréciation des efforts inlassables que vous ne cessez de déployer à la tête du Conseil national de la révolution pour le bien-être du peuple burkinabè, pour l’avènement d’une Afrique libre, unie et prospère. Convaincu que vous poursuivez résolument ces efforts, nous vous assurons de notre entière disponibilité à œuvrer dans le sens du développement continu et de l’amélioration des solides liens de solidarité, d’amitié et de coopération qui unissent déjà nos deux peuples et nos deux pays.

En vous réitérant nos fraternelles et militantes félicitations, nous vous prions d’agréer, camarade président et cher frère, l’expression de notre haute considération.

Mathieu Kérékou, président du CC du Parti de la révolution populaire du Bénin,
Président de la république, Chef de l’État, président du Conseil exécutif national.


De M. François Mitterand, président de la République française.

À son excellence Monsieur le capitaine Thomas Sankara, président du CNR, président du Faso – Ouagadougou.
À l’occasion de la fête nationale du Burkina Faso, j’ai l’honneur de vous adresser, Monsieur le Président, mes chaleureuses félicitations et tous mes souhaits pour vote bonheur personnel et pour l’heureux avenir du peupe burkinabè.
Je forme des vœux pour que les liens anciens d’amitié et de coopération qui unissent nos deux pays se resserrent encore dans une atmosphère de confiance et de respects mutuels.

François Mitterrand, président de la République française.

Source : Sidwaya n° 827 du 4 août 1987.

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Communiqué conjoint CNR – Front Polisario, 15 octobre 1984

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Publié dans Carrefour africain n°853 du 19 octobre 1984.

Sur invitation du camarade capitaine Thomas Sankara, président du Conseil national de la révolution, président du Faso et chef du gouvernement, le frère Mohamed Abdelaziz, secrétaire général du Front Polisario et président de la République arabe sahraouie démocratique, a effectué une visite officielle au Burkina Faso du 14 au 15 octobre 1984.

Le président Mohamed Abdelaziz et l’importante délégation qui l’accompagnait ont reçu de la population burkinabè un accueil fraternel et chaleureux.

Au cours des entretiens qui se sont déroulés dans une atmosphère de fraternité, d’amitié et de compréhension mutuelle, les deux chefs d’État ont procédé à un vaste tout d’horizon sur la situation tant au niveau bilatéral qu’international. Les deux délégations se sont félicitées de la parfaite identité de vue qui s’est dégagée de ces entretiens.

Au plan bilatéral, les deux présidents ont exprimé avec force leur satisfaction pour l’excellence des relations entre les deux peuples et pour l’identité des objectifs des deux révolutions. Ils ont réaffirmé [avec] force leur ferme détermination à œuvrer pour que le peuple sahraoui recouvre toute sa souveraineté, prix du sang versé par les dignes fils sahraouis au cours des combats héroïques qu’ils continuent de livrer à la horde des suppôts de l’impérialisme que sont les forces expansionnistes et hégémonistes marocaines.

Ils ont par ailleurs convenu de mettre en place un mécanisme de consultation périodique en vue de réaliser l’indépendance totale et le bien-être socioéconomique de leurs peuples respectifs.

Au plan africain, le camarade président du Faso et le président de la République arabe sahraouie démocratique ont déploré les conflits de tous ordres qui secouent l’Afrique. Ils ont souligné avec satisfaction l’engagement révolutionnaire des peuples sahraouis et burkinabè à combattre toutes les forces rétrogrades pour que triomphent la cohésion et l’unité du continent.

Concernant le conflit qui oppose la République arabe sahraouie démocratique au Royaume du Maroc, les deux présidents condamnent fermement le refus marocain du plan de paix décidé à l’unanimité par la 19ème conférence au sommet des chefs d’État de l’OUA, et dénonce l’intransigeance du Maroc qui constitue le seul obstacle devant l’établissement de la paix dans la région nord-ouest africaine.

Ils rejettent sur le Maroc la lourde responsabilité de la non application de la résolution AAG_104 (XIX) du 19ème sommet de l’OUA, et appellent tous les pays africains à assumer leur responsabilité face à la poursuite de la guerre d’agression marocaine contre le peuple de la République arabe sahraouie démocratique.

À propos du Tchad, les deux chefs d’État ont pris acte de la décision de retrait simultané des troupes étrangères qui, espèrent-ils, marque une étape décisive vers une solution heureuse au douloureux conflit fratricide qui déchire ce pays depuis deux décennies. Ils encouragent d’une part les pays concernés à concrétiser leur décision de retrait et d’autres part les frères Tchadiens à se retrouver autour d’une table de négociations pour instaurer la paix et sauvegarder l’unité du Tchad, matérialisant ainsi les efforts louables de l’OUA et ceux de la République du Congo tendant à réunir les parties tchadiennes à Brazzaville.

En ce qui concerne la situation en Afrique australe, les deux chefs d’État ont condamné avec vigueur la farce constitutionnelle que le régime raciste et barbare sud-africain impose à la communauté internationale avec la bénédiction de ses alliés occidentaux. Ils ont réitéré leur conviction qu’aucune solution pacifique ne peut être envisagée dans cette partie du continent tant que la majorité noire n’aura pas acquis le libre exercice de ses droits.

Ils ont salué avec respect le sacrifice des dignes combattants de la liberté en Afrique du Sud, symbole de courage et de détermination, tombés notamment à Brazzaville et à Soweto sous les balles du régime inhumain et fasciste de Pretoria.

Ils ont réaffirmé leur soutien indéfectible à la lutte héroïque que mène l’ANC pour le triomphe de la liberté et de la dignité. S’agissant de la Namibie, les deux chefs d’État ont souligné leur attachement au respect et à l’application des résolutions pertinentes des Nations unies, notamment la résolution 435 (1978) du Conseil de sécurité. Ils ont condamné toutes les tentatives visant à contourner ladite résolution et à lier l’indépendance de la Namibie au retrait des forces cubaines d’Angola et ont réaffirmé leur soutien total à la Swapo, seul et authentique représentant du peuple namibien.

Au plan international les deux chefs d’État se sont déclarés profondément préoccupés par la situation extrêmement grave qui prévaut au Moyen-Orient. Ils ont condamné les manœuvres combinées de l’impérialisme et du sionisme qui ont visé non seulement l’expulsion de sa patrie le peuple palestinien, mais aussi, à la suite d’agressions barbares successives, la réalisation et le maintien de l’occupation militaire et l’annexion de vastes territoires de plusieurs pays arabes. Ils ont apporté leur soutien à la lue courageuse du peuple palestinien sous la direction de unique et authentique représentant, l’OLP.

Les deux chefs d’État ont exprimé leur solidarité militante aux peuples du Nicaragua et du Salvador qui, les armes à la main, luttent farouchement contre les forces impérialistes pour asseoir leur indépendance véritable.

Au terme de son séjour au Burkina Faso, le frère Mohamed Abdelaziz a exprimé ses vifs remerciements à son frère et ami, le camarade président Thomas Sankara, au Conseil national de la révolution, au gouvernement et au peuple burkinabè tout entier pour l’accueil chaleureux et l’hospitalité dont lui-même et sa délégation ont été l’objet durant leur séjour.

Fait à Ouagadougou, le 15 octobre 1984.

Pour la République arabe sahraouie démocratique,

Mohamed Abdelaziz

Secrétaire général du Front Polisario et président de la république arabe sahraouie démocratique

Pour le Burkina Faso,

Capitaine Thomas Sankara

Président du Conseil national de la révolution, président du Faso, chef du gouvernement

 

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Communiqué conjoint Sankara – Denis Sassou N’guesso du 22 février 1986

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Nous vous présentons ci-dessous un document historique sur les relations entre la République Populaire du Congo et le Burkina Faso. Fidèles que nous sommes à notre projet de livrer au public le maximum de documents sur la révolution.

Il convient cependant de rappeler que Sassou N’guesso est depuis devenu un président emblématique de la Françafrique, opprimant son peuple et enrichissant sa famille, grâce notamment au pétrole exploité dans son pays. Il se présentait à l’époque comme un révolutionnaire.

Ainsi la justice française, sous l’impulsion de plusieurs ONG ayant porté plainte pour “biens mal acquis”, enquête sur la façon dont il a bâti son patrimoine, comme elle enquête sur les fortunes accumulés par d’autres présidents ou ex-présidents.

La rédaction


Sur invitation du camarade Thomas Sankara, président du Conseil national de la révolution, chef du gouvernement révolutionnaire du Burkina Faso, le camarade Denis Sassou N’guesso, président du Comité central du Parti congolais du travail, président de la République populaire du Congo, chef du gouvernement, a effectué une visite de travail au Burkina Faso du 20 au 22 février 1986.

Les liens de fraternité et d’amitié profonds qui unissent les peuples burkinabè et congolais, leur attachement à la lutte anti-impérialiste, ainsi qu’aux mêmes idéaux de paix et de démocratie, ont valu au chef de l’État congolais, ainsi qu’à la délégation qui l’accompagne, un accueil particulièrement chaleureux et enthousiaste de la part du peuple burkinabè mobilisé au sein des Comités de défense de la révolution.

Au cours de son séjour, le chef de l’État congolais s’est rendu à Bobo-Dioulasso où il a reçu un accueil populaire, rencontré des responsables et visité des réalisations socio-économiques.

Le camarade Thomas Sankara a eu avec son illustre hôte des entretiens en tête-à-tête qui se sont déroulés dans l’atmosphère de fraternité et de cordialité qui a toujours caractérisé les relations entre les deux pays.

Au cours de ces entretiens, les deux chefs d’État ont procédé à un large tour d’horizon et à un échange de vue tant sur les questions de coopération bilatérale que sur les principaux problèmes internationaux.

Ont pris part à ces entretiens,

– du côté burkinabè :

Les camarades capitaine Blaise Compaoré, ministre d’État délégué à la présidence du Faso, ministre de la justice ; capitaine Pierre Ouédraogo, secrétaire général national des Comités de défense de la révolution ; chef de bataillon Boukary Jean-Baptiste Lingani, commandant en chef du Haut-commandement des Forces armées nationales, ministre de la défense populaire ; Basile Laetare Guissou, ministre des Relations extérieures et de la Coopération ; Béatrice Damiba, ministre de l’Environnement et du Tourisme ;

– du côté congolais :

Les camarades Antoine N’dinga Oba, membre du bureau politique du Parti congolais du travail, ministre des Affaires étrangères ; Jean-François Bembet, membre du Comité central du Parti congolais du travail ; Douniam Ossebi, ministre de l’Économie forestière.

Sur le plan bilatéral, les deux présidents se sont félicités des succès remportés par les deux révolutions. Dans ce cadre, le président Thomas Sankara a fait un exposé succinct sur la mobilisation de plus en plus forte du peuple burkinabè, ce qui a permis des réalisations socio-économiques importantes, notamment en matière d’agriculture, de maîtrise de l’eau, d’habitat et de protection de l’environnement.

En réponse, le président de la République populaire du Congo a félicité les vaillants militants du Burkina Faso pour la lutte acharnée qu’ils ont résolument engagée contre le sous-développement et ses conséquences aliénantes qui sont : la pauvreté, l’analphabétisme et la malnutrition.

Les relations entre les deux pays ont fait l’objet d’un examen attentif. Les deux présidents se sont félicités de leur évolution heureuse et de leur qualité ; ils ont convenu de mettre tout en œuvre pour les renforcer davantage afin de les amener à un niveau de développement conforme aux aspirations de leur peuple.

Dans ce contexte, les deux chefs d’État ont relevé la dimension de l’importance de l’accord général de coopération entre le gouvernement du Burkina-Faso et le gouvernement du Congo, et constaté avec satisfaction la tenue régulière des réunions de la grande commission mixte de coopération qui existe entre les deux pays.

Au plan international, les deux présidents ont relevé avec satisfaction leur similitude de vues sur l’ensemble des problèmes évoqués, et réaffirment leur volonté commune d’œuvrer pour une paix durable en Afrique et dans le monde. À cet égard, ils ont renouvelé l’indéfectible attachement de leurs deux États à la charte de l’Organisation des Nations Unies, à celle de l’OUA et aux principes fondamentaux de non alignement.

En abordant tout d’abord la situation en Afrique, ils ont constaté avec satisfaction qu’en dépit des obstacles que leur impose l’impérialisme, le colonialisme et le néocolonialisme, les peuples africains ne cessent de renforcer de grandes victoires dans la réalisation et le parachèvement de leur indépendance politique et économique.

Examinant la situation en Afrique australe, les deux chefs d’État ont condamné les manœuvres impérialistes visant à perpétuer l’hégémonie du régime colonialiste et raciste de Pretoria en Afrique australe, en tentant de maintenir le système inhumain de l’apartheid, en retardant l’indépendance de la Namibie et en exerçant une pression continue sur les pays dans la région.

À cet égard, les deux présidents ont réaffirmé leur engagement ferme aux côtés du peuple d’Afrique du Sud, ce sous la direction de l’ANC, pour faire de 1986, l’année de l’assaut final contre l’apartheid et pour la proclamation d’un État libre et démocratique en Afrique du Sud.

Ils ont renouvelé avec force leur soutien indéfectible et leur solidarité agissante au peuple frère de Namibie dans son combat libérateur sous la direction de la SWAPO.

Ils ont lancé un appel pressant à la communauté internationale afin que les résolutions de l’ONU et de l’OUA sur l’Afrique du Sud et de la Namibie soient appliquées dans les meilleurs délais. Ils ont demandé notamment l’application immédiate de la résolution 635 du Conseil de sécurité sur l’indépendance de la Namibie, et rejeté le lien artificiel et fallacieux entre cette indépendance et le retrait des troupes cubaines d’Angola. Ils ont condamné l’aide massive accordée par certains pays à Jonas Savimbi, allié patenté du pouvoir raciste en vue de semer la mort et la désolation, et aussi de contrecarrer les efforts de reconstruction nationale entrepris en Angola, pays africain indépendant, membre de l’OUA, de l’ONU et du mouvement des pays non alignés.

Ils ont enfin exprimé leur solidarité et décidé d’apporter leur soutien aux pays de la ligne de front dans leur lutte contre les agressions du régime de Pretoria et lancent un appel pressant à tous les peuples africains afin qu’ils apportent leur aide matérielle et morale à ces pays.

Abordant la question tchadienne, les deux présidents ont exprimé leur profonde préoccupation devant la recrudescence des combats et les risques d’internationalisation du conflit. Ils ont condamné avec vigueur les interventions étrangères dans ce pays et demandé le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Tchad. Ils lancent un appel à toutes les parties tchadiennes pour promouvoir de toute urgence une réconciliation nationale sous l’égide de l’OUA.

Le camarade président du Faso a félicité le camarade Denis Sassou N’guesso pour ses inlassables efforts en faveurs de la paix du Tchad. En ce qui concerne le Sahara occidental, ils ont réaffirmé leur soutien aux résolutions de l’OUA et demeurent convaincus que seule la négociation directe entre le Maroc et le Front Polisario, conformément à la résolution 104/ANG du 19e Sommet de l’OUA et aux résolutions 39/40 et A/40/906 de l’ONU portant reconnaissance des droits internationaux du peuple sahraoui, de résoudre le problème.

Faisant le point sur la situation au Moyen-Orient, les chefs d’État ont réitéré leur soutien indéfectible et constant au peuple palestinien sous la direction clairvoyante de l’OLP pour la création d’un État palestinien libre et indépendant, conformément aux résolutions pertinentes des Nations-Unies. Ils ont condamné les complots de toutes sortes visant à liquider la cause palestinienne.

Ils ont dénoncé et condamné énergiquement la collaboration croissante et l’alliance odieuse qui existe entre Israël et le régime raciste d’Afrique du Sud, surtout dans les domaines militaire et nucléaire qui mettent en danger la paix et la stabilité de l’Afrique et du monde entier.

En ce qui concerne la situation entre l’Iran et l’Irak, ils lancent un appel pressant afin que les armes se taisent et que les deux pays frères règlent leurs problèmes autour d’une table de négociation.

Analysant la situation politique internationale, les deux chefs d’État ont réaffirmé leur conviction quant à la nécessité pour les peuples de resserrer leurs rangs dans la lutte contre l’impérialiste et pour l’avènement d’un monde de paix et de liberté conforme à leurs aspirations.

Ils ont également exprimé leur intime conviction que la sauvegarde de la paix et de la sécurité dans le monde passe incontestablement par l’instauration d’un nouvel ordre économique international, mettant fin à la domination et à l’exploitation que les pays industrialisés imposent aux pays en voie de développement. À cet égard, ils ont insisté sur l’importance du renforcement des relations économiques interafricaines et sur la complémentarité des économies des États africains.

Les deux dirigeants réaffirment leur engagement révolutionnaire à pratiquer un internationalisme militant et conséquent, basé sur la lutte implacable contre la réaction, l’impérialisme et pour le bonheur des peuples dans leur liberté.

Les deux présidents se sont félicités du climat de franchise et de fraternité révolutionnaire qui a caractérisé leur échange de vues et ont salué les résultats positifs auxquels ils sont parvenus dans les domaines politique, économique, culturel et de l’information. Ils ont insisté sur la nécessité de poursuivre de telles concertations afin de consolider les liens d’amitié et de coopération qui unissent les deux pays.

À l’issue de son séjour au Burkina Faso, le président Denis Sassou N’guesso a, en son nom et au nom de la délégation qui l’accompagne, vivement remercié le peuple burkinabè, le Conseil national de la révolution et le gouvernement révolutionnaire pour l’accueil chaleureux et authentiquement africain qui leur a été réservé.

Fait à Ouagadougou, le 22 février 1986.

Pour la République populaire du Congo,

Le président du Comité central du Parti congolais du travail,

Président de la République du Congo,

Denis Sassou N’guesso

Pour le Burkina Faso,

Le président du Conseil National de la révolution,

Président du Faso,

Chef du gouvernement,

Capitaine Thomas Sankara

Carrefour africain N° 924 du 28 février 1986

 

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Sankara et Cuba : articles et photos de la presse cubaine

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Notre ami Antonio Mele a effectué un séjour à Cuba. Il a pu nous ramener un certain nom de photocopies des journaux de l’époque, en particulier des articles qui rendent compte des visites de délégations burkinabè à Cuba. Nous en donnons ici une synthèse en français avec les liens vers les photocopies des articles en espagnol que nous avons aussi reproduits sur le site. Nous en avons aussi extraits les photos que nous publions aussi ici.
A noter que nous avons aussi pu récupérer par la même occasion une interview audio de Sankara à Radio Habana en français. Vous pouvez l’écouter sur notre site à l’adresse http://thomassankara.net.

Tous nos sincères et chaleureux remerciements à La Radio La Habana à Cuba qui nous a permis d’accéder à ses archives et de photocopier les documents, mais aussi à Antonio Mele qui a pu les récupérer et à Antonio Lozano qui a synthétiser les articles.

La rédaction du site.


Voyage de Thomas Sankara à Cuba, interviews et articles du 25 septembre au 1 octobre 1984, avant de se rendre à l’Assemblée générale de l’ONU

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Accompagnent Sankara : Basile Guissou, Addou Salam Kaboré, Kiallo Moussa, Cristophe Saba, Sékou Guissi, Hiemé Filmete, Michel Kouma, Seydou Traoré, Boureima Compaoré.

Les articles sur le voyage officiel au Cuba informe sur :
– La visite à l’ Ile de la jeunesse, où Sankara a rencontré des élèves des écoles internationalistes, notamment de nombreux namibiens. Une grande fête s’est célébrée avec des choeurs, entre eux un d’enfants burkinabés. Sankara était accompagné de plusieurs ministres et autorités.
– La décoration à Sankara de la part de Fidel Castro de l’ordre José Martí. Les remerciements de Sankara au peuple et au gouvernement cubains.

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– La visite à Santiago, ses sîtes historiques et des centres de production, ainsi qu’une école où il a parlé avec professeurs et élèves.

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– Les conversations officielles entre les deux délégations, présidées par Fidel et Sankara. La visite à des sîtes d’intérèt dans la capitale.
– Le communiqué conjoint, dans lequel s’exprime le soutien au Nicaragua, la critique à l’impérialisme, l’inquiétude pour la crise économique mondiale et ses effets sur les pays du Tiers-Monde, le soutien au peuple saharaoui, la critique à la politique expansioniste d’Israel, l’importance et la validité de l ‘OUA, la solidarité révolutionnaire avec le peuple de Vietnam, la condamnation de l’apartheid, entre autres sujets, et les deux délégations se félicitent du climat d’entente entre les deux pays.

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Après l’Assemblée générale de l’ONU, Sankara s’arrête de nouveau à Cuba

Il y a également deux petites notes dans ce groupe qui annonce le passage de Sankara et sa délégation à l’aéroport de La Havane, où il est reçu par Fidel Castro et plusieurs membres de sa délégation, au retour de l’Assemblée Générale de L’ONU.

Ces articles sont disponibles en espagnol dans leur version originale à http://thomassankara.net/?p=869


Interview de Thomas Sankara à Radio Habana publiée dans Granma le 14-7-86, « La révolution se consolide au Burkina Faso ».

Le journaliste fait d’abord une brève description de la révolution burkinabé, ses débuts et ses objectifs.

« Nous devons lutter contre l’apartheid non pas parce que nous sommes noirs, mais parce que nous sommes des êtres humains et non pas des animaux. Et parce que dans le cadre de la lutte de classe, nous avons choisi la classe du futur, des travailleurs, la classe qui fait les hommes libres, prospères et heureux », telle est une des réponses de Sankara au sujet de l’apartheid. Il cite également les actions du Burkina contre l’apartheid.

Le journaliste lui demande d’envoyer un message à Mandela, et Sankara dit qu’aucun être humain ne désire la souffrance et le martyre, mais que quand ceux ci se font pour améliorer la vie des autres, celui qui le souffre ne peut que se sentir heureux., parce qu’il produit pour l’Humanité une sève vivifiante.

Sankara énonce également une liste des réussites de la révolution, notamment dans le terrain de l’éducation et la santé.

L’interview est disponible en espagnol dans sa version originale à l’adresse http://thomassankara.net/?p=821

et en français à http://thomassankara.net/nous-pouvons-compter-sur-cuba-1987/


Visite de Thomas Sankara à Cuba en novembre 1986

Articles du 10 au 12 novembre 1986 sur la visite de Thomas Sankara à Cuba

– Granma, 10 novembre : Raúl Castro reçoit Thomas Sankara à l’aéroport José Martí, en provenance du Nicaragua, où il s’est réuni avec les autorités sandinistes. Raúl recevait en même temps Gerardo Iglesias, alors secrétaire général du Parti Communiste espagnol, en provenance également du Nicaragua.

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Rencontre avec Raoul Castro

-Granma, 11 novembre : Rencontre avec Raúl Castro, dans un climat de cordialité. Avant, Sankara avait visité une école dans l’Ile de la Juventud, où 600 élèves du Burkina poursuivent leurs études.Il demanda aux élèves d’être disciplinés pour accomplir la mission qui leur a été demande : le pays a besoin de techniciens et des spécialiste et là est le but de leur présence au Cuba. Il remercia les autorités cubaines pour la collaboration dans le terrain de la formation.

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Visite à l’Ile de la jeunesse

– Granma, 12 novembre : Dans une recontre avec la presse, Sankara affirme que les plus grands succès de la Révolution se trouvent dans les transformations politiques et la nouvelle mentalité du burkinabé. Il souligne que 250 petits barrages ont été construits, ainsi que 1700 classes pour lutter contre l’analphabétisme, et que deux millions d’enfants ont été vaccinés. La lutte sans merci contre la corruption est un autre des succès de la Révolution. Il condamne la visite de Botha en France et l’appartheid, et exprime sa profonde reconnaisance envers le peuple et le gouvernement cubains pour sa solidarité avec le Burkina Faso.
– Granma, 12 novembre : Raúl Castro accompagne Sankara à l’aéroport pour son départ. Le Ministre des AAFF, Risquet, souligne que Sankara est un jeune infatigable absolument engagé avec les pauvres et le développement de son pays.

Ces articles sont disponibles en espagnol dans leur versione originale à http://thomassankara.net/?p=889


Interview de Sankara publiée le 4 aout 1987 dans Granma : « Cuba, très proche de nous »

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Au début de l’interview, le journaliste fait une introduction sur la révolution burkinabé. Il informe sur le passage de Sankara au gouvernement de Ouédraogo mais avec certaines imprécisions, en disant par exemple qu’il a été nommé premier ministre par la droite pour l’amadouer, et que vu que celle ci ne réussit pas ils l’ont destitué (Ils ne parlent pas de coup d’état ni du poids des officiers progressistes dans le gouvernement).

Une partie de l’interview se centre sur les relations burkinabé-cubaines. Sankara se montre heureux d’avoir pu rencontrer Castro, qui était très sollicité, à New Dheli lors de la conférence des non-alignés. Castro a tout de suite compris l’importance de la révolution burkinabé et l’a soutenu dès le début. Sankara parle également de la formation de burkinabé au Cuba et des programmes de coopération.

Sankara décrit certains aspects de la révolution et parle de Lumumba comme d’un symbole et dit que les réactionnaires africains qui n’ont pas su apprécier son oeuvre à cette époque étaient des misérables.

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A la question de s’il répèterait les mèmes actions après 4 ans de révolution s’il fallait commencer à nouveau, Sankara dit que non, qu’il corrigerait les erreurs et ferait mieux les chose, mais qu’il n’abandonnerait jamais la révolution.

L’interview est disponible en espagnol dans sa version originale à l’adresse http://thomassankara.net/?p=820


L’assassinat de Sankara dans la presse cubaine

Nous avons ici deux articles parus quelques jours après l’assassinat de Thomas Sankara. Le premier, dans Prensa latina le 22 octobre 1987, annonce la fin d’une semaine de deuil au Ghana, qui coïncide avec la visite d’une délégation « de bonne volonté » du nouveau gouvernement burkinabé. L’article mentionne également une visite au Sénégal pour expliquer les raisons du coup d’état et des manifestations contre celui-ci tenues à Dakar et à Brazaville. Il informe qu’un lycée de Brazza portera le nom de Thomas Sankara et reproduit les mots de Sassou Nguesso : « L’Afrique a perdu un grand combattant ». Finalement, l’article informe sur l’état de siège à Ouaga et que les pélerinages au cimetière où a été enterré Sankara ne cessent pas. D’autre part, le Mouvement pour la Nouvelle Réforme, de l’opposition, annonce qu’aucune divergence interne ne peut justifier cet assassinat.

Le deuxième article est apparut dans Granma le 21 octobre. Il transmet les explications de Compaoré au sujet de la mort de Sankara. Il parle d’une action préventive et annonce la prochaine publication du plan d’action du Front Populaire 15 octobre, critique avec la révolution. Il annonce que les professeurs licenciés lors de la grève reprendront leur poste. Il explique que de fortes dissenssions existaient au sein du gouvernement depuis un an, basées fondamentalement sur les questions organisatives de la révolution. Compaoré dit également qu’il a essayé d’employer son amitié avec Sankara pour résoudre le problème pacifiquement, mais que cela n’a pas été possible et que le jour du coup d’état, Sankara avait prévu de le fusiller avec d’autres membres du CNR. Sankara, dit Compaoré, avait décidé en juin la dissolution de toutes les organisations de gauche et il s’était opposé parce que cela signifiait une radicalisation de la révolution.

Ces articles sont disponibles en espagnol dans leure version originale à http://thomassankara.net/?p=819

Déclaration sur les procès des dignitaires de la IIIème République et du CMRPN (3 janvier 1984)

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Le 3 janvier 1984 marque le début de la délimitation des contours du caractère catalyseur des tribunaux populaires de la révolution (TPR). Adama Traoré, porte-parole du gouvernement délimite l’esprit et l’objet des assises des TPR.

Peuple révolutionnaire de Haute-Volta,

Ainsi donc, comme tu le sais maintenant, les tribunaux populaires de la révolution vont commencer les procès des dignitaires de la IIIème République et du CMRPN [[Comité militaire de redressement pour le progrès national. Le CMRPN a mis fin à la IIIeme république par un coup d’Etat militaire dirigé par Sayé Zerbo le 25 novembre 1980. C’est un autre coup d’Etat le le 7 novembre 1982 qui y a mis fin.] à partir du 3 janvier 1984, date anniversaire du soulèvement populaire contre le régime néocolonial de Maurice Yaméogo, un régime d’indignité, de soumission, de gabegie, de gaspillage, de dilapidation, de jouissance et de détournements crapuleux des biens du peuple. C’est donc à juste titre que le Conseil national de la révolution et le gouvernement révolutionnaire ont choisi cette date historique pour rendre hommage à cette juste révolte du 3 janvier 1966 et te donner en même temps l’occasion, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, de te rendre justice toi-même, directement sans détours, en dehors du carcan de la justice hypocrite bourgeoise et de son système inextricable de procédures pompeuses et volontairement mystificatrices.

Peuple révolutionnaire de Haute-Volta, ainsi donc pour la première fois dans ton histoire, tu as conquis avec la Révolution du 4 août la possibilité et les moyens de juger toi-même ceux-là qui depuis bientôt 40 ans, au service du colonialisme, puis du néo-colonialisme, en alliance étroite avec les forces les plus rétrogrades et les plus obscurantistes t’ont dominé, opprimé, exploité, humilié, bâillonné et bradé.

Les dirigeants de la IIIème République et du CMRPN, c’est en somme cette faune de politiciens réactionnaires et leurs acolytes cupides sans scrupules et toujours pressés d’amasser des fortunes et qui s’enrichissaient effrontément sur le dos du peuple, prétendaient parler en son nom ou défendre ses intérêts après avoir acheté la conscience des masses avec l’argent escroqué, surtout pendant les farces électorales organisées pour donner un semblant de légitimité à leur pouvoir antipopulaire. Les dirigeants de la IIIème République et du CMRPN, ce sont ceux qui, sous le colonialisme, puis le néocolonialisme français vendaient aux enchères les bras du peuple travailleur à leurs maîtres ou amis planteurs capitaliste de la Côte. Ce sont ceux qui non contents de cette vente aux enchères de la force de travail de notre peuple, le spoliaient cyniquement des maigres biens que son courage, sa ténacité et son ardeur au travail lui permettaient d’acquérir. Les dirigeants de la IIIème République et du CMRPN, c’est au total cette horde de politiciens véreux et d’arrivistes notoires spécialisés dans la magouille et dans les escroqueries, prompts à détourner les biens du peuple pour assouvir leur cupidité et leur caprice du jour.

Certains d’entre eux, légers et frivoles indécrottables, bons jouisseurs, qui se croyaient couverts par la bénédiction des forces obscurantistes, non satisfaits de voler les biens du peuple n’ont pas hésité à recourir à la violence et à la répression systématique contre le peuple et tous ceux qui, dans les organisations révolutionnaires ou démocratiques de masse, protestaient contre leur façon malhonnête de gérer les biens de l’État et exigeaient le respect des biens du peuple.

Les biens du peuple sont une chose sacrée. Notre peuple les acquiert toujours à la sueur de son front et parfois même au prix de son sang. Et c’est bien parce que ses biens doivent lui permettre d’obtenir le minimum indispensable pour une vie plus décente que le peuple accepte ces sacrifices. Il attend légitimement en retour des dirigeants qu’ils en prennent un grand soin et qu’ils les utilisent de la meilleure façon pour améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la nation. Il est donc tout à fait inadmissible, tout à fait impardonnable que des individus parvenus au pouvoir bien souvent par la seule vertu du larbinisme, de l’aplatissement et de la corruption, gaspillent, dilapident, détournent à leur profit, dans un esprit égoïste de jouissance personnelle les biens du peuple, ou les monnayent contre les pots-de-vin tout en méprisant le peuple du dedans de leurs voitures ou villas luxueuses frauduleusement acquises.

La révolution doit rendre au peuple, intégralement au peuple tout ce qui doit lui appartenir. C’est là un des objectifs de la Révolution du 4 août. C’est là aussi le sens profond des tribunaux populaires de la révolution. Et c’est pourquoi tous les Voltaïques, tous les militants et militantes de la Révolution d’août ont une immense responsabilité dans le déroulement et l’aboutissement correct des procès qui vont bientôt commencer. Dans un attachement profond aux objectifs de la révolution, dans un souci de faire triompher enfin la justice et l’intérêt de notre peuple, chaque Voltaïque, homme ou femme, jeune ou vieux tous ensemble victimes de l’ancienne politique réactionnaire, doit aider les tribunaux populaires de la révolution à éclairer d’un jour cru le comportement et les agissements réels par rapport à la gestion des biens sacrés du peuple, de chacun des dignitaires de la IIIème République, du CMRPN et de leurs nombreux acolytes poursuivis.

Peuple révolutionnaire de Haute-Volta, à travers ces procès, ce que la Révolution d’août veut assurer c’est que désormais, plus jamais en Haute-Volta, aucune autorité, aucun responsable, aucun fonctionnaire de l’État, aucun citoyen ne pourra espérer jouir impunément du fruit des détournements crapuleux des biens du peuple.
Pour cela, le peuple voltaïque doit se convaincre que c’est à lui seul que reviennent la tâche et la responsabilité de veiller comme sur la prunelle de ses yeux au respect par chacun et par tous des biens du peuple.

Les tribunaux populaires sont aujourd’hui et doivent rester le moyen efficace aux mains de notre peuple pour faire respecter ses droits et ses biens et faire rendre gorge à ceux qui l’ont dépouillé en infligeant vigoureusement et rigoureusement à ceux-là les sanctions exemplaires appropriées.

Vive les tribunaux populaires de la révolution.

Vive la révolution.

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

Ce discours a été retrouvé par Daouda Coulibaly. Qu’il soit ici chaleureusement remercié.


Témoignage de Blaise Compaoré sur l’exécution d’Henri ZONGO et du Commandant LINGANI par Diendéré : « Je n’ai pas à avoir pitié des traîtres »

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Le document ci-après est extrait du magazine Jeune Afrique daté du 30 octobre 1989. Il nous a été remis (en version photocopiée) par un doyen aujourd’hui à la retraite, un inconditionnel de L’Ouragan qui l’a gardé soigneusement pour l’Histoire, pour la génération future comme preuve d’atteinte grave aux droits humains sous le le long et inutile règne du vampire Blaise Compaoré et de son chef tortionnaire Gilbert Diendéré. C’est une interview que le capitaine Blaise Compaoré avait accordée à notre doyen et confrère Jeune Afrique au lendemain de l’ignoble assassinat du commandant Jean-Baptiste Boukary Lingani et du capitaine Henri Zongo. Actualité politique nationale oblige, notre fidèle lecteur a souhaité partager le contenu de ce document de haute portée historique et à toutes fins utiles, avec les lecteurs de L’Ouragan. Peut-être qu’il pourrait aider la justice en cas d’un éventuel procès du général putschiste, Gilbert Diendéré et de son mentor et complice parfait, Blaise Compaoré, ex-homme fort du Burkina Faso. Blaise Compaoré donne ici sa version des faits avec une arrogance et une insouciance à vous donner des nausées. Lisez plutôt.

Ces commentaires sont de la rédaction ladepechedabidjan.info


Jeune Afrique : Pourriez-vous nous éclairer sur les conditions, demeurées jusqu’ici obscures, dans lesquelles furent exécutés vos deux anciens compagnons, Jean-Baptiste Boukary Lingani et Henri Zongo ?
Blaise Compaoré (BC) : Ces gens ont reconnu leur forfait. Ils ont été passés par les armes. C’est tout. Il n’y a pas autres éclaircissements à apporter.

Comme ces deux officiers n’étaient pas n’importe qui, dans la mesure où ils occupaient respectivement la deuxième et troisième place dans la hiérarchie de votre régime, il est tout de même difficile de voir qu’ils ont été exécutés sans que vous ayez eu votre mot à dire.
B.C. : Quand j’ai regagné Ouagadougou dans la soirée du 18 septembre, Lingani n’était pas arrêté.

Donc vous l’avez vu ce soir-là ?
B.C : Non, il était en fuite.
Lorsqu’il a su que son complot avait été découvert et qu’on venait l’arrêter, il a sauté par la fenêtre de son bureau. Pour aller se cacher en compagnie d’un de ses gardes du corps.

A quel moment a-t-il pris la fuite ?
B.C. : Aux alentours de 17heures, je crois. Je n’étais pas encore arrivé.

A quel moment le commandant Lingani a-t-il été arrêté?
B.C. : Tard dans la nuit, je crois.

Et le capitaine Henri Zongo ?
B.C. : Lui, je crois qu’il était parmi ceux qui étaient venus m’accueillir à l’aéroport. Ce dont je suis sûr, c’est que Zongo était présent à la réunion organisée en vue de m’expliquer ce qui avait été tramé contre moi. D’ailleurs il était assis à côté de moi pendant cette réunion.

Vous avez dit par ailleurs que vous ne savez pas comment vos deux anciens compagnons ont été exécutés.
B.C. : De toute façon, une fois arrêtée je ne pense pas qu’ils méritaient d’autres sanctions que l’exécution.
A supposer qu’ils aient été coupables de tentative de coup d’État, ils n’avaient pas eu le temps de mettre leur plan à exécution. Ce qui aurait pu constituer des circonstances atténuantes.
B.C. : ça, c’est votre point de vue. Pour ma part, je trouve qu’il est tout à fait normal qu’on leur applique le sort qu’ils avaient réservé aux autres.
Mais êtes-vous convaincu de leur culpabilité ?

B.C. : Du moment qu’ils ont reconnu eux-mêmes leur forfait, et ce sans contrainte d’aucune sorte, je n’ai pour ma part aucun doute là dessus.

Mais concrètement qu’ont-ils fait ? Ont-ils contacté des soldats, rassemblé des armes ou monté une opération précise ?
B.C. : Lingani était à la fois Chef d’état-major des armées et ministre de la Défense nationale. De part ces deux fonctions, il n’a pas à contacter des soldats ou à rassembler des armes. Pour faire le mal il suffisait tout simplement d’en prendre la décision. C’est ce qu’il a fait, il l’a reconnu.

Mais personne n’a vu les preuves de cette accusation.
B.C. : Nous avons des preuves irréfutables. Nous avons trouvé une liste de complices. Nous aurions pu la rendre publique. Si nous ne l’avons pas fait c’est parce que nous ne voulons pas faire tomber d’autres têtes. Mais la liste existe : elle est de la propre main de Lingani.

C’est tout ce que vous avez trouvé ?
B.C. : En plus de cette liste, nous avons trouvé un autre manuscrit de Lingani où il indiquait les mesures à prendre aussitôt après le coup d’Etat. (Blaise Compaoré nous alors brandi le bout de papier).

Devant quel tribunal Lingani et Zongo ont-ils été jugés ?
B.C. : Ils l’ont été jugé par un tribunal militaire autour duquel et pour des raisons de sécurité, nous n’avons pas voulu faire de publicité. Mais sachez que c’est un véritable tribunal militaire.

Ont-ils pu se défendre ?
B.C: Bien sûr. C’est ainsi d’ailleurs qu’ils ont fait les aveux enregistrés sur bandes magnétiques.

Des aveux sur une bande ne sont pas si convaincants …
B.C. : Eh bien, je peux vous dire qu’au Burkina les gens les ont crus, parce que tout le monde a reconnu les voix de Lingani et de Zongo.

Mais nul ne sait dans quelles conditions ces aveux ont été obtenus.
B.C. : Je vous assure que ces aveux n’ont pas été obtenus sous l’effet de la contrainte ou de la torture comme certains pourraient l’imaginer. D’ailleurs cela ressort parfaitement des voix des deux traîtres. Ils parlaient sur un ton calme et totalement responsable.

Pourquoi avoir condamné à mort des comploteurs dont le dessein n’avait abouti à aucune effusion de sang ?
B.C. : Je n’étais pas moi-même au tribunal, mais je pense que les juges ont eu suffisamment d’éléments entre les mains avant de prononcer la sentence de mort. Et s’il est vrai que la tentative n’a pas occasionné d’effusion de sang, il ne faut pas perdre de vue que leurs auteurs avaient bel et bien l’intention, eux, de verser le sang.

Pourquoi avez-vous précipité leur exécution ?
B.C. : Dès lors qu’ils ont été condamnés à mort, il fallait les exécuter. Puisqu’il a été établi qu’ils étaient coupables, je ne vois pas pourquoi il aurait fallu surseoir à leur exécution.

En tant que chef de l’État, vous aviez la possibilité de gracier les condamnés à mort, ne serait-ce qu’en souvenir du long parcours politique que vous avez eu avec eux.
B.C. : Cela dépend de l’appréciation que le chef de l’État fait de l’acte en cause. Étant donné le caractère criminel de celui-ci puisqu’il s’agissait de la sécurité de l’État, je n’ai pas cru devoir accorder la grâce aux condamnés. Et j’ai pris cette décision en toute conscience.

L’exécution de deux compagnons aussi proches ne vous empêche pas de dormir ?
BC : Si ceux que vous appelez de proches compagnons étaient morts alors que nous partagions les mêmes convictions, oui ça aurait pu provoquer chez moi des insomnies. Mais dès lors qu’ils avaient cessé d’être de fidèles et sincères compagnons, au point d’avoir basculés dans la traîtrise, eh bien leur disparition ne m’empêche pas de dormir. Pas du tout, alors.

L’indifférence de la population ne vous inquiète pas non plus ?
B.C. : Ce que vous prenez pour de l’indifférence n’est en fait qu’un signe de maturité, la preuve, s’il en est besoin de l’esprit de responsabilité du peuple burkinabè. Du reste cette attitude prouve que le sort des comploteurs n’intéressait nullement le peuple. Car ils ne représentaient rien à ses yeux.

Cela peut vouloir dire aussi que la manière dont les équipes dirigeantes se succèdent au pouvoir n’intéresse plus le peuple ?
B.C. : Pas du tout. Le peuple connait et soutient la ligne et le programme du Front populaire.

Ne pensez-vous pas que le peuple soit désormais si écoeuré par les moeurs politiques en vigueur qu’il préfère se réfugier dans l’indifférence ?
B.C. : C’est tout à fait le contraire. Le peuple burkinabè est croyez moi, pleinement engagé dans le combat libérateur qu’incarne le Front populaire.

Mesurez-vous la gravité des événements du 18 septembre 1989 ?
B.C : Quelle gravité ? Rien n’a changé ! « J’affirme que les aveux de Lingani et de Zongo n’ont pas été obtenus sous la torture. Contrairement à ce que certains ont imaginé » Ici, ni dans la vie du peuple, ni au des structures politique en place. Donc je ne vois pas à quoi vous faites allusion. Par contre, si le complot avait réussi, je vous concède que ç’aurait été très grave.

Parce que vous auriez été éliminé ?
B.C. : Non, pas du tout. Un révolutionnaire peut tomber à tout moment au champ d’honneur. Ce qui aurait été grave, c’est que la victoire des contre-révolutionnaires se serait traduite de notre révolution et de notre peuple.

Est-ce que vous mesurez à quel point ces exécutions ont terni l’image de votre pays. Pourquoi ne pas dire du continent africain tout entier.
B.C. : Je puis vous affirmer que l’image du Burkina et de l’Afrique aurait été plus ternie encore si le complot avait réussi.

Ne pensez-vous pas que ces événements servent indirectement vos ennemis ?
B. C. : Je ne me préoccupe pas tellement de savoir ce que pensent de moi mes ennemis qui sont après tout ceux du peuple burkinabè.

Ces événements rappellent étrangement ceux qui aboutirent à l’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987.
B.C. : Comme chacun sait, j’étais absent au moment où ces deux événements se sont produits.

C’est tout de même étrange !
B.C. : Il n’y a rien d’étrange là-dedans. Vous savez bien que Lingani et Zongo ont monté leur opération pendant que j’étais en visite officielle et que je ne suis rentré à Ouagadougou que le lundi 18 septembre aux alentours de 21 h 30.

Mais de nos jours le téléphone marche bien entre Ouagadougou et l’étranger. Qui dit que vous n’étiez pas en contact avec vos partisans restés sur place pour monter un piège dans lequel sont tombés vos deux anciens compagnons.
B.C. : Ecoutez-moi bien. Depuis Moscou ou Tokyo, je ne me souviens pas très bien, je n’ai pas eu de contact téléphonique avec Ouagadougou. Je crois que je n’ai eu téléphonique avec quelqu’un demeuré ici. Avec le capitaine Gilbert Diendéré durant tout mon déplacement figurez- vous que le seul qui m’ait appelé alors que je me trouvais à Moscou, c’est précisément Lingani.

Que vous a-t-il dit alors ?
B.C. : Rien d’important, rien que de simples banalités. Naturellement, j’étais loin de me douter qu’il préparait quelque chose contre notre révolution.

Vous n’avez pas eu de soupçons ?
B.C. : Il ne m’a rien laissé deviner.

Personne ne peut vous croire lorsque vous laissez entendre qu’en ce qui concerne les exécutions de Lingani et de Zongo comme dans l’assassinat de Sankara vous avez été mis devant le fait accompli.
B.C. : Je n’ai jamais prétendu avoir été mis devant le fait accompli dans ces derniers événements. L’exécution de Lingani et de Zongo a eu lieu alors que j’étais rentré à Ouagadougou. Ça c’est clair, je ne le nie pas. Tout comme il est clair que je n’ai pas voulu les gracier après leur condamnation à mort par un tribunal militaire régulier. Tribunal devant lequel, je vous le répète, tous deux ont pu longuement s’expliquer, se défendre avant de passer aux aveux.

Et vous ne regrettez d’avoir été aussi expéditifs ?
B.C. : Je n’ai aucun regret parce que j’ai conscience d’avoir servi, ce faisant, la révolution et le peuple burkinabè. C’est pour ça que je vis. Je n’ai pas à avoir pitié des traîtres.

Comme dans l’assassinat de Sankara, vous auriez pu chercher à établir toutes les responsabilités, en prenant tout le temps nécessaire, afin de clarifier les choses aux yeux de tout le monde.
B.C. : En période révolutionnaire comme c’est le cas au Burkina depuis août 1983, nous n’avons pas à nous embarrasser de ce fatras de procédures. Ce qui est clair, c’est que je suis dans un camp et les ennemis de la révolution sont dans un autre. La révolution voyez-vous, est un engagement de se sacrifier à tout moment. C’est une question de vie ou de mort. Il arrive que les contradictions au sein de la société soient telles que le sacrifice suprême devient un risque de tous les instants. C’est pourquoi, dès lors qu’il y a complot, c’est un camp ou l’autre qui gagne ou perd. C’est ainsi qu’avance le processus révolutionnaire de tout temps et sous tous les cieux.

Ce qui est également sûr, c’est qu’aux ennemis que vous vous étiez faits à la suite de l’assassinat de Sankara vont désormais s’ajouter les parents et partisans de Lingani et de Zongo. Cela ne vous inquiète-t-il pas ?
B.C. : Souvenez-vous du tollé qu’avait suscité la disparition de Thomas (entendez Thomas Sankara). Eh bien où sont aujourd’hui les ennemis de notre révolution qui étaient à l’époque ? Ils ont désarmé quand ils n’ont pas disparu. Ils ont renoncé à leurs actions parce que personne ne les suit. Personne ne les suit parce que leur combat n’est pas dirigé contre l’arbitraire et l’injustice. Voyez vous-même. Promenez- vous à travers tout le Burkina, vous verrez que personne ne manifeste un quelconque soutien à Lingani et Zongo. Ces gens ne représentaient rien ici.

Peut-être parce que lassé par les coups et contrecoups d’État qui se succèdent, le peuple ne croit plus à rien.
B.C : Notre peuple, croyez-moi est pleinement mobilisé derrière l’action et le programme du Front populaire.

Vous pensez que le peuple a déjà oublié Sankara ?
B.C. : Demandez au peuple ce qu’il pense des excès des mesures arbitraires et autres contraintes qu’incarnait Sankara vers la fin. Promenez-vous partout, interrogez les gens et voyez ce qui se réalise aujourd’hui à Ouagadougou comme à l’intérieur du pays. Cela se passe de commentaire. La confiance est revenue dans le pays. C’est l’essentiel. Pour tout vous dire, j’ignore si le peuple a oui ou non oublié Sankara. Mais je peux vous dire que j’ai envoyé dernièrement le père de Thomas (Thomas Sankara) se soigner à Paris. Il était malade : lorsque j’en ai été informé, j’ai pris les mesures nécessaires pour l’évacuer dans un hôpital parisien, afin qu’il y reçoive tous les soins que nécessite son état.

Avez-vous pleinement confiance en votre armée ?
B.C. : J’ai totalement confiance dans l’armée révolutionnaire burkinabè, parce qu’il s’agit d’une armée qui vit, agit et se comporte à partir de principes révolutionnaires.

Ne craignez-vous pas qu’elle ne se retourne un jour ou l’autre contre vous ?
B.C. : ça jamais ! Croyez-moi, plus personne ne peut désormais manipuler notre armée, parce qu’il s’agit d’une armée politiquement et idéologiquement mûre et parfaitement consciente. Il ne s’agit pas d’une troupe que n’importe quel aventurier assoiffé de pouvoir peut utiliser en vue d’assouvir ses ambitions personnelles. Ça, c’est fini et bien fini ici.

A l’occasion des derniers événements on a beaucoup parlé du capitaine Gilbert Diendéré ? Qui est-il par rapport à vous et qu’en pensez-vous ?
BC : Diendéré est un bon camarade, un révolutionnaire sincère qui exécute correctement les tâches que lui assigne la révolution. Beaucoup de journaux ont publié dernièrement des contre-vérités le concernant, en disant entre autres qu’il a été promu numéro deux après l’échec de la tentative de Lingani et Zongo. Et que c’est après ces événements qu’il est devenu secrétaire chargé de la défense et de la sécurité au niveau du Front populaire. Ça, c’est de la désinformation pure et simple. Car Diendéré est depuis la mise en place du comité exécutif du Front, c’est-à-dire depuis le mois de juin 1989, secrétaire chargé de la défense et de la sécurité au sein de cette instance

Excluez-vous l’événement de divergences entre Diendéré et vous même ?
B.C. : Je m’exclus totalement. Nous travaillons ensemble depuis sept ans, et ce dans une confiance totale.

Mais avec Sankara d’abord, puis avec Lingani et Zongo par la suite, vous sembliez être également en confiance. Et pourtant.
B.C. : Ce n’est pas du tout pareil, Diendéré et moi, nous avons suffisamment fait la preuve que nous pouvons travailler sans accroc et sans divergence d’ordre politique et idéologique. Nous nous connaissons bien et nous nous estimons. Il n’y a aucune raison pour qu’on ne continue pas dans la même voie, puisque nous sommes des révolutionnaires sincères, engagés dans la même cause.

Et si demain un conflit éclatait entre vous, comment pensez-vous qu’il puisse se dénouer ?
B.C. : Aujourd’hui, lorsqu’un conflit éclate en notre sein, nous le tranchons dans le cadre d’un débat de fond, sérieux et aussi large à l’armée. Et là, voyez-vous, Lingani et Zongo se sont trompés. Ils avaient oublié que notre armée a fait un chemin dans le sens de la cohésion politique et idéologique. L’armée burkinabè est aujourd’hui une armée éduquée, formée et trempée. Elle n’accepte plus de s’engager derrière n’importe quel aventurier. L’armée burkinabè est une armée du peuple pour la défense du peuple, un armée qui agit et décide suivant les règles de la saine démocratie.

Au lendemain des récents événements, avez-vous eu des coups de téléphone de chefs d’Etat africains.
B.C. : Bien sûr, de nombreux chefs d’État amis m’ont téléphoné pour s’enquérir de mes nouvelles.

Lesquels ?
B.C. : Je ne puis vous donner leurs noms.

Ont-ils condamné l’exécution de Lingani et Zongo ?
B.C. : Aucun d’eux n’a condamné la décision de notre tribunal. Par contre, ils ont condamné la trahison qui a failli déstabiliser notre révolution.

Ne vous ont-ils pas fait part de leur émotion devant la manière dont vos deux anciens compagnons ont été jugés et exécutés ?
B.C. : Ils ont plutôt tous partagé l’émotion du peuple burkinabè devant l’acte criminel des deux traîtres et les conséquences que cela aurait entraîné pour notre peuple.

L’Agence burkinabè de presse a implicitement accusé la France et le Ghana de connivence avec Lingani et Zongo. Qu’en est-il vraiment ?
B.C. : Ni le front populaire ni le gouvernement n’ont incriminé ces deux pays.

Mais l’Agence burkinabè de presse est une émanation du gouvernement. Elle ne publie rien qui soit contraire aux vues du gouvernement.
B.C. : Nos journalistes sont des militants convaincus du front populaire. A ce titre, et sans que leurs déclarations ou leurs écrits engagent le gouvernement, ils pensent et s’expriment librement.Au point d’accuser des gouvernements amis de complot ?
B.C. : Si nos militants découvrent ou soupçonnent des menées contre révolutionnaires dirigées contre le régime, ils peuvent le dire. Ce sont leurs points de vue.On pensait que Jerry Rawlings et vous étiez réconciliés et que tout allait bien désormais entre vous.
B.C. : Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour entretenir de bonnes relations avec notre frère Rawlings. Mais les choses ne sont pas aussi claire et nettes de son côté, malgré ses sourires et ses accolades lorsque je le rencontre. Pour tout vous dire, je ne suis pas dupe.Et pour ce qui est de la France ?
B.C. : Je n’ai rien à dire en ce qui concerne la France. Je ne l’ai ni attaquée ni accusée. Et aucun responsable du Front populaire ou du gouvernement ne l’a fait.

Les partisans de Sankara vous ont accusé d’avoir été manipulé par l’étranger pour assassiner leur héros.
B.C. : Je ne m’en souviens plus.

Mais si certains avaient vu la main de l’étranger dernière l’assassinat du 15 octobre 1987.
B.C. : Vous savez c’est trop loin ça. Ça ne m’intéresse plus d’en parler.

N’est-ce pas à la fois trop facile et tentant de voir la main de l’étranger dernière chaque coup ou tentative de coup d’État qui se produit en Afrique ?
B.C. : Vous conviendrez avec moi que notre pratique politique, de même que l’engagement massif et effectif de notre peuple au sein du Front populaire, ont suffisamment démontré qu’il n’y avait pas de main étrangère dernière les événements du 15 octobre 1987. Tout démontre aujourd’hui que la politique de rectification opérée à cette occasion allait dans le sens des souhaits de notre peuple et qu’elle a été le fait des révolutionnaires burkinabè eux-mêmes.

A force de rendre l’impérialisme responsable de tous nos maux, on n’est plus crédible.
B.C. : L’impérialisme est une réalité qu’on ne peut nier. Tant que des États chercheront à opprimer d’autres États, le problème restera posé.Quand il s’agit de tentatives de domination d’une puissance étrangère, certes… Mais lorsqu’il s’agit d’une course au pouvoir à laquelle se livrent des nationaux entre eux ?
B.C. : Tout dépend de qui est derrière la course en question. Certains actes perpétrés à l’intérieur de nos pays correspondent à des offensives engagées à l’étranger par les impérialistes qui cherchent à contrôler nos richesses. C’est indéniable.Êtes-vous conscient que les peuples africains sont désormais plus enclins à s’en prendre à leurs dirigeants qu’à l’impérialisme ?
B.C. : C’est normal dans la mesure où la domination et les manœuvres impérialistes procèdent par des intermédiaires, je veux dire des agents locaux. Autrement dit, si des
leaders africains font le jeu de l’impérialisme, il est tout à fait normal que nos peuples s’en prennent à eux.Ne pensez-vous pas que de nos jours, la capacité d’un leader politique se mesure plus à son aptitude à assurer la paix, la concorde et le développement dans son pays qu’à déjouer des complots réels ou imaginaires ?
B.C. : Peut-être. Encore faut-il savoir de quelle paix, de quelle concorde et de quel développement il s’agit. Si tout cela est fait pour permettre à l’impérialisme de continuer à exploiter nos peuples ça ne nous intéresse pas !

Source : Jeune Afrique (première parution 30 octobre 1989), puis louragan.info (disparu) puis https://www.ladepechedabidjan.info/Temoignage-de-Blaise-Compaore-sur-l-execution-d-Henri-ZONGO-et-du-Commandant-LINGANI-par-Diendere-Je-n-ai-pas-a-avoir_a22597.html

Samedi 30 Janvier 2016
La Dépêche d’Abidjan

Les causes de la chute du CNR, un article de Norbert Zongo (octobre 1994)

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Le premier est le Che africain, révolutionnaire sincère qui croyait en ce qu’il faisait.

Le second, journaliste engagé et esprit libre s’il en faut. Épris de justice sociale comme le premier.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il n’y a pas eu d’atomes crochus entre ces deux hommes à la personnalité bien trempées. Seule peut être la date de naissance (1949) et leur destin tragique lient ces deux hommes qui ont marqué l’histoire tumultueuse du Burkina Faso.

Pourtant Thomas SANKARA et Norbert Zongo ne se sont jamais « bien croisés » ni bien collaboré. Pourquoi ? On ne saurait le dire exactement…

Peut-être parce que Norbert ZONGO était un personnage si jaloux de son indépendance pour se soumettre à une quelconque discipline militante qui risquerait de le transformer , lui le journaliste, en propagandiste de la révolution !?.

Le fait est que convié par Sankara pour collaborer au rayonnement de la révolution, il a refusé net. Il se murmure que par ce refus cinglant, il a eu des soucis avec les CDR. Il n’a donc été ni acteur, ni participé à proprement parler à la revolution sankariste. Cela explique t-il ses analyses très critiques , à la limite à charge contre cette période du CNR ?  Ces analyses sont assez fines et donne des informations inédites sur le 15 octobre 87.

Dans les articles qui suivent nous vous livrons :

1) L’analyse de N.ZONGO (Henri Zongo signait ses articles H. S. pour Henri Segbo) sur les causes du coup d’état sanglant du 15 octobre 87 publiée dans  L’Indépendant n°065 du 18 octobre 1994

2)- Une réaction des lecteurs et la  réponse de N.Zongo paru dans le courrier des lecteurs de L’Indépendant N°067 du 2 novembre 1994

 Karim de Labola


15 OCTOBRE 1987 LES VRAIES CAUSES

  1. Quand la crise qui déchirait le gouvernement militaire du CSP II (Conseil de salut du peuple) atteignit son paroxysme, trois grands groupes s’organisèrent chacun pour s’accaparer du pouvoir d’État:

-Un groupe d’officiers réunis sous une base régionale avec la bénédiction de religieux très influents. Ils comptaient faire d’une pierre deux coups. Ils contraient le communisme International et mettaient à la tête de la Haute Volta un fils de la région, en l’occurrence un ancien dignitaire du régime des colonels; le CMRPN (Comité militaire de redressement pour le progrès national).

-le deuxième groupe était composé d’officiers de renom dont l’action avait permis la chute du CMRPN et l’avènement du CSP I. Ils estimaient qu’ils avaient fait le putsch pour les autres. Le leader-l’aîné-qu’ils auraient bien voulu voir à la tête du pays a été purement et simplement écarté en faveur d’un “inconnu” presque usurpateur;

-le troisième était formé de jeunes officiers taxés de communistes à tort ou à raison, et unis par la répression des autres. C’était le groupe le plus actif. Parmi les civils, il jouissait d’un soutien considérable, de l’aide la plus sûre et la plus active, surtout des jeunes.

Un quatrième groupe formé d’un corps d’armée n’eut que des velléités putschistes. C’est pourquoi nous ne le mentionnons pas.

Tous les partis dits progressistes et tous les progressistes accusés d’être des communistes et qui avaient peur de la répression probable des anticommunistes ont trouvé en ce troisième groupe un allié naturel. De nombreux civils rejoignirent Pô pour la ”résistance”.

Ce troisième groupe avec des camions d’un projet canadien, déferla sur Ouagadougou et s’empara du pouvoir d’État. ll précédait de quelques heures le deuxième groupe, au grand dam des religieux et de tous les anticommunistes.

Le capitaine Thomas Sankara avait envoyé un émissaire rencontrer les Putschistes à l’entrée de Ouagadougou au bar “Le Vodou” pour leur dire d’arrêter l’action parce qu’un compromis avait été trouvé avec le Président Jean Baptiste Ouedraogo. Les jeux étaient déjà faits. Les soldats d’élite du Centre national d’entraînement commando (CNEC) avec leur tête le capitaine Blaise Compaoré prirent le pouvoir. Le Conseil national de la révolution (CNR) fut proclamé. Dans la nuit du 4 Août 1983, le destin de notre pays se joua.

La Haute Volta devint le Burkina Faso une année plus tard.
Légende ! Charme et candeur d’une légende qui étancha Ia soif d’une génération africaine très tôt sevrée de luttes et en quête de héros pour s’identifier !

D’un putsch, d’un conflit d’hommes et d’intérêts, elle fit une révolution, se fabriqua des héros et se mit à rêver. Rêver. “A bas ! A bas ! A bas ! ” On abattit, on s’abattit et on finit abattu.

Puis l’aube fulmina sur le rêve le soir du 15 octobre 1987, cette génération mit du temps pour comprendre que tout cela n’était qu’un vulgaire putsch vernis d’idéologie. Trop tard.

Mais pourquoi le 15 octobre 1987 ?

«Peuple de Haute-Volta, aujourd’hui, encore, les soldats, sous-officiers et officiers de l’Armée nationale et des forces para-militaires se sont vus obligés d’intervenir dans la conduite des affaires de l’État pour rendre à notre pays son indépendance et sa liberté...»

C’est par cette déclaration que les putschistes du 4 Août annoncèrent l’avènement du Conseil national de la révolution (CNR).
Dans ses termes et dans son contenu, cette déclaration rangeait l’action des commandos dans la droite ligne des nombreux putschs que notre pays a connus. C’était un putsch de plus. Peut-être le putsch le plus mal organisé que notre pays a connu, parce qu’il fallait faire vite, il fallait devancer les autres. Seul l’aspect militaire de la question préoccupa les stratèges du moment. L’aspect politique et organisationnel a été minimisé. Il fallait être le premier. Le putsch réussi, il fallait désigner un président et définir les orientations politiques du nouveau pouvoir. L’homme-orchestre, le ”héros” de la résistance était le capitaine Blaise Compaoré qui venait de réussir le coup d’État. C’était à lui le fruit du putsch : le pouvoir

Réunis rapidement autour des parrains du coup d’État (un ambassadeur et un chef d’État d’un pays voisin), les putschistes examinèrent, la question. Le capitaine Blaise Compaoré proposé pour être logiquement le président se désista.

Manque d’assurance de soi ? Flair du danger que constituaient les autres putschistes pris de cours ? etc. ?
Rien n’était suffisamment clair dans la gestion de la victoire du 4 Août 1983, pour décider un homme très prudent et très méfiant de tempérament comme le capitaine Blaise Compaoré afin qu’il sautât pieds joints à la tête d’un pouvoir apparemment très précaire. Mais l’histoire nous dira un jour pourquoi il a refusé ce jour de jouir des fruits de son putsch. Tout est parti de là.
Au cours de cette même première réunion, le Parti africain de l’Indépendance (PAI), grand acteur civil du putsch parla de révolution et imposa la Révolution.

Le Capitaine Sankara Thomas fut propulsé à la tête du nouveau pouvoir conquis par les putschistes et leurs parrains. La personnalité et l’expérience (très courte mais incisive) du promu avaient milité en sa faveur.

Tout est donc parti de ce jour-là: un putsch hâtivement préparé sur le plan politique, mené avec dextérité sur le plan militaire, des putschistes qui se voyaient contraints de mettre un non-putschiste à la tête du pouvoir conquis, mais aussi obligés de rester sous la tutelle idéologique de civils. Beaucoup d’improvisations dès la naissance du CNR. Le départ était faussé.

Les révolutionnaires du 4 août 83On ne transforme pas impunément un putsch en révolution. Ce n’est pas une question de vocabulaire, mais une question de bon sens. La plupart des acteurs du 4 Août 1983 espéraient des rentes politiques, même s’ils ont suivi le chef comme ce fut le cas des commandos. Mais après le putsch et la tournure que prirent les affaires, il n’y avait plus grand chose à espérer.

Dès ces premiers instants, le CNR se fit des ennemis en son propre sein. L’opportunisme des uns et des autres fera le reste.
Comme tous les régimes militaires de notre pays depuis le 3 janvier 1966, le CNR eut ses bras politiques civils.
Seulement à la différence des régimes précédents, le CNR regroupa les groupes les plus radicaux dans la gestion du pouvoir d’État: des hommes et des partis dits de gauche “qui s’entendent pour ne pas s’entendre”.

Certains d’entre eux étaient capables de discuter des heures durant pour déplacer une virgule. Et s’il y a bien un domaine où les hommes peuvent s’opposer de façon continue c’est bien celui des idées.
Or le CNR était supporté par des partis de gauche dont la plupart des militants et dirigeants étaient restés des étudiants. Résultats : une révolution livresque, greffée sur un putsch classique et dirigée par des gauchistes jaspineux en surface mais des militaires dans le fond.

Un livre de cuisine servait à concocter les sauces trop salées ou trop fades… (il y avait toujours un ingrédient en moins ou en trop) : le Discours d’orientation politique (DOP).

Mais la plus grande spécificité de ce putsch du 4 Août 1983 fut sans doute son parrainage qui se fit hors du giron français. C’était bien une première. Pendant que Guy Penne, conseiller à l’Élysée croyait avoir résolu le problème des jeunes et fougueux officiers voltaïques en faisant arrêter le capitaine Sankara, le coup d’État intervenait quelques jours après son passage à Ouagadougou. La surprise devait être totale du côté français.

En résumé, trois facteurs ont été à la base de l’échec et de la disparition du CNR et de son président :
-le premier était humain. La Révolution, bien qu’improvisée prit rapidement l’allure de l’imagination fertile du président du CNR qui semblait exceller dans l’improvisation. Et il n‘y avait que l’improvisation à faire.

Fort de son capital de théorie révolutionnaire livresque, Sankara n’eut apparemment pas du mal à transcender. Des «quatre héros» de la Révolution il était le tribun et le plus rhétoricien. Son aura ne tarda pas à éclipser les autres y compris l’acteur principal du putsch, le capitaine Compaoré.
Un an plus tard les Voltaïques s’aperçurent que la Révolution pouvait vivre plus longtemps que prévu. Mêmes les révolutionnaires furent surpris.

Plus on avançait, plus le capitaine Sankara dominait civils comme militaires au sein du CNR. La guerre des numéros avait commencé : le numéro un écrasait de son charisme et de sa personnalité les autres numéros à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Les autres numéros ne pouvaient briller que par ricochet, par référence au numéro un. Dans les légendes du genre, il n’y pas de place pour plusieurs héros. Il n’y eut qu’un seul. N’oublions pas que la Révolution fut improvisée et que seule la menace qui planait sur les officiers dits progressistes les unissait. Camaraderie de circonstances, fraternité de façade, dans la réalité, rien de fondamentalement sérieux n’avait uni ces quatre “héros” de la Révolution…

Nous n’étions pas en face d’une révolution guévariste, castriste ou à la Raul Santrique des Toupamoros où l’idéologie a été le graphique référentiel de l’action. Nous avions ici un putsch classique que le hasard des circonstances et la volonté des gauchistes civils avaient transformé en révolution. Le facteur humain fut très capital. Il n’était donc plus question que d’honneur, de gloire et d’avantages à gérer. Individuellement !

A plusieurs niveaux, les putschistes faisaient savoir qu’ils étaient bien à l’origine du pouvoir et du CNR. Certains simples soldats du CNEC accordaient très rarement le respect dû à leurs grades à des officiers de l’armée.

Sur ce facteur humain, il faut retenir le sentiment des putschistes et de leur chef d’avoir fait le lit du pouvoir pour qu’un Sankara vienne s’y coucher avec une «arrogance» idéologique et jouer au donneur de leçons.

La motivation idéologique étant absente, tout concourait à la lente mais inexorable germination d’une vulgaire jalousie d’épouses de polygame.

Cette jalousie fut entretenue, encouragée, suscitée parfois au besoin par des détracteurs du régime qui tenaient à le voir disparaître.

On cite le cas de cet ancien homme politique qui ne perdait pas une seule occasion pour exprimer sa colère et son indignation au capitaine Compaoré en ces termes : « Tu n’es pas un digne fils. Comment peux-tu conquérir le pouvoir pour le remettre à un peulh !».

Si ce genre de phrases faisaient sourire au départ, elles finirent par faire réfléchir avec le temps et le charisme de Sankara ;
Pire, qui parle de problèmes humains, parle de problèmes sentimentaux. Un ingrédient de trop dans le pourrissement des relations entre les capitaines Blaise Compaoré et Thomas Sankara.

-le deuxième facteur qui a précipité l’échec du CNR était politique. Ce fut un facteur interne. Tâtonnement au niveau des mots d’ordre improvisés, luttes d’influence au niveau des idéologues-du-dimanche qui s’enfermaient pour tailler des plumes et réapparaître aux yeux des populations comme les garants de la Révolution ; avènement de délinquants «intellectuels» aux postes de responsabilités. Parfois parachutés dès l’université, tout heureux d’avoir un emploi, la plupart d’entre eux s’illustrèrent par des excès avec cette peur de voir la Révolution tomber, ce qui signifiait un retour au chômage. Ils exacerbèrent les tensions au sein de l’instance dirigeante du CNR et de sa révolution. Il en fut de même de certains militants, fonctionnaires ou militaires qui, par opportunisme clamaient la Révolution mais la torpillaient dans le noir par leurs comportements ou leurs paroles.

Dans ce, domaine, il ne serait pas juste de donner la palme aux seuls CDR. Double langage, double jeu, népotisme et opportunisme minèrent les bases de la Révolution.

Du CNR et de sa révolution, seuls y croyaient Thomas Sankara et quelques très rares fidèles. Depuis la nuit de sa proclamation(le 4 Août 1983) jusqu’au 15 octobre 1987, ils furent très nombreux qui levèrent le poing, firent des discours tonitruants sans jamais croire en la Révolution. La plupart avaient une raison particulière d’être «révolutionnaires». Chacun avait sa raison, sauf la vraie raison révolutionnaire ;

-le troisième facteur fut l’environnement extérieur. Si la Révolution burkinabè était une fierté pour la jeune génération africaine, elle constituait un cauchemar pour nos voisins immédiats à l’exception du Ghana. Le président Houphouët Boigny sentait plus que tous, les menaces que constituait pour lui le régime burkinabè. Son ami Eyadéma n’était pas en reste. Coincé entre trois révolutionnaires (Ghana, Bénin, Burkina), il étouffait.
Le vieux crocodile qui mange des capitaines» ne pouvait laisser vivre un tel régime à sa porte. «C’est la sécurité du voisin qui fait votre insécurité», disait Henry Kissinger.

Le Burkina était devenu le refuge de tous les opposants à travers le continent par le biais de la solidarité révolutionnaire.

La France, écartée pour la première fois des affaires d’une de ses colonies de l’Afrique au Sud du Sahara n’avait pas dit son dernier mot. Ce fut le capitaine Blaise Compaoré que le CNR mandata pour expliquer les objectifs de la Révolution du 4 août 1983, lui qui avait tenu tête aux groupes soutenus par Paris durant la crise du CSP II.

En résumé : des conflits, des rivalités de personnes dans la gestion d’un putsch révolutionnarisé, torpillé de l’intérieur et qui causait des nuits blanches à des spécialistes de la subversion en Afrique comme la France. Trop c’est trop.

Un seul de ces facteurs que nous avons cités eut suffi. Puis la crise entre les «héros» de la Révolution en général et particulièrement entre les capitaines Sankara et Blaise Compaoré atteignit son paroxysme, véhiculée par une diabolique horde d’hypocrites, de délateurs et d’opportunistes.

Derrière le capitaine Thomas Sankara s’étaient alignés des «révolutionnaires» qui ne cessaient de le mettre en garde contre les visées putschistes de Blaise Compaoré. La plupart d’entre eux espéraient secrètement une redistribution des cartes au sein du CNR.

Derrière le capitaine Blaise Compaoré se sont rangés des opportunistes de tout poil ou orphelins d’un putsch qui leur a été ravi. Chaque camp, pour ne pas dire clan nourrissait le secret espoir de voir changer avantageusement les choses. N’oublions pas que ce ne fut pas une bataille idéologique, mais un conflit d’intérêts. Entre les deux rangs il y avait les non-alignés, la pire espèce de taupes opportunistes, des situationnistes.

Le déclenchement du compte à rebours de la fin du CNR eut lieu le 4, juillet 1987. Sur insistance de plusieurs cadres dont le capitaine Blaise Compaoré une réunion s’est tenue ce jour pour dresser le bilan du CNR.

Débutée à 9 h du matin, elle s’acheva le lendemain à 11 h. De sources proches de la réunion, la plupart de ceux qui prirent la parole avaient quelque Chose à reprocher au président du Faso : «Spontanéisme, mots d’ordre à l’emporte-pièce, tendance autocratique dans la gestion du pouvoir, etc.».

Les critiques furent tellement virulentes qu’à un moment le bureau de séance proposa sa démission. Une suspension de séance permit de calmer les esprits avant de poursuivre les débats.

Mais cette seconde reprise fut encore beaucoup plus dure et plus éprouvante pour les nerfs du président Sankara : il proposa cette nuit sa démission. Elle fut refusée. Les débats continuèrent.

Aux dires de certains participants, au cours de cette réunion du 4 juillet 1987, seuls les civils menèrent les débats. Les trois autres leaders de la Révolution (Blaise Compaoré, Henri Zongo, et Jean Baptiste Lingani) ne prirent pas la parole pour confirmer ou rejeter les critiques. Motus et bouche cousue.
Mais comme nous l’a dit plus tard l’un des participants, les trois autres semblaient tirer les ficelles dans l’ombre.

Le président Sankara au sortir de cette réunion, s’isola un peu plus. Au nombre de ceux qui avaient formulé les critiques, il y avait des gens sincères qui souhaitaient voir changer la situation. Mais à ce stade, “tous ceux qui ne sont pas pour moi sont contre moi”.

Tout alla très vite après le 4 juillet 1987. La crise atteignit un stade de non retour avec la saison des tracts contre Sankara et son camp ou contre Blaise Compaoré et le sien. La grossièreté du ton laissait transparaître une haine féroce des rédacteurs. Il était désormais clair qu’un camp était de trop.

Les rumeurs d’un coup d’État s’accentuèrent. Haine de potiers (soigneusement couvée dans les jarres), colère de vendeurs de piment… et au bout de la chaîne réaction de bouchers devant un os dur.
Les «inconditionnels» des deux hommes piaffaient d’impatience d’en découdre. On nous a narré cette histoire d’un commando célèbre qui, voyant marcher Sankara et Compaoré côte à côte s’interposa pour les séparer. Réactions ? Il n’y a rien eu. Il nous sera rapporté plus tard que «l’intrépide» était en tête de la section qui ouvrit le feu ce soir du 15 octobre sur Sankara.

Le drame qui se jouait ne prévoyait pas un autre épisode, celui par exemple de l’arrestation. Ce n’est pas avec une telle haine que l’on opère des arrestations. Les timides tentatives des parrains pour trouver une solution politique ne changèrent rien à la situation. Des officiers jurèrent sur l’honneur de ne point se tuer : le résultat est connu. Chacun des deux camps faisait le maximum de «recrutements» dans le milieu civil comme militaire avant le grand combat.

Aux dires des acteurs de l’époque, le président Sankara avait perdu le contrôle du CNEC au profit de son rival. Par contre, il jouissait d’une plus grande estime au niveau du reste de l’armée.

Nous n’avons pas d’informations nous permettant d’affirmer ou de nier que le président Sankara préparait un coup d’État pour 20 heures. Mais nous savons de sources concordantes que la déclaration lue après la liquidation du président du CNR a été rédigée sept jours à l’avance. Ceux qui l’ont rédigée s’attendaient à une arrestation, d’où la fougue et les injures qui choquèrent l’opinion publique. Il fallait minimiser la haine entre les deux groupes pour le penser.

En tenant compte du facteur extérieur dont nous avons parlé, il est logiquement possible que l’étranger ait prêté main forte au camp du capitaine Blaise Compaoré s’il en a fait la demande. Mais l’aspect militaire de la question importe peu. Il est encore très tôt pour en parler. Après le 15 octobre 1987, nombreux ont été ceux qui furent surpris du retournement de veste d’anciens partisans de Sankara. Il n’y avait pourtant rien d’étonnant.

Des gens étaient venus à la soupe, tant qu’elle est là, il n’y a pas lieu d’avoir des états d’âme. Tout était faussé dès le départ en cette nuit du 4 Août 1983. Un seul détail est demeuré : ce qui s’est passé cette nuit du 4 Août 1983 était un coup d’État. Rien que.

La troisième phase du régime militaire (la guerre des numéros) prit fin le 15 octobre 1987 à 16 heures pendant que Sankara et un groupe d’une dizaine de personnes réfléchissaient à la création d’une structure à la place du CNR. La haine ne laissa sortir personne. Contrairement à cette idée répandue qui dit que le président Compaoré était abattu et affligé après le putsch, de sources bien informées nous avons appris qu’il était bien détendu. Logiquement il devait l’être.

Lorsque les rédacteurs des déclarations de la «rectification» virent soustraire le mot révolution dans la proclamation «Front populaire révolutionnaire» par le nouveau numéro un , ils comprirent, mais un peu tard que la comédie révolutionnaire était finie. On retournait à la case départ de la nuit du 4 Août 1983.

«En politique si vous êtes cause que quelqu’un devienne grand, vous courrez à votre perte », a dit Machiavel. Nous ne jugeons pas les morts. Mais nous pensons que «Sectaire, autocrate, traître, camarade qui s’est trompé »,«Héros du peuple», Sankara donnait l’impression de croire en ce qu’il faisait. Le réussir était une autre chose sans doute. Mais nous avons eu cette impression qu’il y croyait. Il s’était aperçu trop tard qu’il était presque seul en cette année 1987. Et l’Histoire continue.

H.S.

Source : L’INDÉPENDANT n°065 du 18 octobre 1994


COURRIERS DES LECTEURS

L’Indépendant N°067 du 2 novembre 1994

Ouagadougou, le 25 octobre

M.le Directeur du journal L’Indépendant. J’ai lu avec intérêt votre article sur le 15 Octobre. J’ai été très déçu par votre analyse. Avez-vous eu peur d’appeler un chat un chat ou quoi ? Vous pouvez mieux faire. Alors pourquoi ? Ce qui s’est passé le 4 Août 1983 a été une véritable révolution. Les saboteurs sont venus plus tard. H.S.vous devez le reconnaitre. Vous le savez. Il faut le dire. Sankara est venu pour sauver le pays. Il avait ça en tête. C’est un digne fils de notre Burkina et de notre Afrique vous devez le dire. Il faut rester honnête car on vous reconnaît votre honnêteté. Ce n’est pas le moment de reculer. L’action des CDR est aussi à saluer, même s’il y a des défaillances M.le Directeur votre analyse a raté cette fois. Sankara n’est jamais resté et ne restera jamais seul. Des millions et des millions d’Africains vivent avec son image, sa pensée. H.S.vous le savez très bien, dites-le sans peur. Votre analyse ressemble trop au point de vue des communistes du PCRV. Un journaliste de votre renommée doit rester neutre dans ses analyses. Nous pardonnons cette première erreur que nous n’oublions pas ce que vous faites pour ce pays. M.H.S.votre analyse a été décevante. Mais courage tout de même.

Yves Ouédraogo


La réponse de Norbert Zongo alias Henri Sebgo

Monsieur Yves. Vous n’êtes pas le seul à réagir à cet écrit. Mais la plupart ont réagi verbalement. Nous avons été accosté en plusieurs endroits par des gens qui nous ont dit du mal de l’écrit : «manque d’objectivité, refus de reconnaître les mérites du Conseil National de la révolution ( CNR), refus de reconnaître les mérites de Sankara etc. ».

Un de nos amis nous a dit ceci : «C’est bel et bien le capitaine Sankara qui a tenu à ce que le capitaine Blaise Compaoré fut affecté à Pô».

Quand nous écrivions l‘article, nous savions que beaucoup réagiraient négativement pour deux raisons :

  • La première et la plus évidente est que les acteurs du CNR (et ils sont nombreux) sont vivants et parfois aux commandes des affaires. Or nous n’avons pas été acteur. Donc nous ne pouvions pas être au parfum de certains développements de la situation qui a prévalu entre Sankara et les autres.Cependant l’analyse que nous avons faite se fonde sur une logique politique. Nous n’avons pas jugé le CNR seulement à partir de son existence mais après sa disparition ;
  • la deuxième raison est que le capitaine Sankara a marqué profondément et passionnément beaucoup de burkinabè qui restent attachés d’une manière ou d’une autre à lui. Or en analyse politique, il faut éviter autant que faire se peut la passion parfois aveugle. Elle obstrue le jugement. La prétention d‘une analyse du genre est de mâcher la situation pour le plus grand nombre. Une prétention.

Nous n’avons pas joué un rôle ni de près ni de loin dans le CNR, mais nous pouvons vous affirmer une chose : Sankara avait ses idées avant l’avènement du CNR. Nous l’avons reconnu et nous lui avons rendu hommage en écrivant : «Il croyait en ce qu’il faisait». Croire en ce qu’on fait, c‘est vivre intensément sa vie. Sachons comprendre les mots et les images qu’ils véhiculent. Nous ne reviendrons pas sur le débat qui nous a opposé aux CDR de l’époque : le 4 août 1983 n’est pas une révolution, et un coup d’État ne peut pas être une révolution. Pour la petite histoire nous en avions débattu de 15 h à 12 h le lendemain à Yaoundé au Cameroun avec des CDR.

Si notre position est identique à celle du PCRV nous n’en voyons pas de drame. Nous avons eu plusieurs points de vue qui ont été partagés par de nombreux burkinabè sur plusieurs sujets.

Il vous faut vous départir de la classification facile qui amène l’exclusion. Au stade où nous sommes au Burkina ce n’est plus une question de communisme et de catholicisme ou d’islamisme. Nous sommes à un stade où il faut se battre pour la survie de la Nation et celle des individus. De grâce, ne vous enfermez pas dans un combat d’arrière garde. Rappelez-vous du piège de 1958. Ceux qui voulaient l’indépendance et l’unité de l’Afrique étaient des communistes, ils prônaient le non. Les autres étaient les hommes de Dieu ils votaient oui. Le résultat a été la balkanisation de l’Afrique, la venue au pouvoir de médiocres tyrans, petits rois nègres au service de Paris. Personne n’échappa et personne n’échappe.

Et l’expérience a démontré que ceux qui sont venus au pouvoir en tant qu’hommes de Dieu (par opposition aux communistes) ont toujours été contre Dieu par leurs tueries. (Nous n’oublions pas que des hommes aussi ont tué au nom du communisme).

Pour revenir au CNR nous disons que Sankara était seul à la fin. Nous parlons de la direction du CNR et non des militants de la révolution. Nous reconnaissons que certains de ces militants croyaient en la révolution. Il y a des CDR qui sont toujours respectés et écoutés dans leur milieu. Il y a malheureusement aussi ceux qui étaient venus pour manger les chèvres et les porcs en divagation.

Bref, Monsieur Yves sachez une chose : Sankara avait une aura, il fut une échelle pour les uns et les autres. On s’en est servie. Il le sut très tard, peut-être. Mais il croyait en ce qu’il faisait.

Norbert Zongo dit Henri Sebgo

Source : L’Indépendant N°067 du 2 novembre 1994

Cet article Les causes de la chute du CNR, un article de Norbert Zongo (octobre 1994) est apparu en premier sur Thomas Sankara.

Interview de Blaise Compaoré. Résistance au putsch du 17 maiI 1983.

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Nous publions ici un document historique sous la forme d’une interview de Blaise Compaoré alors qu’il était rentré en résistance après le putsch ayant arrêté Thomas Sankara le 17 mai 1983.

On se rappelle que le 17 mai 1983, Thomas Sankara était écarté de son poste de premier ministre et arrêté à la suite d’un putsch militaire. Blaise Compaoré avait pu rejoindre les commandos de Po et se déclarer en rébellion. De nombreux militants sont venus par le suite rejoindre Po dans la perspective de résister à ce putsch organisé par les éléments de droite du CSP (Comité de Salut du peuple). L’enregistrement commence par des sons d’un meeting. Puis on trouvera ici une interview audio de Blaise Compaoré, réalisée par des journalistes occidentaux audio. Blaise Compaoré raconte ce qui s’est passé le 17 mai 1983. Puis l’interview se poursuit par des questions sur la Révolution.

Nous avons reçu l’audio mais nous ne savons pas précisément quand l’interview a été faite ni à quelle occasion. La retranscription a été réalisée par Karim de Labola & Daouda Coulibaly membres de l’équipe du site thomassankara.net. la vérification et les corrections orthographiques ont été faites par Jacques Zanga Dubus.

La rédaction.


Le son

 


La retranscription

Bruit de voix d’une foule en réunion, applaudissements

Une voix : L’impérialisme

Foule : À bas

Une voix : le Néo-colonialisme

Foule : À bas

Une voix : les diviseurs du peuple

Foule : À bas

Une voix : Les affameurs du peuple

Foule : À bas

Une voix :   Ceux qui font courir les faux bruits

Foule : À bas

Voix : Pour l’union du peuple

Foule : ….Euuhn hrr

Voix : Pour l’union du peuple

Foule : Victoire

Voix : Pour l’union du peuple

Foule : Victoire

Voix : Merci camarades

………………

00’.34’

La voix  (modérateur identité ?) : Bonsoir, je suis venu surtout pour écouter et pour apprendre. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas le droit de conserver le micro pendant longtemps. Et je vais vous le rendre immédiatement pour écouter avec vous, participer au débat comme tout un chacun. Merci

00’.56’’Une autre voix (un responsable CDR?) : Le CDR de Koupela ne saurait être récupéré par  quelque bord que ce soit, et je souligne à l’intention de tous  que ce CDR-là reste le cadre représentatif pour débattre de tous les problèmes  qui se posent à Koupela. Un camarade venait de poser la question au camarade BODIGA  pourquoi à savoir quand il y a chaque fois un problème, les gens viennent le toucher personnellement, alors qu’y a un bureau CDR qui a été assis ici. Et je pense que ce bureau-là est à même de résoudre tous les problèmes. Alors si vous ne pouvez pas œuvrer, travailler ensemble dans ce cadre-là, je crois que tout ce qui se fait  à côté, dans les couloirs, je pense que  c’est du noir, c’est du lugubre ; ce n’est pas des solutions à faire avancer les choses ici. Je pense que désormais si y a un problème qui se pose, vous saisissez les CDR, et je pense que ce problème-là trouvera une solution, au lieu de… Je pense que nous en avons marre de tous les problèmes individuels qui ne cessent de diviser les gens ici. La question de bords, euh… je pense que la politique politicienne c’est fini. Si vous ne pouvez pas travailler,  vous regrouper  dans un cadre unique pour travailler …je pense que…ou bien on est dans la révolution, ou bien on reste chez soi, et on n’emmerde pas les gens. Je vous remercie.

————-

02.34’ Interview de Blaise Compaoré interrogé par une journaliste occidentale

Blaise Compaoré : Je dis, peut-être qu’ils ont tenté donc de jouer leur coup, ça n’a pas marché, et ils sont repartis. Et en attendant de projeter ça un autre jour. Bon, néanmoins, je rentre, je prends des précautions, toutes les armes que j’avais, je les fais sortir. J’étais assis au salon et j’attendais.

Journaliste : De chez vous ?

BC : Oui, que peut-être ils allaient revenir entretemps, parce que j’avais dit à mon chauffeur  d’aller déposer ses affaires au camp Guillaume, le grand camp, au camp  au centre de la ville là, et j’avais dit de revenir me chercher. Parce que… comme j’avais eu vent du complot  je me disais  qu’à 17h, il fallait que je sois à la présidence pour demander aux Jean-Baptiste, quoi quoi quoi, pourquoi ils complotent contre nous. Juste un quart d’heure après, le chauffeur est revenu me dire que le camp est encerclé…C’est à dire que les commandos…Y’avait  cinquante commandos de Pô qui étaient à Ouaga pour la sécurité de Jean-Baptiste, on les envoyait dix par semaine à son domicile. Mais les éléments conspirateurs, sachant que ils ne peuvent pas arrêter Thomas,  les cent cinquante vont les… Ah ouais, ils ne vont pas, ils ne vont pas accepter, donc ils vont emmener des chars encercler le camp. Zongo Henri était là-bas, le militaire, avec son unité. Et c’est ainsi que, comme les hommes même le connaissant, c’est pas devant des militaires, ils ne vont jamais accepter se rendre. Et donc ça a trainé comme ça… Et moi pendant ce temps, j’étais…dès qu’il est revenu me dire, j’ai dit : « bon on va à Pô » [Rires]. On est sorti et on a pris la route de  Ouahigouya, ensuite…

J : Et on vous a pas embêté ?

BC : Non, non, non, les gendarmes n’étaient pas encore revenus. C’est après moi qu’ils sont venus ; c’est quand j’ai quitté qu’ils sont revenus. Ils sont arrivés demander après moi.

J : Ils n’étaient pas bien organisés ou bien c’était surestimé

BC : Non, non ils étaient très mal organisés. Militairement c’était zéro, vraiment c’était zéro… Donc euh… c’est ainsi que moi j’ai pu rejoindre, traverser les rails, prendre la route de Bobo, piquer vers  le sud pour rejoindre la route de Leo, et puis c’est ainsi que … je suis arrivé ici à 15 heures. J’ai fait 9 heures de route Pô-Ouaga ce jour-là [Rires]. Ah oui c’était… j’ai rencontré deux fois des gendarmes à des carrefours pendant les contrôles. Arrivé, j’ai trouvé que les éléments, comme ils ont, ils avaient eu l’information comme quoi leurs camarades étaient encerclés, ils avaient déjà pris des camions pour monter à Ouagadougou.

J : Ils les avaient bloqués ?

BC : Et eux-mêmes, ils se sont arrêtés sur la route. C’était le matin ; ils ont appris ça vers les 5 h du matin. Donc, ils se sont arrêtés sur la route parce que ils se sont  dit que si ils vont pour  libérer leurs camarades, ils allaient pouvoir le faire, mais le premier ministre qui était arrêté, ils allaient le liquider peut être. Donc, c’est pourquoi ils sont restés dans la Volta à 30 km. Automatiquement, j’ai convoqué le monde et on a tenu une assemblée générale pour voir la position à adopter. La position était d’exiger dans les quarante-huit heures la libération complète de  nos camarades  pour qu’ils nous rejoignent ici. C’était  l’autre ooh, la demande quoi, pour nous c’était ça ou rien, en dehors de ça on ne discute même pas d’autres choses.

J : Y’avait combien, au-delà du président, et commandant Lingani, qui d’autres étaient emprisonnés ?

BC : Oui, Lingani aussi, voilà j’oubliais..

J : Et qui d’autre ?

BC : Les deux, Zongo et mon adjoint le lieutenant Diendéré Gilbert, qui était mon adjoint

J: Il était là-bas ?

BC : Lui il était… parce que le 17,  dans la semaine, donc à l’entrainement ici il y a eu un… euh,  comment dirais-je… un blessé..  y’a un qui a reçu une balle dans la cuisse. Lui il l’avait transporté à Ouagadougou.

J : Donc il s’est trouvé là-bas par hasard ?

BC : Oui par hasard. Donc le matin il s’est levé du mess des officiers pour aller…Les putschistes sont venus lui demandé d’aller conseiller les commandos, de réfléchir quoi, donc lui il est parti, il a pu rentrer les rejoindre. Et puis lui aussi il a pris une arme quoi. Ils ont décidé de ne pas se rendre… Ils ont lutté jusqu’au bout. C’est ainsi qu’avec le capitaine Zongo ils ont organisé une résistance dans le camp jusqu’à 22 h le soir ; à 22 h donc ils ont tombés d’accord sur une plate-forme minimale à savoir : la libération, donc… permettre au camarade Président et puis Lingani de s’expliquer devant une assemblée, de ne pas arrêter donc les euh…

J : l’assemblée du CSP ?

BC : Du CSP, convoquer ça pour qu’il s’explique. Ne pas arrêter Lingani, les… choses, Zongo et Diendéré qui étaient au camp là-bas, et puis un troisième, le capitaine Boukary qui commande les parachutistes à Koudougou. Lui aussi le matin, il s’est levé, il est parti à… On a convoqué les officiers pour leur expliquer pourquoi ils ont fait le coup d’État. Il a écouté ça, il a dit « ça marche pas ». Il est parti rejoindre les autres au camp. C’est lui qui commande les parachutistes maintenant, c’est trois officiers avec une quarantaine de commandos. C’est ainsi qu’ils ont…  euh…

J : Ouaga était pratiquement encerclé ?

BC : Ah oui Ouaga était encerclé. Encerclé par ??

J : Parce  vous disiez que le capitaine Boukary était pas d’accord ? Donc il était prêt à…

BC : Oui, il a rejoint les commandos dans le camp, c’est un camp clôturé

J : Donc il y avait une résistance à Pô, à Koudougou ?

BC : Non, à Koudougou il n’était pas encore commandant des parachutistes. Il était officier des sports. .

J : Ah oui actuellement

BC : Oui il est actuellement

J : Ah ok,  donc il est actuellement

BC : Oui, il est actuellement.  Donc finalement, ils ont promis les camarades Président, Lingani, de baisser les armes, ils vont discuter.

J : Mais il n’y a pas eu d’assemblée ?

BC : C’était après, le 23. Mais ils n’ont pas, ils ne les ont pas fait venir. Ce n’est que vers le 30 qu’ils les ont libérés ; donc ils ne sont pas venus à l’assemblée, bon ils ont fait des votes bidons là… euh…

J : Pour cautionner le coup d’État…

BC : Oui, cautionner. Pour supprimer le premier ministère y’avait 30 sur 120, le reste c’est abstention. Donc tous les votes c’était abstention, y’avait 80/90 abstentions ; donc ça a énervé  Jean Baptiste, il s’est énervé et il est sorti aller se mettre dans une salle, et disait qu’il allait démissionner et tout. Et c’est là que l’ambassadeur de France est venu entrer, l’a appelé, discuter, c’est là il est revenu.

J : L’ambassadeur lui a dit «  ne démissionnez pas, s’il vous plait »

BC : Oui certainement, c’est ça : ne démissionnez pas, restez. [Rires]

J : On compte sur vous encore… [Rires]

BC : [Rires] C’est ça. « On compte sur  vous encore ». C’est ainsi qu’ils sont revenus, très vite. Quand ils sont revenus, ça nous a fait du monde. On était maintenant près de deux cents cinquante. Donc on a fermé tout, bouclé toute la ville, sur un rayon de 30 km.

J : Vous aviez des chars ?

BC : Non, non, on  n’a jamais eu des chars. C’est une histoire qui a circulé à Ouaga mais on n’a jamais eu de chars.

J : Vous aviez des armements lourds, quand même?

BC : Euh, mais on ne les utilisait pas. On n’avait pas besoin d’armement lourd, parce que, vous voyez Pô, il n’y a pas beaucoup d’issues, de passages pour arriver ici. Il y a la Volta, la grande route… Personne ne pouvait emprunter parce qu’on avait tellement… L’axe sud-est. Donc de ce côté aussi y’avait vraiment pas… Donc pour nous le combat, on n’avait pas besoin d’armement lourd. On peut facilement bloquer les accès. Et puis un ennemi qui s’hasarderait dans la région ici, dans un rayon de 100 km, nous connaissons, avec les manœuvres nous connaissons pratiquement toute la zone, donc ce serait dangereux pour nous approcher. On a obtenu  la libération  des camarades.

J : Entretemps y’a eu le voyage de Zongo ?

BC : Oui, effectivement, quelques jours après, il est venu, il m’a manqué d’abord parce que moi j’étais, j’étais au Ghana, voir les autorités là-bas pour leur parler de la situation en Haute-Volta. Bon ils m’ont dit « ouais, le haut-commissaire du nord… ».

BC : Eux, ils ont… enfin, l’ambassadeur de, à Accra a déjà écouté ce que, mon truc-là, intérieur, ça n’a rien à voir… et moi j’ai donc donné l’information contraire qu’en fait, c’était la contre-révolution et la révolution, la lutte, et que le Ghana se détermine, dans la mesure où déjà, la Côte d’Ivoire et le Togo, si au nord il y encore, aujourd’hui, c’est fini aussi pour lui… j’ai informé donc le camarade Rawlings

J : Il a compris ?

BC : Oui, il a compris

J : Il connaissait déjà le camarade Sankara ?

BC : Non non non

J : C’est après, donc

BC : C’est après, après sa libération

J : Donc vous avez été convaincant dans vos arguments, sans que vous vous connaissiez auparavant

BC : Oui, oui oui. Parce qu’après moi-même j’étais [blessé ?] à Accra. Je l’ai rencontré, on a discuté toute la journée de la situation. Ce n’est qu’après que, quand Thomas a quitté la prison, que nous avons pu le faire arriver jusqu’à là, pour discuter avec Rawlings et tout.

J : Donc il y a eu quand même deux mois de tension ?

BC : Oui il y a eu deux mois de tensions, mais finalement nous savons que nous avons le peuple, parce que notamment dès que le 20, 21, 22, y a eu les manifestations des élèves depuis d’ailleurs cette arrestation ; parce qu’en octobre y a plus eu de classe, hein, ah ouais on a été obligé de fermer les établissements, les élèves sont sortis avec des pancartes « Libérez Sankara », « Jean Bâtard au poteau »

J : [Rires] Jean Bâtard [Rires]

BC : Ouais, au poteau. Ils sont passés à l’ambassade de France casser des voitures, en disant… Ah ouais, c’était difficile ; donc après ça c’était…

J : Vous avez été quand même patient, parce que… Vous n’avez pas eu envie de…

BC : Non non non non non, moi parce que j’avais trop de soucis, j’avais la sécurité des

J : des personnes

BC : de Thomas, et aussi je ne voulais pas que, d’intervention étrangère parce que je sais que, si ça reste entre nous, nous, nous sommes capables de régler leur compte, mais si par exemple y a l’Anad ou bien des forces, voilà c’était ça notre problème ; donc, je, on a tout fait pour minimiser, même quand ils venaient, si ils trouvaient qu’on étaient, qu’on s’amusaient, on n’a jamais montré [Rires] qu’on… On était fermes politiquement, mais on n’a jamais vraiment créé cette situation

J : Au sein du Conseil de l’entente, il y a un accord de ?

BC : Anan… l’ANAD [Note : Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense, créé le 07 juin 1977 entre les États membres de la CEAO et le Togo]

J : C’est ça hein

BC : CEAO même

J : mais on n’a jamais fait appel

BC : Non. Mais nous savons qu’ils ont eu des contacts [un mot inaudible] avec le secrétariat de cet organisme, quand même

J : En cas de besoin…

BC : C’est vrai, puisque, après le 4 août l’Anad a envoyé du matériel militaire qui est venu nous trouver, donc c’est venu en retard là

J : [Rires] Ah bon ? [Rires]

BC : Nous a on pris…[Rires] et on a dit merci ! Donc, c’est ça et même le 20 mai, la France a envoyé six cents armes automatiques, le 20 mai ; donc ils avaient eu des complices, mais il leur manquait des hommes

J : Mais, comment ils pensaient s’en tirer, eux ?

BC : Oh je crois qu’ils ont fait ça comme ça, ils n’ont rien compris à l’histoire [Rires]

J : [Rires] C’est un peu aventureux…

BC : Ouais, parce que, ils croyaient que le CSP ; parce que, le CSP, c’était, c’est quand même nous qui faisions la force ici ; les gens commençaient à nous passer, sentaient en nous des… en fait on a été adopté vite par le peuple voltaïque, donc euh, ce que les gens ont oublié, donc ils pensaient qu’en nous mettant de côté, ça suffisait pour… C’est là qu’ils ont vu comment le peuple…  Imaginez-vous une ville comme Ougadougou, après le 17 mai, le 22, il organise, le président de la république, il organise une marche, pour euh, pour lui, avec radio tout ça, il n’a pas deux cent personnes alors qu’il a attrapé les autres [Rire] enfermés, c’est dire que la situation, vraiment ne lui était pas favorable, le peuple avait choisi son camp

J : Mais ce qui est étonnant, c’est qu’il n’avait aucune stratégie, y a rien, y a eu aucune stratégie après, parce quand il a vu que…

BC : Parce que le, en fait, c’est le colonel, ce mec qui a fait son coup, il l’a même obligé à accepter le fait accompli et, maintenant… or, c’est pas un politique Somé, c’est un fasciste primaire, là, qui donc pouvait rien organiser, c’est ça ; c’est pour ça l’ambassadeur de France était chaque fois avec Jean-Baptiste pour essayer de l’aider

J : Et vous avez [mot inaudible, les voix se couvrent] l’ambassadeur depuis ?

BC : Oui oui, d’ailleurs on a  trouvé qu’il était d’ailleurs en France, il était parti chez les Tubabu, et puis on a demandé à la France

J : Coup de chance pour lui [Rires]

BC : Oui oui, de le garder là-bas, mais ils nous ont dit, bon, comme y a les protocoles et machins, faudrait quand même, certaines manières-là [Rires], le laisser revenir

J : prendre ses bagages

BC : Oui, prendre ses bagages, officiellement et tout, mais c’était dur, enfin, je sais qu’après c’était dur pour lui quand il était là, parce que j’ai assisté même quand [nom incompréhensible] est arrivé

J : Quand qui ?

BC : Munchi [ ?]. Il est rentré pour voir, le présenter au Président, il a salué et le Président ne l’a même pas salué

J : [Rires]

BC : Oui, puisque, toutes les réunions qu’il faisait nuitamment nous étions informés, c’est ça aussi ; nous étions très bons sur la situation à Ouaga, ça c’était…

J : Donc, il suivait personnellement ?

BC : Ah oui, il suivait personnellement, mieux que le cardinal [ ?]

J : Mais, maintenant c’est que… Et Guy Penne était au courant de tout ce qui s’est passé, ou il a été pris de surprise ?

BC : Ah, je ne sais pas, mais nous le pensons, parce qu’il arrive le 16, il euh, je ne sais pas,  il va loger à l’ambassade, chez l’Ambassadeur, il dit de… la télévision leur a dit de ne pas être là, bon, et puis le… les gens nous disaient après même, parce que le 17 il a organisé un pot, une réception, nous c’est des, des bruits que nous avons entendus, il a dit aux gens que les Voltaïques devaient être contents, c’est une journée historique pour vous ; bon, alors tout ça, ça nous est parvenu, bon on s’est dit qu’il y était pour quelque chose, que du moins il était informé de ce qui allait se passer.

J : Et après il y a eu le 4 août

BC : Le… ?

J : Le 4 août

BC : 4 août ? Oh c’est loin ça ! [Rires]

J : La chevauchée sur le goudron

BC : Ouais, il était là, il a tout suivi… En fait le 4 août n’était pas… parce que, bon les gens pensent que nous avons fait le 4 août ensemble pour sauver nos têtes, mais, en fait le pouvoir ne pouvait plus aller à droite ; même le… on parlait du colonel, seigneur Penne et autres, ils prenaient le pouvoir à Ouaga ; oui, vous allez… c’était, c’était impossible de gouverner, en fait, ils n’allaient pas trouver…  Nous, nous restons à Pô, on ne leur dit rien, ils n’allaient pas trouver de militaires pour nous affronter, dans toute la… il n’était plus possible, parce que nous avions gagné des garnisons, les militaires venaient ici, avec des motos quittant les garnisons pour venir nous informer de ce qui [inaudible], et qui n’étaient pas du tout prêt à attaquer, quoi ; donc, quel que soit le pouvoir de droite qui venait, se mettait en place par la force, en juillet, il ne pas pouvait pas gouverner à notre place, c’était, ouais ;  il n’y avait pas, dans la kyrielle, de colonel on n’en voit pas, quelqu’un qui pourrait… parce qu’on les… ils ont traînés leur bosse dans la politique, alors les gens on les connaissait assez. Entre nous, le 4 août, en fait, sur le plan militaire, ça nous a pas, c’était pas une, une action héroïque comme ça

J : Spectaculaire

BC : Spectaculaire, parce que nous savions  qu’à Ouaga, sincèrement il n’y aurait pas eu de combat, hein, parce que les militaires avaient choisi leur camp, c’était…

J : Il n’y a eu aucune résistance ?

BC : Pfft. Un peu. Euh… Oui, à la résidence de Jean-Baptiste, il y a eu deux morts, y a eu trois morts même, là-bas, ouais ; et puis aux blindés, chez les… là où il y avait les chars. En dehors de ces deux points…

J : C’était presque symbolique, quoi ?

BC : Ouais, c’était symbolique ; en fait, c’était… en fait, la situation était telle que, c’était la gauche ou rien ; y avait pas de… parce que on voyait pas comment ça pouvait se terminer…

J : Et vous sentiez que les civils étaient mobilisés ?

BC : Ah oui, ça, nous le sentions, puisque la Haute-Volta, après le 10, après… en juillet, quand vous arriviez à Ouagadougou, vous sentez ! Les gens, c’était vraiment la… en juillet, juillet 83, c’était une existence, une désobéissance civile, comme ça, les…pendant une semaine les gens n’allaient pas au bureau, c’était vraiment pas leur problème le gouvernement de Jean-Baptiste, alors qu’il promettait encore de faire revenir les vieux chibollas ; alors, c’était, pour les gens, ils en avaient marre, les gens ne se sentaient plus, donc euh, c’est dire que, et la preuve, c’est le 4 août, dans la nuit-même, il fallait faire rentrer les gens, dans leurs… parce que pendant que ça tirait, les gens criaient « Vive la révolution ! » et ils venaient avec leur mobylette à côté de vous et dire « Vive la révolution » [Rires de la journaliste]. Ah ouais, c’était ça, et le 5 au matin, généralement nous connaissons, en Haute-Volta quand il y a coup d’État, les gens…

J : sont sortis ?

BC : Oui, ils attendent de voir si réellement un camp a gagné avant de… mais le 5 au matin, ils étaient là, il y avait, toute la population est sortie, commencée de la place de la révolution jusqu’à la présidence, alors que… c’était vraiment, les jours qui suivaient, mais, je sais pas, on a rarement mobilisé, je sais que depuis l’indépendance on a jamais vu de manifestation comme ça ; non, c’était immense comme…

J : C’était la première fois qu’il y  avait un contact aussi direct entre la population et les militaires, hein ?

BC : Oui, c’est ça ; en dehors de, on a eu des contacts comme ça souvent avec des éléments qui venaient bénévolement nous informer

J [elle coupe la parole]: Délégation spontanée ?

BC : Spontanée, oui, et comme ça nous informer de la situation ; puis les contacts que nous avons gardés avec euh des groupes, des groupes

J : Des liaisons individuelles ; alors que les gens dans la rue, c’est…

BC : Ah oui, la rue, dans la rue c’est, c’est aussi comme ça,c’est… mais, on  a gardé des cont… mais j’avais beaucoup de contacts, hein pratiquement on ne dormait même pas là, tout le temps deux heures les gens viennent nous baratiner, maintenant, comme ça on les connait même pas [Rires de la journaliste], et puis ils venaient, ils demandaient à

JC [elle coupe la parole]: Vous les laissiez passer ?

BC : à s’engager dans l’armée on a été obligé de faire un camp d’entraînement [Rires de la journaliste] et puis les mettre là-bas ; on les mettait là-bas, eux les civils

J : Ils vous ont été utiles ?

BC : Bon, jusqu’à, ouais, ils nous ont, en tout cas aidés à

J : moralement

BC : moralement, et  après comme il y a eu la réconciliation le 16 juin, bon, on avait, on les avait libérés… Avant le 4 août encore, y en a qui sont revenus.

J : C’était… c’était quand même encourageant pour vous, que vous sentiez la solidarité aussi

BC : Oui, ça y avait la solidarité. Parce que, il faut avouer que nous même dans un premier temps ce qui nous intéressait c’était de revendiquer la liberté pour nos camarades, en fait l’application des dispositions des statuts du CSP.

J : Inégalitaires, à l’époque ?

BC : Voilà. Après, nous avons senti qu’en fait, ce que le peuple demandait c’était même pas la liberté de Sankara mais c’était même Sankara à la tête de la

J : au pouvoir

BC : Voilà, c’est ça. Et c’est ce qui nous a poussés nous aussi à voir plus loin. Je crois que nous avons senti que le peuple avait des aspirations certaines, quant aux choix politiques qu’il fallait faire, euh, et c’est cela qui explique donc que nous ayons été entraînés pratiquement par le peuple dans cette situation.

J : Et c’est par la population que vous étiez informés régulièrement de ce qui se passait, en partie ?

BC : Oui, à Ouagadougou.

J : Et les militants des partis de gauche, tout ça ?

BC : Oui ! Avec eux aussi nous avons gardé des contacts, c’est essentiellement par leur canal aussi que nous avions les informations les plus… régulières, quoi. Indépendamment de ça je dis qu’il y a beaucoup de patriotes qui venaient ici à tout heure pour nous dire il y a eu tel mouvement d’unité, ou telle chose de Jean Baptiste etc … et pratiquement les correspondants Basama, de Somé, Jean Baptiste, nous les recevions ici… on était vraiment très bien organisés en ce sens-là.  .

J : Et puis il y a eu la création des CNR ?

BC : Des C…?

J : Des CNR, la composition de l’alliance, si on peut dire, entre les militaires et les…

BC : Voilà. Il y a eu la création des, du CNR, la création des CDR, des trucs comme ça. Pour que la révolution ait une direction, il faut des instruments de… pour défendre la révolution. Donc, ça nous a paru primordial.

J : Et vous sentez la nécessité de l’unification, de cette époque que vous dites plutôt commune, passer des CDR au CNR ?

BC : Ce serait difficile, mais nous pensons qu’il, en fait euh, c’est… nous pensons qu’il y a quelque chose de fondamental. C’est que, tant que la révolution est monopolisée par des groupuscules, des groupes politiques ; même à un moment donné avant le 4 Août on ne parlait que de révolution dans certains groupes de gauche qui parfois même n’avaient pas de grande…. Mais, maintenant que le mouvement s’est popularisé, et que la révolution est partout, et l’éducation

J : Ça les dépasse ?

BC : Voilà, ouais, effect, il y aura, le problème, c’est-à-dire que, l’union va se faire, même si sans

J : Même sans certains [rire de la journaliste]

BC : Même sans certains. Ça c’est, ce n’est pas, c’est le peuple qui va faire parce que le peuple a envie d’aller de l’avant dans la révolution. Moi je suis…. pour ça je suis optimiste. Je ne pense pas qu’il y ait un obstacle, je fais confiance au peuple qui est acteur déterminant dans tout ça

J : Quel bilan vous faites des effets, du moins, du pouvoir révolutionnaire ?

BC : Ben [hésitation], ça nous a permis surtout de [hésitation] de voir les [hésitation]les problèmes, que la résolution du problème, pratiquement, c’est quand même quelque chose de difficile, compte tenu de toutes les composantes, compte tenu aussi de la nature même néocoloniale d’un certain système qui commande et ligue pratiquement les mêmes. Vous voyez ce que vous voulez faire ; vous devez aller avec beaucoup de réalisme, et les gens peuvent penser que c’est parce que vous ne pouvez pas avancer, ou que vous ne voulez pas avancer, alors y a tous ces problèmes-là [choc dans le micro, ou coupure dans l’enregistrement, et reprise] Mais nous sommes…

J : Vous ne sentiez pas, avant, l’état contraignant des structures féodalités ? Vous l’avez senti après…

BC : Et justement, c’est ce que je veux dire, ces mach…trucs du passé, ces dures réalités du passé, nous sentons surtout la difficulté dans le changement des mentalités, parce que vous voyez nous sommes une révolution qui n’est pas d’abord… les gens n’ont pas fait de guerre de libération ou, voyez, paysans, ouvriers, intellectuels, on s’est côtoyés dans les maquis et tout, et on accepte après, quand l’instauration de la révolution exige certains sacrifices. Actuellement, les gens, même, on voit l’euphorie des premiers moments, et maintenant, c’est-à-dire la révolution se décante, se purifie… parce que, effectivement, le sacrifice là, pour réaliser la révolution, n’est pas dans tous les cœurs. Ça c’est très difficile. Et y a surtout, ce qu’on peut dire aussi, c’est le problème d’éducation de tout un peuple, cela aussi se pose dans la mesure aussi où nous n’avons pas, c’est pas un parti révolutionnaire, par exemple communiste etc., révolutionnaire, qui aurait pris la direction d’un pouvoir, et avec ses cadres qui dirigent déjà, de recouvrir tout le pays pour faire passer les mots d’ordre, façon…Voilà, actuellement ce problème se pose aussi au niveau de l’éducation de seize millions de personnes-là sans que des structures d’encadrement bien structurées là, ça c’est un grand problème pour nous.

J : Ce qui nous parait presque paradoxal c’est que, bien que vous, euh, savez un peu, disons, vous avez vécu l’histoire de l’armée néocoloniale,

BC : Hum hum

J : Vous semblez presque plus conscient de la réalité nationale que les partis civils eux-mêmes. On a l’impression que vous aviez des attaches, une connaissance, non ?

BC : Oh non

J : Non ?

BC : Non, je crois que, mais quand même c’est que, nous ça fait quand même une dizaine d’années qu’on travaille politiquement, même si…

J : Mais eux ils le savent pas [rires]

BC : [Rires] Je crois que, c’est ça aussi. Et, nous n’avons jamais cessé d’aborder les questions de la vie pratique du peuple voltaïque, hein, de toutes façons. Tout cela, ouais, ça nous a permis de nous cultiver, même si on a été beaucoup entravé par les tâches, parce quand on avait beaucoup de, moi je m’occupais des parachutismes, l’autre aussi était dans les parachutistes, comme le président dans les commandos, c’est toujours des unités, ou le boulot militaire, hein.

J : Disons que vous faites preuve de réalisme, dans ce sens

BC : Oui, Parce que nous avons toujours suivi avec attention les luttes populaires en Haute-Volta et nous avons vu ce que le peuple réclamait à chaque fois, après chaque pouvoir. C’est ça. Je crois que c’est l’analyse concrète que nous avons pu faire de situations concrètes comme…

J : Et la transformation de cette armée néocoloniale ? Elle se fait rapidement d’après vous, ou il y a de grands obstacles ?

BC : Oh, nous pensons qu’elle va se faire avec euh, bon… Y a, y a beaucoup de difficultés, parce vraiment, du jour au lendemain ; on a 23 années de, on nous a mis dans la tête, vous voyez, le cadre ; aujourd’hui vouloir tout changer c’est très difficile, mais avec les dégagements,  on a [mot inaudible] d’officiers plus… même s’ils ne sont pas des révolutionnaires convaincus, leur amour pour leur pays, leur loyauté, leur… ça nous permet de travailler avec eux de façon régulière. Nous essayons d’organiser ça autour de principes clairs, à savoir, comme dans tout régime, que la direction politique puisse diriger l’armée. Pour que ça ne soit pas l’idéologie de gens réactionnaires qui pénètre l’armée. Que, il y ait le travail donc désiré entre eux et le peuple, l’intégration avec le peuple…

J : Concrètement comment elle peut se faire cette intégration ?

BC : Concrètement, il y a le travail politique que nous faisons, mais il y a surtout les tâches pratiques. D’ailleurs, je disais ce matin au délégué CDR, lorsque nous disons de faire des champs, de faire de l’élevage, de faire, euh, des trucs inutiles dans les camps, c’est parce que nous savons que, même si on leur fait, on met dans leur tête-là [Rire de BC] toute l’idéologie, la théorie révolutionnaire, tant que, concrètement, ils ne font pas les tâches pratiques, les tâches du paysan moyen, les tâches de l’éleveur moyen, ils ne peuvent pas se sentir appartenir à cette classe laborieuse-là, pour mieux la défendre. Parce que quand le militaire, dans tout ce que le paysan fait, dans tout ce que l’éleveur moyen fait, il se sentira beaucoup plus lié à cette classe-là, même s’il n’y a pas un travail politique qui vient renforcer, nous mettons l’accent justement sur ces tâches.

J : Mais concrètement, ces travaux doivent servir, disons, à l’autonomie de la, euh, de l’armée, ou ?

BC : Non, non, hé, ça, c’est des, c’est pour des années-choses, maintenant ce qui nous intéresse c’est le contenu

J : D’éducation

BC : Idéologique

J : Pédagogique ?

BC : Voilà, le contenu idéologique de la, c’est cette part de travail qui nous intéresse, à savoir que ça va permettre à des militaires, là, de  se sentir plus proches [quelques mot inaudible], de mieux leur…

J : d’effacer leur sentiment de privilège

BC : voilà, des gens qui n’ont pas, qui trouvent que ces paysans, ces éleveurs, c’est des gens, ouais, un peu abrutis, quoi

J : L’armée est entièrement alphabétisée ?

BC : Entièrement ?

J : Alphabétisée, comme on dit

BC : Non, ça c’est un problème aussi. Les CDR ont pratiquement inscrit ça aussi à, dans leurs programmes d’activités

J : Et c’est un pourcentage, euh, pas très élevé ? On a l’impression que non, c’est que, c’est une armée déjà dans…

BC : Ouais ben les militaires parlent le français un peu. Un peu, hein, parce qu’on donne les cours en français, ils sont obligés de suivre, avec… y a pas de grammaire, mais ça va.

J : Comment vous considérez la relation entre les CDR, paramilitaire et l’armée régulière ?

Autre J : Les paramilitaires, ce sont les milices, hein ?

J : Oui

BC: Ah, les milices. Non, nous, nous disons que, en fait, nous formons assez, parce que nous avons des tâches. Par exemple ici dans notre programme de, de…chose, s’il y a des problèmes dans la région, par exemple si nous avons, nous avons eu une défense à assurer dans la [gare de…] il ne faut pas que ce soit nous encore qui soyons là parce qu’il y a des points sensibles dans la ville, l’ONE, la …. ça ce n’est pas à nous militaires, nous les commandos, on ne doit pas s’occuper de ça. C’est la population qui doit. Ouais. C’est des tâches de second plan ; voilà, donc il ne peut pas y avoir de

J : Et vous comptez l’élargir, l’armée, ou bien consolider ?

BC : Non. Se consolider donc, la conscience, renforcer la conscience de classe et puis former, la formation généralisée du peuple

J : Comment ça, finalisée du ?

BC : Peuple

J : Au-delà donc

BC : Militaire ; formation militaire généralisée du peuple et puis, peut-être, si ça marche, peut-être le service national

J : Et il y a beaucoup de soldats de carrière, comme on dit ?

BC : Actuellement oui, oui pratiquement l’armée c’est la carrière, ceux qui sont dans les unités constituées, c’est la carrière

J : Donc il faut en faire des révolutionnaires professionnels ?

BC : Voilà, des, ah ouais, ce sont un instrument politique, hein. L’armée a toujours, a été un instrument politique au service des  bourgeoisies et des classes dominantes, il faut aussi que ce soit un instrument politique au service du peuple, nous travaillons à cela.

J : Vous pensez que, si d’un jet y a, je veux dire, s’il y a des forces, certainement il y en a, qui essayent de s’opposer à ce processus révolutionnaire, elle ne viendront pas de l’armée désormais ? Malgré quelques remous récemment, on a entendu parler de quelques officiers qui complotaient …

BC : Oh ! Vous savez, les forces de réaction ça peut venir de partout hein ! Y a pas de… L’ennemi  peut utiliser le le, tant que… peut utiliser l’armée, le clergé, tout ce qu’on veut. Donc, non, il faut être vigilant surtout mais nous savons qu’il à un travail qui doit permettre à l’armée de rester au service de son peuple, ça c’est sûr

J : Et vous ne sentez pas particulièrement, enfin le, que que, que dans l’armée il y ait vraiment des mécontentements, ou de ?

BC : Oh, mais les mécontents par rapport aux autres c’est minime, c’est négligeable, mais ça fait, ça gêne quand même lorsqu’il y a des mécontents.

J : Et la gendarmerie dépend du ministère de la défense ?

BC : Oui.

J : Et elle s’est intégrée dans…?

BC : Oui ! Il n’y a pas de problème, même ici, on avait des gendarmes

J : On les a vus, oui

BC : Ils étaient à l’organisation, comme les autres

J ; Y a pas de contestation

BC : Non. Bon [Rire]

J : Il y a eu un accident récemment.

BC : Où ?

J : Ici

BC : Ah ouais, effectivement au camp il y a eu un accident parce que nous sommes, vous savez nous travaillons beaucoup avec des explosifs et il y a eu dans une des soutes là les explosifs qu’on avait dedans qui ont sautés

J : Tout seul ?

BC : Jusque-là, on ne sait pas puisque les soldats étaient pratiquement tous dehors, après la garde, ils étaient là … et là, vraiment, on se demande ce qui a bien pu se produire

J : Vous n’avez pas su ce qui s’est passé ?

BC : Non.

J : Quelles sont vos fonctions exactement au sein du gouvernement ?

BC : Ministre d’état délégué à la présidence de la république. C’est-à-dire que mon ministère c’est la présidence. [Rires] Je suis un fonctionnaire de la présidence. [Rires]

J : Oui, je vois. Vous voyagez beaucoup à ce poste-là ?

BC : Non. De temps en temps je sors en mission

J : C’est surtout des fonctions intérieures ?

BC : … Autrement je m’occupe beaucoup plus des contacts avec le camarade président, on discute beaucoup. Pour l’instant ça va.

J : On vous remercie

BC : Nous, nous allons jouer au football

J : Oui. Nous aussi ?

BC : C’est tout de suite.

Cet article Interview de Blaise Compaoré. Résistance au putsch du 17 maiI 1983. est apparu en premier sur Thomas Sankara.

Interview de Blaise Compaoré sur sa résistance au putsch du 17 mai 1983, le 4 août et la Révolution.

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Nous publions ici un document historique sous la forme d’une interview de Blaise Compaoré , qui nous a été confiée par Augusta Conchiglia. C’est elle  qui a réalisé l’interview alors qu’elle était journaliste à Afrique Asie..

Il revient sur le récit de son retour à Po après l’arrestation de Thomas Sankara. On se rappelle que le 17 mai 1983, Thomas Sankara était écarté de son poste de premier ministre et arrêté à la suite d’un putsch militaire. Blaise Compaoré avait pu rejoindre les commandos de Po et se déclarer en rébellion. De nombreux militants sont venus par le suite rejoindre Po dans la perspective de résister à ce putsch organisé par les éléments de droite du CSP (Comité de Salut du peuple). L’enregistrement commence par des sons d’un meeting. Puis on trouvera ici l’enregistrement audio de l’interview de Blaise Compaoré, par Augusta Conchiglia et sa collègue Cherifa . Blaise Compaoré raconte ce qui s’est passé le 17 mai 1983.

L’interview se poursuit avec le récit de la préparation du 4 août puis aborde différentes questions notamment celles du rapport entre les militaire et les organisations politiques révolutionnaires

Nous avons reçu l’audio mais nous ne savons pas précisément quand l’interview a été faite ni à quelle occasion. Sans doute à la suite d’une réunion des CDR à Koupéla. D’où le début de l’audio, avant de passer à l’interview. La retranscription a été réalisée par Karim de Labola et Daouda Coulibaly membres de l’équipe du site thomassankara.net. La vérification et les corrections orthographiques ont été faites par Jacques Zanga Dubus.

La rédaction.


Le son

Le début de l’audio (quelques minutes) est un extrait d’un meeting pendant la révolution.L’interview de Blaise Compaoré commence à la minute 03.


La retranscription

Bruit de voix d’une foule en réunion, applaudissements

Une voix : L’impérialisme

Foule : À bas

Une voix : le Néo-colonialisme

Foule : À bas

Une voix : les diviseurs du peuple

Foule : À bas

Une voix : Les affameurs du peuple

Foule : À bas

Une voix :   Ceux qui font courir les faux bruits

Foule : À bas

Voix : Pour l’union du peuple

Foule : ….Euuhn hrr

Voix : Pour l’union du peuple

Foule : Victoire

Voix : Pour l’union du peuple

Foule : Victoire

Voix : Merci camarades

………………

00’.34’

La voix  (modérateur identité ?) : Bonsoir, je suis venu surtout pour écouter et pour apprendre. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas le droit de conserver le micro pendant longtemps. Et je vais vous le rendre immédiatement pour écouter avec vous, participer au débat comme tout un chacun. Merci

00’.56’’Une autre voix (un responsable CDR?) : Le CDR de Koupela ne saurait être récupéré par  quelque bord que ce soit, et je souligne à l’intention de tous  que ce CDR-là reste le cadre représentatif pour débattre de tous les problèmes  qui se posent à Koupela. Un camarade venait de poser la question au camarade BODIGA  pourquoi à savoir quand il y a chaque fois un problème, les gens viennent le toucher personnellement, alors qu’y a un bureau CDR qui a été assis ici. Et je pense que ce bureau-là est à même de résoudre tous les problèmes. Alors si vous ne pouvez pas œuvrer, travailler ensemble dans ce cadre-là, je crois que tout ce qui se fait  à côté, dans les couloirs, je pense que  c’est du noir, c’est du lugubre ; ce n’est pas des solutions à faire avancer les choses ici. Je pense que désormais si y a un problème qui se pose, vous saisissez les CDR, et je pense que ce problème-là trouvera une solution, au lieu de… Je pense que nous en avons marre de tous les problèmes individuels qui ne cessent de diviser les gens ici. La question de bords, euh… je pense que la politique politicienne c’est fini. Si vous ne pouvez pas travailler,  vous regrouper  dans un cadre unique pour travailler …je pense que…ou bien on est dans la révolution, ou bien on reste chez soi, et on n’emmerde pas les gens. Je vous remercie.

————-

03’00 Interview de Blaise Compaoré interrogé par une journaliste occidentale

Blaise Compaoré : Je dis, peut-être qu’ils ont tenté donc de jouer leur coup, ça n’a pas marché, et ils sont repartis. Et en attendant de projeter ça un autre jour. Bon, néanmoins, je rentre, je prends des précautions, toutes les armes que j’avais, je les fais sortir. A. C.’étais assis au salon et j’attendais.

Augusta Conchiglia : De chez vous ?

BC : Oui, que peut-être ils allaient revenir entretemps, parce que j’avais dit à mon chauffeur  d’aller déposer ses affaires au camp Guillaume, le grand camp, au camp  au centre de la ville là, et j’avais dit de revenir me chercher. Parce que… comme j’avais eu vent du complot  je me disais  qu’à 17h, il fallait que je sois à la présidence pour demander aux Jean-Baptiste, quoi quoi quoi, pourquoi ils complotent contre nous. Juste un quart d’heure après, le chauffeur est revenu me dire que le camp est encerclé…C’est à dire que les commandos…Y’avait  cinquante commandos de Pô qui étaient à Ouaga pour la sécurité de Jean-Baptiste, on les envoyait dix par semaine à son domicile. Mais les éléments conspirateurs, sachant que ils ne peuvent pas arrêter Thomas,  les cent cinquante vont les… Ah ouais, ils ne vont pas, ils ne vont pas accepter, donc ils vont emmener des chars encercler le camp. Zongo Henri était là-bas, le militaire, avec son unité. Et c’est ainsi que, comme les hommes même le connaissant, c’est pas devant des militaires, ils ne vont jamais accepter se rendre. Et donc ça a trainé comme ça… Et moi pendant ce temps, j’étais…dès qu’il est revenu me dire, j’ai dit : « bon on va à Pô » [Rires]. On est sorti et on a pris la route de  Ouahigouya, ensuite…

A. C. : Et on vous a pas embêté ?

BC : Non, non, non, les gendarmes n’étaient pas encore revenus. C’est après moi qu’ils sont venus ; c’est quand j’ai quitté qu’ils sont revenus. Ils sont arrivés demander après moi.

A. C. : Ils n’étaient pas bien organisés ou bien c’était surestimé

BC : Non, non ils étaient très mal organisés. Militairement c’était zéro, vraiment c’était zéro… Donc euh… c’est ainsi que moi j’ai pu rejoindre, traverser les rails, prendre la route de Bobo, piquer vers  le sud pour rejoindre la route de Leo, et puis c’est ainsi que … je suis arrivé ici à 15 heures. A. C.’ai fait 9 heures de route Pô-Ouaga ce jour-là [Rires]. Ah oui c’était… j’ai rencontré deux fois des gendarmes à des carrefours pendant les contrôles. Arrivé, j’ai trouvé que les éléments, comme ils ont, ils avaient eu l’information comme quoi leurs camarades étaient encerclés, ils avaient déjà pris des camions pour monter à Ouagadougou.

A. C. : Ils les avaient bloqués ?

BC : Et eux-mêmes, ils se sont arrêtés sur la route. C’était le matin ; ils ont appris ça vers les 5 h du matin. Donc, ils se sont arrêtés sur la route parce que ils se sont  dit que si ils vont pour  libérer leurs camarades, ils allaient pouvoir le faire, mais le premier ministre qui était arrêté, ils allaient le liquider peut être. Donc, c’est pourquoi ils sont restés dans la Volta à 30 km. Automatiquement, j’ai convoqué le monde et on a tenu une assemblée générale pour voir la position à adopter. La position était d’exiger dans les quarante-huit heures la libération complète de  nos camarades  pour qu’ils nous rejoignent ici. C’était  l’autre ooh, la demande quoi, pour nous c’était ça ou rien, en dehors de ça on ne discute même pas d’autres choses.

A. C. : Y’avait combien, au-delà du président, et commandant Lingani, qui d’autres étaient emprisonnés ?

BC : Oui, Lingani aussi, voilà j’oubliais..

A. C. : Et qui d’autre ?

BC : Les deux, Zongo et mon adjoint le lieutenant Diendéré Gilbert, qui était mon adjoint

A. C.: Il était là-bas ?

BC : Lui il était… parce que le 17,  dans la semaine, donc à l’entrainement ici il y a eu un… euh,  comment dirais-je… un blessé..  y’a un qui a reçu une balle dans la cuisse. Lui il l’avait transporté à Ouagadougou.

A. C. : Donc il s’est trouvé là-bas par hasard ?

BC : Oui par hasard. Donc le matin il s’est levé du mess des officiers pour aller…Les putschistes sont venus lui demandé d’aller conseiller les commandos, de réfléchir quoi, donc lui il est parti, il a pu rentrer les rejoindre. Et puis lui aussi il a pris une arme quoi. Ils ont décidé de ne pas se rendre… Ils ont lutté jusqu’au bout. C’est ainsi qu’avec le capitaine Zongo ils ont organisé une résistance dans le camp jusqu’à 22 h le soir ; à 22 h donc ils ont tombés d’accord sur une plate-forme minimale à savoir : la libération, donc… permettre au camarade Président et puis Lingani de s’expliquer devant une assemblée, de ne pas arrêter donc les euh…

A. C. : l’assemblée du CSP ?

BC : Du CSP, convoquer ça pour qu’il s’explique. Ne pas arrêter Lingani, les… choses, Zongo et Diendéré qui étaient au camp là-bas, et puis un troisième, le capitaine Boukary qui commande les parachutistes à Koudougou. Lui aussi le matin, il s’est levé, il est parti à… On a convoqué les officiers pour leur expliquer pourquoi ils ont fait le coup d’État. Il a écouté ça, il a dit « ça marche pas ». Il est parti rejoindre les autres au camp. C’est lui qui commande les parachutistes maintenant, c’est trois officiers avec une quarantaine de commandos. C’est ainsi qu’ils ont…  euh…

A. C. : Ouaga était pratiquement encerclé ?

BC : Ah oui Ouaga était encerclé. Encerclé par ??

A. C. : Parce  vous disiez que le capitaine Boukary était pas d’accord ? Donc il était prêt à…

BC : Oui, il a rejoint les commandos dans le camp, c’est un camp clôturé

A. C. : Donc il y avait une résistance à Pô, à Koudougou ?

BC : Non, à Koudougou il n’était pas encore commandant des parachutistes. Il était officier des sports. .

A. C. : Ah oui actuellement

BC : Oui il est actuellement

A. C. : Ah ok,  donc il est actuellement

BC : Oui, il est actuellement.  Donc finalement, ils ont promis les camarades Président, Lingani, de baisser les armes, ils vont discuter.

A. C. : Mais il n’y a pas eu d’assemblée ?

BC : C’était après, le 23. Mais ils n’ont pas, ils ne les ont pas fait venir. Ce n’est que vers le 30 qu’ils les ont libérés ; donc ils ne sont pas venus à l’assemblée, bon ils ont fait des votes bidons là… euh…

A. C. : Pour cautionner le coup d’État…

BC : Oui, cautionner. Pour supprimer le premier ministère y’avait 30 sur 120, le reste c’est abstention. Donc tous les votes c’était abstention, y’avait 80/90 abstentions ; donc ça a énervé  Jean Baptiste, il s’est énervé et il est sorti aller se mettre dans une salle, et disait qu’il allait démissionner et tout. Et c’est là que l’ambassadeur de France est venu entrer, l’a appelé, discuter, c’est là il est revenu.

A. C. : L’ambassadeur lui a dit «  ne démissionnez pas, s’il vous plait »

BC : Oui certainement, c’est ça : ne démissionnez pas, restez. [Rires]

A. C. : On compte sur vous encore… [Rires]

BC : [Rires] C’est ça. « On compte sur  vous encore ». C’est ainsi qu’ils sont revenus, très vite. Quand ils sont revenus, ça nous a fait du monde. On était maintenant près de deux cents cinquante. Donc on a fermé tout, bouclé toute la ville, sur un rayon de 30 km.

A. C. : Vous aviez des chars ?

BC : Non, non, on  n’a jamais eu des chars. C’est une histoire qui a circulé à Ouaga mais on n’a jamais eu de chars.

A. C. : Vous aviez des armements lourds, quand même?

BC : Euh, mais on ne les utilisait pas. On n’avait pas besoin d’armement lourd, parce que, vous voyez Pô, il n’y a pas beaucoup d’issues, de passages pour arriver ici. Il y a la Volta, la grande route… Personne ne pouvait emprunter parce qu’on avait tellement… L’axe sud-est. Donc de ce côté aussi y’avait vraiment pas… Donc pour nous le combat, on n’avait pas besoin d’armement lourd. On peut facilement bloquer les accès. Et puis un ennemi qui s’hasarderait dans la région ici, dans un rayon de 100 km, nous connaissons, avec les manœuvres nous connaissons pratiquement toute la zone, donc ce serait dangereux pour nous approcher. On a obtenu  la libération  des camarades.

A. C. : Entretemps y’a eu le voyage de Zongo ?

BC : Oui, effectivement, quelques jours après, il est venu, il m’a manqué d’abord parce que moi j’étais, j’étais au Ghana, voir les autorités là-bas pour leur parler de la situation en Haute-Volta. Bon ils m’ont dit « ouais, le haut-commissaire du nord… ».

BC : Eux, ils ont… enfin, l’ambassadeur de, à Accra a déjà écouté ce que, mon truc-là, intérieur, ça n’a rien à voir… et moi j’ai donc donné l’information contraire qu’en fait, c’était la contre-révolution et la révolution, la lutte, et que le Ghana se détermine, dans la mesure où déjà, la Côte d’Ivoire et le Togo, si au nord il y encore, aujourd’hui, c’est fini aussi pour lui… j’ai informé donc le camarade Rawlings

A. C. : Il a compris ?

BC : Oui, il a compris

A. C. : Il connaissait déjà le camarade Sankara ?

BC : Non non non

A. C. : C’est après, donc

BC : C’est après, après sa libération

A. C. : Donc vous avez été convaincant dans vos arguments, sans que vous vous connaissiez auparavant

BC : Oui, oui oui. Parce qu’après moi-même j’étais [blessé ?] à Accra. Je l’ai rencontré, on a discuté toute la journée de la situation. Ce n’est qu’après que, quand Thomas a quitté la prison, que nous avons pu le faire arriver jusqu’à là, pour discuter avec Rawlings et tout.

A. C. : Donc il y a eu quand même deux mois de tension ?

BC : Oui il y a eu deux mois de tensions, mais finalement nous savons que nous avons le peuple, parce que notamment dès que le 20, 21, 22, y a eu les manifestations des élèves depuis d’ailleurs cette arrestation ; parce qu’en octobre y a plus eu de classe, hein, ah ouais on a été obligé de fermer les établissements, les élèves sont sortis avec des pancartes « Libérez Sankara », « Jean Bâtard au poteau »

A. C. : [Rires] Jean Bâtard [Rires]

BC : Ouais, au poteau. Ils sont passés à l’ambassade de France casser des voitures, en disant… Ah ouais, c’était difficile ; donc après ça c’était…

A. C. : Vous avez été quand même patient, parce que… Vous n’avez pas eu envie de…

BC : Non non non non non, moi parce que j’avais trop de soucis, j’avais la sécurité des

A. C. : des personnes

BC : de Thomas, et aussi je ne voulais pas que, d’intervention étrangère parce que je sais que, si ça reste entre nous, nous, nous sommes capables de régler leur compte, mais si par exemple y a l’Anad ou bien des forces, voilà c’était ça notre problème ; donc, je, on a tout fait pour minimiser, même quand ils venaient, si ils trouvaient qu’on étaient, qu’on s’amusaient, on n’a jamais montré [Rires] qu’on… On était fermes politiquement, mais on n’a jamais vraiment créé cette situation

A. C. : Au sein du Conseil de l’entente, il y a un accord de ?

BC : Anan… l’ANAD [Note : Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense, créé le 07 juin 1977 entre les États membres de la CEAO et le Togo]

A. C. : C’est ça hein

BC : CEAO même

A. C. : mais on n’a jamais fait appel

BC : Non. Mais nous savons qu’ils ont eu des contacts [un mot inaudible] avec le secrétariat de cet organisme, quand même

A. C. : En cas de besoin…

BC : C’est vrai, puisque, après le 4 août l’Anad a envoyé du matériel militaire qui est venu nous trouver, donc c’est venu en retard là

A. C. : [Rires] Ah bon ? [Rires]

BC : Nous a on pris…[Rires] et on a dit merci ! Donc, c’est ça et même le 20 mai, la France a envoyé six cents armes automatiques, le 20 mai ; donc ils avaient eu des complices, mais il leur manquait des hommes

A. C. : Mais, comment ils pensaient s’en tirer, eux ?

BC : Oh je crois qu’ils ont fait ça comme ça, ils n’ont rien compris à l’histoire [Rires]

A. C. : [Rires] C’est un peu aventureux…

BC : Ouais, parce que, ils croyaient que le CSP ; parce que, le CSP, c’était, c’est quand même nous qui faisions la force ici ; les gens commençaient à nous passer, sentaient en nous des… en fait on a été adopté vite par le peuple voltaïque, donc euh, ce que les gens ont oublié, donc ils pensaient qu’en nous mettant de côté, ça suffisait pour… C’est là qu’ils ont vu comment le peuple…  Imaginez-vous une ville comme Ougadougou, après le 17 mai, le 22, il organise, le président de la république, il organise une marche, pour euh, pour lui, avec radio tout ça, il n’a pas deux cent personnes alors qu’il a attrapé les autres [Rire] enfermés, c’est dire que la situation, vraiment ne lui était pas favorable, le peuple avait choisi son camp

A. C. : Mais ce qui est étonnant, c’est qu’il n’avait aucune stratégie, y a rien, y a eu aucune stratégie après, parce quand il a vu que…

BC : Parce que le, en fait, c’est le colonel, ce mec qui a fait son coup, il l’a même obligé à accepter le fait accompli et, maintenant… or, c’est pas un politique Somé, c’est un fasciste primaire, là, qui donc pouvait rien organiser, c’est ça ; c’est pour ça l’ambassadeur de France était chaque fois avec Jean-Baptiste pour essayer de l’aider

A. C. : Et vous avez [mot inaudible, les voix se couvrent] l’ambassadeur depuis ?

BC : Oui oui, d’ailleurs on a  trouvé qu’il était d’ailleurs en France, il était parti chez les Tubabu, et puis on a demandé à la France

A. C. : Coup de chance pour lui [Rires]

BC : Oui oui, de le garder là-bas, mais ils nous ont dit, bon, comme y a les protocoles et machins, faudrait quand même, certaines manières-là [Rires], le laisser revenir

A. C. : prendre ses bagages

BC : Oui, prendre ses bagages, officiellement et tout, mais c’était dur, enfin, je sais qu’après c’était dur pour lui quand il était là, parce que j’ai assisté même quand [nom incompréhensible] est arrivé

A. C. : Quand qui ?

BC : Munchi [ ?]. Il est rentré pour voir, le présenter au Président, il a salué et le Président ne l’a même pas salué

A. C. : [Rires]

BC : Oui, puisque, toutes les réunions qu’il faisait nuitamment nous étions informés, c’est ça aussi ; nous étions très bons sur la situation à Ouaga, ça c’était…

A. C. : Donc, il suivait personnellement ?

BC : Ah oui, il suivait personnellement, mieux que le cardinal [ ?]

A. C. : Mais, maintenant c’est que… Et Guy Penne était au courant de tout ce qui s’est passé, ou il a été pris de surprise ?

BC : Ah, je ne sais pas, mais nous le pensons, parce qu’il arrive le 16, il euh, je ne sais pas,  il va loger à l’ambassade, chez l’Ambassadeur, il dit de… la télévision leur a dit de ne pas être là, bon, et puis le… les gens nous disaient après même, parce que le 17 il a organisé un pot, une réception, nous c’est des, des bruits que nous avons entendus, il a dit aux gens que les Voltaïques devaient être contents, c’est une journée historique pour vous ; bon, alors tout ça, ça nous est parvenu, bon on s’est dit qu’il y était pour quelque chose, que du moins il était informé de ce qui allait se passer.

A. C. : Et après il y a eu le 4 août

BC : Le… ?

A. C. : Le 4 août

BC : 4 août ? Oh c’est loin ça ! [Rires]

A. C. : La chevauchée sur le goudron

BC : Ouais, il était là, il a tout suivi… En fait le 4 août n’était pas… parce que, bon les gens pensent que nous avons fait le 4 août ensemble pour sauver nos têtes, mais, en fait le pouvoir ne pouvait plus aller à droite ; même le… on parlait du colonel, seigneur Penne et autres, ils prenaient le pouvoir à Ouaga ; oui, vous allez… c’était, c’était impossible de gouverner, en fait, ils n’allaient pas trouver…  Nous, nous restons à Pô, on ne leur dit rien, ils n’allaient pas trouver de militaires pour nous affronter, dans toute la… il n’était plus possible, parce que nous avions gagné des garnisons, les militaires venaient ici, avec des motos quittant les garnisons pour venir nous informer de ce qui [inaudible], et qui n’étaient pas du tout prêt à attaquer, quoi ; donc, quel que soit le pouvoir de droite qui venait, se mettait en place par la force, en juillet, il ne pas pouvait pas gouverner à notre place, c’était, ouais ;  il n’y avait pas, dans la kyrielle, de colonel on n’en voit pas, quelqu’un qui pourrait… parce qu’on les… ils ont traîné leur bosse dans la politique, alors les gens on les connaissait assez. Entre nous, le 4 août, en fait, sur le plan militaire, ça nous a pas, c’était pas une, une action héroïque comme ça

A. C. : Spectaculaire

BC : Spectaculaire, parce que nous savions  qu’à Ouaga, sincèrement il n’y aurait pas eu de combat, hein, parce que les militaires avaient choisi leur camp, c’était…

A. C. : Il n’y a eu aucune résistance ?

BC : Pfft. Un peu. Euh… Oui, à la résidence de Jean-Baptiste, il y a eu deux morts, y a eu trois morts même, là-bas, ouais ; et puis aux blindés, chez les… là où il y avait les chars. En dehors de ces deux points…

A. C. : C’était presque symbolique, quoi ?

BC : Ouais, c’était symbolique ; en fait, c’était… en fait, la situation était telle que, c’était la gauche ou rien ; y avait pas de… parce que on voyait pas comment ça pouvait se terminer…

A. C. : Et vous sentiez que les civils étaient mobilisés ?

BC : Ah oui, ça, nous le sentions, puisque la Haute-Volta, après le 10, après… en juillet, quand vous arriviez à Ouagadougou, vous sentez ! Les gens, c’était vraiment la… en juillet, juillet 83, c’était une existence, une désobéissance civile, comme ça, les…pendant une semaine les gens n’allaient pas au bureau, c’était vraiment pas leur problème le gouvernement de Jean-Baptiste, alors qu’il promettait encore de faire revenir les vieux chibollas ; alors, c’était, pour les gens, ils en avaient marre, les gens ne se sentaient plus, donc euh, c’est dire que, et la preuve, c’est le 4 août, dans la nuit-même, il fallait faire rentrer les gens, dans leurs… parce que pendant que ça tirait, les gens criaient « Vive la révolution ! » et ils venaient avec leur mobylette à côté de vous et dire « Vive la révolution » [Rires de la journaliste]. Ah ouais, c’était ça, et le 5 au matin, généralement nous connaissons, en Haute-Volta quand il y a coup d’État, les gens…

A. C. : sont sortis ?

BC : Oui, ils attendent de voir si réellement un camp a gagné avant de… mais le 5 au matin, ils étaient là, il y avait, toute la population est sortie, commencée de la place de la révolution jusqu’à la présidence, alors que… c’était vraiment, les jours qui suivaient, mais, je sais pas, on a rarement mobilisé, je sais que depuis l’indépendance on a jamais vu de manifestation comme ça ; non, c’était immense comme…

A. C. : C’était la première fois qu’il y  avait un contact aussi direct entre la population et les militaires, hein ?

BC : Oui, c’est ça ; en dehors de, on a eu des contacts comme ça souvent avec des éléments qui venaient bénévolement nous informer

A. C. [elle coupe la parole]: Délégation spontanée ?

BC : Spontanée, oui, et comme ça nous informer de la situation ; puis les contacts que nous avons gardés avec euh des groupes, des groupes

A. C. : Des liaisons individuelles ; alors que les gens dans la rue, c’est…

BC : Ah oui, la rue, dans la rue c’est, c’est aussi comme ça,c’est… mais, on  a gardé des cont… mais j’avais beaucoup de contacts, hein pratiquement on ne dormait même pas là, tout le temps deux heures les gens viennent nous baratiner, maintenant, comme ça on les connait même pas [Rires de la journaliste], et puis ils venaient, ils demandaient à

JC [elle coupe la parole]: Vous les laissiez passer ?

BC : à s’engager dans l’armée on a été obligé de faire un camp d’entraînement [Rires de la journaliste] et puis les mettre là-bas ; on les mettait là-bas, eux les civils

A. C. : Ils vous ont été utiles ?

BC : Bon, jusqu’à, ouais, ils nous ont, en tout cas aidés à

A. C. : moralement

BC : moralement, et  après comme il y a eu la réconciliation le 16 juin, bon, on avait, on les avait libérés… Avant le 4 août encore, y en a qui sont revenus.

A. C. : C’était… c’était quand même encourageant pour vous, que vous sentiez la solidarité aussi

BC : Oui, ça y avait la solidarité. Parce que, il faut avouer que nous même dans un premier temps ce qui nous intéressait c’était de revendiquer la liberté pour nos camarades, en fait l’application des dispositions des statuts du CSP.

A. C. : Inégalitaires, à l’époque ?

BC : Voilà. Après, nous avons senti qu’en fait, ce que le peuple demandait c’était même pas la liberté de Sankara mais c’était même Sankara à la tête de la

A. C. : au pouvoir

BC : Voilà, c’est ça. Et c’est ce qui nous a poussés nous aussi à voir plus loin. Je crois que nous avons senti que le peuple avait des aspirations certaines, quant aux choix politiques qu’il fallait faire, euh, et c’est cela qui explique donc que nous ayons été entraînés pratiquement par le peuple dans cette situation.

A. C. : Et c’est par la population que vous étiez informés régulièrement de ce qui se passait, en partie ?

BC : Oui, à Ouagadougou.

A. C. : Et les militants des partis de gauche, tout ça ?

BC : Oui ! Avec eux aussi nous avons gardé des contacts, c’est essentiellement par leur canal aussi que nous avions les informations les plus… régulières, quoi. Indépendamment de ça je dis qu’il y a beaucoup de patriotes qui venaient ici à tout heure pour nous dire il y a eu tel mouvement d’unité, ou telle chose de Jean Baptiste etc … et pratiquement les correspondants Basama, de Somé, Jean Baptiste, nous les recevions ici… on était vraiment très bien organisés en ce sens-là.  .

A. C. : Et puis il y a eu la création des CNR ?

BC : Des C…?

A. C. : Des CNR, la composition de l’alliance, si on peut dire, entre les militaires et les…

BC : Voilà. Il y a eu la création des, du CNR, la création des CDR, des trucs comme ça. Pour que la révolution ait une direction, il faut des instruments de… pour défendre la révolution. Donc, ça nous a paru primordial.

A. C. : Et vous sentez la nécessité de l’unification, de cette époque que vous dites plutôt commune, passer des CDR au CNR ?

BC : Ce serait difficile, mais nous pensons qu’il, en fait euh, c’est… nous pensons qu’il y a quelque chose de fondamental. C’est que, tant que la révolution est monopolisée par des groupuscules, des groupes politiques ; même à un moment donné avant le 4 Août on ne parlait que de révolution dans certains groupes de gauche qui parfois même n’avaient pas de grande…. Mais, maintenant que le mouvement s’est popularisé, et que la révolution est partout, et l’éducation

A. C. : Ça les dépasse ?

BC : Voilà, ouais, effect, il y aura, le problème, c’est-à-dire que, l’union va se faire, même si sans

A. C. : Même sans certains [rire de la journaliste]

BC : Même sans certains. Ça c’est, ce n’est pas, c’est le peuple qui va faire parce que le peuple a envie d’aller de l’avant dans la révolution. Moi je suis…. pour ça je suis optimiste. Je ne pense pas qu’il y ait un obstacle, je fais confiance au peuple qui est acteur déterminant dans tout ça

A. C. : Quel bilan vous faites des effets, du moins, du pouvoir révolutionnaire ?

BC : Ben [hésitation], ça nous a permis surtout de [hésitation] de voir les [hésitation]les problèmes, que la résolution du problème, pratiquement, c’est quand même quelque chose de difficile, compte tenu de toutes les composantes, compte tenu aussi de la nature même néocoloniale d’un certain système qui commande et ligue pratiquement les mêmes. Vous voyez ce que vous voulez faire ; vous devez aller avec beaucoup de réalisme, et les gens peuvent penser que c’est parce que vous ne pouvez pas avancer, ou que vous ne voulez pas avancer, alors y a tous ces problèmes-là [choc dans le micro, ou coupure dans l’enregistrement, et reprise] Mais nous sommes…

A. C. : Vous ne sentiez pas, avant, l’état contraignant des structures féodalités ? Vous l’avez senti après…

BC : Et justement, c’est ce que je veux dire, ces mach…trucs du passé, ces dures réalités du passé, nous sentons surtout la difficulté dans le changement des mentalités, parce que vous voyez nous sommes une révolution qui n’est pas d’abord… les gens n’ont pas fait de guerre de libération ou, voyez, paysans, ouvriers, intellectuels, on s’est côtoyés dans les maquis et tout, et on accepte après, quand l’instauration de la révolution exige certains sacrifices. Actuellement, les gens, même, on voit l’euphorie des premiers moments, et maintenant, c’est-à-dire la révolution se décante, se purifie… parce que, effectivement, le sacrifice là, pour réaliser la révolution, n’est pas dans tous les cœurs. Ça c’est très difficile. Et y a surtout, ce qu’on peut dire aussi, c’est le problème d’éducation de tout un peuple, cela aussi se pose dans la mesure aussi où nous n’avons pas, c’est pas un parti révolutionnaire, par exemple communiste etc., révolutionnaire, qui aurait pris la direction d’un pouvoir, et avec ses cadres qui dirigent déjà, de recouvrir tout le pays pour faire passer les mots d’ordre, façon…Voilà, actuellement ce problème se pose aussi au niveau de l’éducation de seize millions de personnes-là sans que des structures d’encadrement bien structurées là, ça c’est un grand problème pour nous.

A. C. : Ce qui nous parait presque paradoxal c’est que, bien que vous, euh, savez un peu, disons, vous avez vécu l’histoire de l’armée néocoloniale,

BC : Hum hum

A. C. : Vous semblez presque plus conscient de la réalité nationale que les partis civils eux-mêmes. On a l’impression que vous aviez des attaches, une connaissance, non ?

BC : Oh non

A. C. : Non ?

BC : Non, je crois que, mais quand même c’est que, nous ça fait quand même une dizaine d’années qu’on travaille politiquement, même si…

A. C. : Mais eux ils le savent pas [rires]

BC : [Rires] Je crois que, c’est ça aussi. Et, nous n’avons jamais cessé d’aborder les questions de la vie pratique du peuple voltaïque, hein, de toutes façons. Tout cela, ouais, ça nous a permis de nous cultiver, même si on a été beaucoup entravé par les tâches, parce quand on avait beaucoup de.., moi je m’occupais des parachutistes, l’autre aussi était dans les parachutistes, comme le président dans les commandos, c’est toujours des unités, ou le boulot militaire, hein.

A. C. : Disons que vous faites preuve de réalisme, dans ce sens

BC : Oui, Parce que nous avons toujours suivi avec attention les luttes populaires en Haute-Volta et nous avons vu ce que le peuple réclamait à chaque fois, après chaque pouvoir. C’est ça. Je crois que c’est l’analyse concrète que nous avons pu faire de situations concrètes comme…

A. C. : Et la transformation de cette armée néocoloniale ? Elle se fait rapidement d’après vous, ou il y a de grands obstacles ?

BC : Oh, nous pensons qu’elle va se faire avec euh, bon… Y a, y a beaucoup de difficultés, parce vraiment, du jour au lendemain ; on a 23 années de, on nous a mis dans la tête, vous voyez, le cadre ; aujourd’hui vouloir tout changer c’est très difficile, mais avec les dégagements,  on a [mot inaudible] d’officiers plus… même s’ils ne sont pas des révolutionnaires convaincus, leur amour pour leur pays, leur loyauté, leur… ça nous permet de travailler avec eux de façon régulière. Nous essayons d’organiser ça autour de principes clairs, à savoir, comme dans tout régime, que la direction politique puisse diriger l’armée. Pour que ça ne soit pas l’idéologie de gens réactionnaires qui pénètre l’armée. Que, il y ait le travail donc désiré entre eux et le peuple, l’intégration avec le peuple…

A. C. : Concrètement comment elle peut se faire cette intégration ?

BC : Concrètement, il y a le travail politique que nous faisons, mais il y a surtout les tâches pratiques. D’ailleurs, je disais ce matin au délégué CDR, lorsque nous disons de faire des champs, de faire de l’élevage, de faire, euh, des trucs inutiles dans les camps, c’est parce que nous savons que, même si on leur fait, on met dans leur tête-là [Rire de BC] toute l’idéologie, la théorie révolutionnaire, tant que, concrètement, ils ne font pas les tâches pratiques, les tâches du paysan moyen, les tâches de l’éleveur moyen, ils ne peuvent pas se sentir appartenir à cette classe laborieuse-là, pour mieux la défendre. Parce que quand le militaire, dans tout ce que le paysan fait, dans tout ce que l’éleveur moyen fait, il se sentira beaucoup plus lié à cette classe-là, même s’il n’y a pas un travail politique qui vient renforcer, nous mettons l’accent justement sur ces tâches.

A. C. : Mais concrètement, ces travaux doivent servir, disons, à l’autonomie de la, euh, de l’armée, ou ?

BC : Non, non, hé, ça, c’est des, c’est pour des années-choses, maintenant ce qui nous intéresse c’est le contenu

A. C. : D’éducation

BC : Idéologique

A. C. : Pédagogique ?

BC : Voilà, le contenu idéologique de la, c’est cette part de travail qui nous intéresse, à savoir que ça va permettre à des militaires, là, de  se sentir plus proches [quelques mot inaudible], de mieux leur…

A. C. : d’effacer leur sentiment de privilège

BC : voilà, des gens qui n’ont pas, qui trouvent que ces paysans, ces éleveurs, c’est des gens, ouais, un peu abrutis, quoi

A. C. : L’armée est entièrement alphabétisée ?

BC : Entièrement ?

A. C. : Alphabétisée, comme on dit

BC : Non, ça c’est un problème aussi. Les CDR ont pratiquement inscrit ça aussi à, dans leurs programmes d’activités

A. C. : Et c’est un pourcentage, euh, pas très élevé ? On a l’impression que non, c’est que, c’est une armée déjà dans…

BC : Ouais ben les militaires parlent le français un peu. Un peu, hein, parce qu’on donne les cours en français, ils sont obligés de suivre, avec… y a pas de grammaire, mais ça va.

A. C. : Comment vous considérez la relation entre les CDR, paramilitaire et l’armée régulière ?

Autre A. C. : Les paramilitaires, ce sont les milices, hein ?

A. C. : Oui

BC: Ah, les milices. Non, nous, nous disons que, en fait, nous formons assez, parce que nous avons des tâches. Par exemple ici dans notre programme de, de…chose, s’il y a des problèmes dans la région, par exemple si nous avons, nous avons eu une défense à assurer dans la [gare de…] il ne faut pas que ce soit nous encore qui soyons là parce qu’il y a des points sensibles dans la ville, l’ONE, la …. ça ce n’est pas à nous militaires, nous les commandos, on ne doit pas s’occuper de ça. C’est la population qui doit. Ouais. C’est des tâches de second plan ; voilà, donc il ne peut pas y avoir de

A. C. : Et vous comptez l’élargir, l’armée, ou bien consolider ?

BC : Non. Se consolider donc, la conscience, renforcer la conscience de classe et puis former, la formation généralisée du peuple

A. C. : Comment ça, finalisée du ?

BC : Peuple

A. C. : Au-delà donc

BC : Militaire ; formation militaire généralisée du peuple et puis, peut-être, si ça marche, peut-être le service national

A. C. : Et il y a beaucoup de soldats de carrière, comme on dit ?

BC : Actuellement oui, oui pratiquement l’armée c’est la carrière, ceux qui sont dans les unités constituées, c’est la carrière

A. C. : Donc il faut en faire des révolutionnaires professionnels ?

BC : Voilà, des, ah ouais, ce sont un instrument politique, hein. L’armée a toujours, a été un instrument politique au service des  bourgeoisies et des classes dominantes, il faut aussi que ce soit un instrument politique au service du peuple, nous travaillons à cela.

A. C. : Vous pensez que, si d’un jet y a, je veux dire, s’il y a des forces, certainement il y en a, qui essayent de s’opposer à ce processus révolutionnaire, elle ne viendront pas de l’armée désormais ? Malgré quelques remous récemment, on a entendu parler de quelques officiers qui complotaient …

BC : Oh ! Vous savez, les forces de réaction ça peut venir de partout hein ! Y a pas de… L’ennemi  peut utiliser le le, tant que… peut utiliser l’armée, le clergé, tout ce qu’on veut. Donc, non, il faut être vigilant surtout mais nous savons qu’il à un travail qui doit permettre à l’armée de rester au service de son peuple, ça c’est sûr

A. C. : Et vous ne sentez pas particulièrement, enfin le, que que, que dans l’armée il y ait vraiment des mécontentements, ou de ?

BC : Oh, mais les mécontents par rapport aux autres c’est minime, c’est négligeable, mais ça fait, ça gêne quand même lorsqu’il y a des mécontents.

A. C. : Et la gendarmerie dépend du ministère de la défense ?

BC : Oui.

A. C. : Et elle s’est intégrée dans…?

BC : Oui ! Il n’y a pas de problème, même ici, on avait des gendarmes

A. C. : On les a vus, oui

BC : Ils étaient à l’organisation, comme les autres

A. C. ; Y a pas de contestation

BC : Non. Bon [Rire]

A. C. : Il y a eu un accident récemment.

BC : Où ?

A. C. : Ici

BC : Ah ouais, effectivement au camp il y a eu un accident parce que nous sommes, vous savez nous travaillons beaucoup avec des explosifs et il y a eu dans une des soutes là les explosifs qu’on avait dedans qui ont sauté.

A. C. : Tout seul ?

BC : Jusque-là, on ne sait pas puisque les soldats étaient pratiquement tous dehors, après la garde, ils étaient là … et là, vraiment, on se demande ce qui a bien pu se produire

A. C. : Vous n’avez pas su ce qui s’est passé ?

BC : Non.

A. C. : Quelles sont vos fonctions exactement au sein du gouvernement ?

BC : Ministre d’état délégué à la présidence de la république. C’est-à-dire que mon ministère c’est la présidence. [Rires] Je suis un fonctionnaire de la présidence. [Rires]

A. C. : Oui, je vois. Vous voyagez beaucoup à ce poste-là ?

BC : Non. De temps en temps je sors en mission

A. C. : C’est surtout des fonctions intérieures ?

BC : … Autrement je m’occupe beaucoup plus des contacts avec le camarade président, on discute beaucoup. Pour l’instant ça va.

A. C. : On vous remercie

BC : Nous, nous allons jouer au football

A. C. : Oui. Nous aussi ?

BC : C’est tout de suite.

Propos recueillis par Augusta Conchiglia journaliste au mensuel Afrique Asie

Cet article Interview de Blaise Compaoré sur sa résistance au putsch du 17 mai 1983, le 4 août et la Révolution. est apparu en premier sur Thomas Sankara.

Témoignage de Norbert Zongo. J’étais à Koudougou ce jour-la (27 octobre 1983)

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(…) (𝗔𝗰𝘁𝗲𝘂𝗿, 𝗷𝗲 𝗻𝗲 𝗹’𝗮𝗶 𝗽𝗮𝘀 𝗲́𝘁𝗲́ 𝗻𝗶 𝗱𝗲 𝗽𝗿𝗲́𝘀 𝗻𝗶 𝗱𝗲 𝗹𝗼𝗶𝗻, 𝗻𝗶 𝗲𝗻 𝗽𝗲𝗻𝘀𝗲́𝗲𝘀, 𝗻𝗶 𝗲𝗻 𝗮𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗰𝗲𝘀 𝗲́𝘃𝗲́𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀 𝗱𝘂 𝟮𝟳 𝗼𝗰𝘁𝗼𝗯𝗿𝗲 𝟭𝟵𝟴𝟳 𝗮̀ 𝗞𝗼𝘂𝗱𝗼𝘂𝗴𝗼𝘂 (𝗹𝗮 𝗽𝗿𝗲́𝗰𝗶𝘀𝗶𝗼𝗻 𝗻’𝗲𝘀𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗶𝗻𝘂𝘁𝗶𝗹𝗲), 𝗷’𝗮𝗶 𝘁𝗼𝘂𝘁 𝘀𝗶𝗺𝗽𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘃𝗲́𝗰𝘂 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗲𝗿𝗻𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗷𝗼𝘂𝗿𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝗼𝗻𝘁 𝗽𝗿𝗲́𝗰𝗲́𝗱𝗲́ 𝗹’𝗮𝘁𝘁𝗮𝗾𝘂𝗲 𝗲𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗷𝗼𝘂𝗿𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝗹’𝗼𝗻𝘁 𝘀𝘂𝗶𝘃𝗶.
𝗦𝗮𝗻𝘀 𝗱𝗼𝘂𝘁𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝘁𝗲́𝗺𝗼𝗶𝗴𝗻𝗮𝗴𝗲𝘀 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝘃𝗶𝘃𝗮𝗻𝘁𝘀 𝗮𝘂𝗿𝗮𝗶𝗲𝗻𝘁 𝗽𝘂 ê𝘁𝗿𝗲 𝗳𝗮𝗶𝘁𝘀 𝗽𝗮𝗿 𝗱𝗲𝘀 𝘀𝘂𝗿𝘃𝗶𝘃𝗮𝗻𝘁𝘀 𝗱𝘂 𝗱𝗿𝗮𝗺𝗲. 𝗝𝗲 𝗻‘𝗮𝗶 𝗽𝗮𝘀 𝗰𝗵𝗲𝗿𝗰𝗵𝗲𝗿 𝗮̀ 𝗺𝗲𝘂𝗯𝗹𝗲𝗿 𝗺𝗼𝗻 𝗿𝗲́𝗰𝗶𝘁 𝗲𝗻 𝗹𝗲𝘀 𝗶𝗻𝘁𝗲𝗿𝗿𝗼𝗴𝗲𝗮𝗻𝘁. 𝗝𝗲 𝗜’𝗮𝗶 𝘃𝗼𝘂𝗹𝘂. 𝗦𝗮𝗻𝘀 𝗮𝘃𝗼𝗶𝗿 𝗮𝘀𝘀𝗶𝘀𝘁𝗲́ 𝗮𝘂𝘅 𝘁𝘂𝗲𝗿𝗶𝗲𝘀, 𝗷’𝗮𝗶 𝗽𝘂 𝗺𝗲𝘀𝘂𝗿𝗲𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗶𝗺𝗲𝗻𝘀𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗱𝗲 𝗜’𝗵𝗼𝗿𝗿𝗲𝘂𝗿 𝗲𝘁 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗯ê𝘁𝗶𝘀𝗲 𝗰𝗲 𝟮𝟳 𝗼𝗰𝘁𝗼𝗯𝗿𝗲 𝗮̀ 𝗞𝗼𝘂𝗱𝗼𝘂𝗴𝗼𝘂.
𝗕𝗲𝗮𝘂𝗰𝗼𝘂𝗽 𝗱𝗲 𝗾𝘂𝗲𝘀𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗿𝗲𝘀𝘁𝗲𝗻𝘁 𝗲𝗻 𝘀𝘂𝘀𝗽𝗲𝗻𝘀 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗰𝗲𝘀 𝗲́𝘃𝗲́𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀. 𝗘́𝘁𝗮𝗶𝘁-𝗶𝗹 𝗻𝗲́𝗰𝗲𝘀𝘀𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗱‘𝗮𝘁𝘁𝗮𝗾𝘂𝗲𝗿 𝗹𝗮 𝘃𝗶𝗹𝗹𝗲 ? 𝗬 𝗮-𝘁-𝗶𝗹 𝗲𝘂 𝗰𝗼𝗺𝗯𝗮𝘁𝘀 ? 𝗣𝗼𝘂𝗿𝗾𝘂𝗼𝗶 𝗮-𝘁-𝗼𝗻 𝗲𝘅𝗲́𝗰𝘂𝘁𝗲́ 𝘀𝗼𝗺𝗺𝗮𝗶𝗿𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘁𝗼𝘂𝘀 𝗰𝗲𝘀 𝗷𝗲𝘂𝗻𝗲𝘀 𝗼𝗳𝗳𝗶𝗰𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗱𝗼𝗻𝘁 𝗹𝗲 𝘀𝗲𝘂𝗹 𝗺𝗮𝗹𝗵𝗲𝘂𝗿 𝗮 𝗲́𝘁𝗲́ 𝗱‘ê𝘁𝗿𝗲 𝗮𝗳𝗳𝗲𝗰𝘁𝗲́𝘀 𝗮̀ 𝗞𝗼𝘂𝗱𝗼𝘂𝗴𝗼𝘂 𝘀𝗼𝘂𝘀 𝗹𝗲𝘀 𝗼𝗿𝗱𝗿𝗲𝘀 𝗱’𝘂𝗻 𝗼𝗳𝗳𝗶𝗰𝗶𝗲𝗿 𝘀𝘂𝗽𝗲́𝗿𝗶𝗲𝘂𝗿 𝗾𝘂𝗶 𝗻‘𝗮𝘃𝗮𝗶𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗰𝗮𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻𝗻𝗲́ 𝗹𝗲𝘀 𝗲́𝘃𝗲́𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀 𝗱𝘂 𝟭𝟱 𝗼𝗰𝘁𝗼𝗯𝗿𝗲 𝗲𝘁 𝗹’𝗮𝘃𝗮𝗶𝘁 𝗳𝗮𝗶𝘁 𝘀𝗮𝘃𝗼𝗶𝗿 𝗮̀ 𝗵𝗮𝘂𝘁𝗲 𝘃𝗼𝗶𝘅 ? 𝗤𝘂𝗲𝗹 𝗿𝗼̂𝗹𝗲 𝗹𝗮 𝗣𝗿𝗲𝘀𝘀𝗲 𝗮-𝘁𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗿𝗲́𝗲𝗹𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗷𝗼𝘂𝗲́ ?
𝗠𝗼𝗻 𝗮𝗺𝗯𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗻’𝗲𝘀𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗱𝗲 𝘀𝗮𝗶𝗴𝗻𝗲𝗿 𝗱𝗲𝘀 𝗰𝗶𝗰𝗮𝘁𝗿𝗶𝗰𝗲𝘀 𝗮̀ 𝗽𝗲𝗶𝗻𝗲 𝗳𝗲𝗿𝗺𝗲́𝗲𝘀. 𝗝𝗲 𝗻𝗲 𝗰𝘂𝗹𝗽𝗮𝗯𝗶𝗹𝗶𝘀𝗲 𝗽𝗲𝗿𝘀𝗼𝗻𝗻𝗲. 𝗘𝘁 𝗽𝗮𝗿𝗹𝗮𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗰𝗲𝘀 𝗱𝗼𝘂𝗹𝗼𝘂𝗿𝗲𝘂𝘅 𝗲́𝘃𝗲́𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀, 𝗷𝗲 𝘀𝗼𝘂𝗵𝗮𝗶𝘁𝗲 𝗹𝗲𝘀 𝗿𝗮𝗽𝗽𝗲𝗹𝗲𝗿 𝗮𝘂𝘅 𝗮𝗰𝘁𝗲𝘂𝗿𝘀 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗲 𝘁𝗲𝗿𝗿𝗮𝗶𝗻 𝗲𝘁 𝘀𝗼𝘂𝗹𝗶𝗴𝗻𝗲𝗿 𝗮̀ 𝘁𝗼𝘂𝘀, 𝗹𝗲 𝗿ôle 𝗱𝗲 𝗹’𝗛𝗶𝘀𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲. 𝗡𝗼𝘂𝘀 𝗱𝗲𝘃𝗼𝗻𝘀 être 𝗳𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗲𝘁 𝗰𝗮𝗽𝗮𝗯𝗹𝗲𝘀 𝗱‘𝗮𝘀𝘀𝘂𝗺𝗲𝗿 𝗰𝗵𝗮𝗰𝘂𝗻 𝗱𝗲 𝗻𝗼𝘀 𝗮𝗰𝘁𝗲𝘀 𝗱𝗲𝘃𝗮𝗻𝘁 𝗜’𝗛𝗶𝘀𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲. 𝗧𝗼𝘂𝘁 𝗹𝗲 𝗴𝗲́𝗻𝗶𝗲 𝗲𝘁 𝘁𝗼𝘂𝘁𝗲 𝗹’𝗶𝗻𝘁𝗲𝗹𝗹𝗶𝗴𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗵𝘂𝗺𝗮𝗶𝗻𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘀𝗶𝘀𝘁𝗲𝗻𝘁 𝗮̀ 𝗲́𝘃𝗶𝘁𝗲𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗮𝗰𝘁𝗲𝘀 𝗱𝗼𝗻𝘁 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗮𝘂𝗿𝗼𝗻𝘀 𝗵𝗼𝗻𝘁𝗲 𝗼𝘂 𝗽𝗲𝘂𝗿 𝗱’𝗲𝗻 𝗽𝗮𝗿𝗹𝗲𝗿 𝗱𝗲𝘃𝗮𝗻𝘁 “𝗛𝗶𝘀𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲.
𝗟𝗲 𝟮𝟳 𝗼𝗰𝘁𝗼𝗯𝗿𝗲 𝟭𝟵𝟴𝟳 𝗮̀ 𝗞𝗼𝘂𝗱𝗼𝘂𝗴𝗼𝘂, 𝗼𝗻 𝗮 𝘁𝘂𝗲́ 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗹𝗲 𝗽𝗹𝗮𝗶𝘀𝗶𝗿 𝗱𝘂 𝘀𝗮𝗻𝗴. 𝗟𝗲 𝘀𝗮𝗻𝗴. 𝗟𝗲 𝘀𝗮𝗻𝗴 𝗱𝗲𝘀 𝗮𝘂𝘁𝗿𝗲𝘀, 𝗷𝗮𝗱𝗶𝘀 𝗮𝗺𝗶𝘀 𝗲𝘁 𝗽𝗮𝗿𝗲𝗻𝘁𝘀, 𝘃𝗲𝗿𝘀𝗲́ 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝘂𝗻𝗲 𝗶𝗱𝗶𝗼𝘁𝗲 𝗽𝗮𝗿𝗰𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗱𝗲 𝗴𝗹𝗼𝗿𝗶𝗼𝗹𝗲. 𝗕êt𝗶𝘀𝗲 !

En octobre 1987 nous tournions “notre film” (“Ma fille ne sera pas excisée“) à Koudougou, précisément à Doulou à une vingtaine de kilomètres de la ville. Lorsqu‘après Ies événements du 15 octobre la Brigade d’Intervention aéroporté (BIA) commandée par Boukary Kaboré dit Ie Lion entra en rébellion, il fallait demander des autorisations de sorties pour quitter la ville. Ce que nous faisions. Ce fut mon premier contact avec Boukary bien que je le connaisse de nom depuis le Cameroun.

La ville bruissait de cette dramatique situation d’état de siège. Tous avaient conscience qu’une bataille entre les éléments du BIA et les forces qui viendront de Ouagadougou et de Bobo ne laisserait que des ruines et des morts. La tension montait de jour en jour au sein de la population. Les propos les plus amers étaient tenus à l’endroit du Lion : “Il veut se battre, soit, mais qu’il amène ses hommes dans son village à Poa… Il n’est pas de Koudougou, qu’il laisse notre ville en paix…”

Même ceux qui le soutenaient ne voulaient pas de combats dans la ville : ” Je veux qu’il venge Tom Sank, mais c’est à Ouaga qu’il doit aller se battre”, nous disait un jeune. (Voire ! Tous les accès conduisant à la capitale étaient bloqués). Une très forte pression psychologique s’exerçait sur le Lion et ses hommes dans cette ville de Koudougou.

Le 23 octobre sur les coups de 8 heures nous étions au BIA pour une autorisation de sortie. Mais le Lion depuis un certain moment passe plus de temps chez lui qu’au bureau. Il nous reçoit ce jour à domicile. Son téléphone n‘arrête pas de sonner. Le dernier coup de fil qu’il reçoit avant de décrocher le téléphone le rend rageur : “Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je laisse chacun avec sa conscience ! Faites comme vous voulez !
– C‘est qui ?
– Les salauds de Dédougou qui me racontent des histoires”.

Un jeune homme en survêtement de sport rouge à bandes blanches, affalé sur le divan, le regard vide et triste venait de lui poser la question. J’apprendrai plus tard que c’était le lieutenant Kéré (Paix a son âme).

Attendez-vous dehors !“, nous dit-il. Nous attendrons toute la journée. Le lendemain je reviens le voir toujours à domicile. Pendant que j’attends dehors j’entame une conversation avec son garde de corps et un de ses soldats. Je comprends que la situation est désespérée pour eux. Ils avaient tous le moral très bas. Deux de mes amis de passage viennent grossir notre cercle : Bernard et Arsène.

Le garde de corps de Boukary raconte : “Les vieux sont venus ici avec les fétiches hier, et la nuit un gros serpent boa est venu pleurer dans la cour du capitaine. Ici c’est dangereux...”. Nous restons interloqués. Le narrateur prend son collègue à témoin. Tous deux nous indiquent l’itinéraire du reptile mystérieux. Je leur fais comprendre que la présence d’un tel reptile s’explique à cause de la proximité du cimetière municipal dont le mur est séparé de la maison du Lion par une simple rue. Rien n’y fait. Ils lient tout à la présence des fétiches. Le Lion viendra se joindre à nous. Il confirmera la venue du reptile dans sa cour. Il évoque longuement la situation. M’explique la situation qui prévalait au sein du Conseil National de la Révolution (CNR), la solution qu’il a préconisée pour résoudre la crise. Il me pose une question comme un leit-motiv: “Comment on peut tuer des gens comme ça ?” Plus il explique, plus il s’énerve. Je reviens sur cette histoire du serpent. Il reconfirme la nouvelle, mais passe vite à la guerre de Noël avec le Mali, il vante le mérite de ses jeunes officiers, loue leur courage.

J’insiste à nouveau sur la venue de ce serpent qui semble les terroriser plus que l’apparition des forces adverses. J’avais vu juste en insistant. Le Lion me dis : “Dis-moi honnêtement ce que tu penses de la situation. Actuellement c’est grave, avec ces vieux qui sont venus“.
-Tu ne vas pas te fâcher, demandais-je.
– Non ! Puisque c’est moi qui te le demande.
Je lus la sincérité dans ses yeux. Aussi je risque : “Tu veux mon avis, toi et les autres vous êtes tous pareils. Pendant que les populations souffrent vous voulez leur imposer une guerre civile. À quoi cela va-t-il aboutir, une tuerie inutile. Vous allez tuer ces jeunes pour le pouvoir...”
C’est vrai, tu as raison. Moi j’ai dit hier aux vieux que je laisse tomber. Moi je ne veux même plus l’armée, je préfère aller cultiver que d‘être dans cette merde. Figure-toi que si je voulais la guerre, je n‘attendrais pas que l’on vienne m’assiéger. Je peux rentrer à Ouaga en plein jour. Moi je laisse tomber. J’ai dit aux vieux qui sont allés à Ouaga de me garantir la liberté et la vie. Chez moi c’est fini”.

Un de ses informateurs arrive et le tire de côté pour un bref entretien. Il revient hilare et nous lance:
Il paraît que quand on dit à Ouaga, le Lion arrive les militaires deviennent des douaniers. Ils retournent leur béret“.
Notre conversation dure plus de deux heures au même endroit (dehors).

Je reviens le voir le 25 octobre. Nous sommes à la dernière séquence du film et des policiers ou des gendarmes doivent intervenir pour arrêter les exciseuses. Des hommes en tenue nous suffisent. Il me demande de voir le lieutenant Ky Bertoa (Paix à son âme) que j’ai connu à Yaoundé. Lui, son chauffeur et un autre militaire nous accompagnent sur le plateau de tournage à Doulou le 26 soir. Ils étaient moins gais et moins enthousiastes que la veille.

Je plaisante et rappelle les bons souvenirs de Yaoundé, les amis (es) que nous y avions eus. Il finit par dire : “Les informations que nous avons ne sont pas bonnes”. Je leur explique que les patriarches de la ville avaient amené des fétiches chez Ie Lion pour lui interdire de tirer un seul coup de feu dans la ville. Notre acteur principal le chef de Doulou, président de l’UNAB (Union nationale des anciens du Burkina) de Koudougou et d’autres vieux étaient partis à Ouagadougou. On dit qu’ils vont remettre la reddition du Lion qui ne demande qu’une seule chose : la vie sauve.

Ky Bertoa et ses soldats restent de marbre. Il me répète l’air affligé : “Les informations ne sont pas bonnes”. ll était vers 18 heures quand nous nous quittons ce 26 octobre. Rendez-vous est pris pour le lendemain matin de bonne heure car la scène se passe à l’aube. Nous attendrons en vain. Cachés par le mil non encore récolté, nous n’avons pas vu passer les véhicules militaires fonçant sur Koudougou. Puis ce furent les coups de canons et de mitrailleuses. Les premiers réfugiés avec ou sans baluchons fuyant la ville nous narrent une situation apocalyptique.

A les entendre il reste très peu de survivants dans la ville. Nous rentrons dans la ville vers 14 heures. Les tirs avaient cessé. J’ai vu le Lion au volant. Dans mon quartier il y a un mort, un ami d’enfance : Yaméogo Zourègma Mathias, maçon de son état. Un obus I’a tué net ce matin pendant qu’il prenait sa calebassée de dolo avant de regagner son chantier. La radio nationale avait pourtant annoncé qu’il n’y avait pas de victime parmi la population civile. Mathias a trouvé la mort au moins à cinq kilomètres du BIA. Je parcours la ville avec un petit appareil photographique. Mais je ne trouve rien à photographier. Apparemment les obus tirés ne visaient pas le BIA. Seule la maison de Boukary était criblée de balles. Le comble est que le propriétaire du bâtiment faisait partie de la délégation de I’UNAB de Koudougou. Il aurait eu le temps d’évacuer sa famille m’a-t-on dit.

Le lendemain 28 octobre commencent les récits du carnage dans la ville. Un vendeur de buvette me raconte : “Ils sont arrivés chez moi tard la nuit. Ils ont tapé et j’ai ouvert, ils m’ont demandé de leur servir de la bière. Pendant que je servais j’ai remarqué les taches de sang sur leurs vêtements et leurs chaussures. L’envie m’est venue de jeter un coup d’œil dans leur véhicule dehors. J’ai vu des corps déchiquetés et entassés comme des objets dans le véhicule. J’ai refusé de prendre leur argent dès qu’ils ont fini de boire. J’ai fermé la buvette définitivement pour oublier ce que j’ai vu...”

La plus macabre histoire fut celle des brûlés de Kiogo à sept kilomètres de la ville. Selon des témoignages concordants dans la ville, le 28 octobre, la plupart des soldats et officiers du BIA sont allés se rendre, ou tout simplement sont restés chez eux, attendant que l’on vienne les chercher. Ils furent froidement abattus. Des corps furent brûlés à la paille à Kiogo avant d’être sommairement ensevelis.
Mon ami Ky Bertoa qui roulait à tombeau ouvert vers son village aurait fait un accident avec la jeep.
Il aurait eu le bras cassé mais aurait réussi à rejoindre son village. Il fut retrouvé. Il aurait été exécuté devant ses parents malgré ses supplications et ses larmes.

Je n‘ai pas eu un seul exemple de soldat tombé à Koudougou Ies armes à la main en se battant ; peut-être cela a-t-il existé. Mais je n’en ai pas entendu parler. Combien ont-ils été tués ? Pourquoi ont-ils été tués ?

À la veille du 6e anniversaire de ce massacre odieux nous n’avons pas mis la main dans la poubelle de l’Histoire pour rien : nous souhaitons que les uns et les autres s’interrogent sur ces morts, morts tout juste pour nourrir une terre qu’ils auraient pu protéger et défendre.
Devant les récits de carnage ma grand-mère me dira les larmes aux yeux : “C’est ainsi que ton petit frère (NDLR : soldat) fait pour gagner son argent ? Désormais qu’il le garde. Je n’en veux plus…”.

Je souhaite que les uns et les autres comprennent ce que peut engendrer la violence gratuite des États d’exception, la lutte féroce et inhumaine pour le pouvoir. Le pouvoir pour le pouvoir.
S‘il y avait eu bataille à Koudougou la population aurait payé un très lourd tribut, sans doute.

Il demeure une question essentielle : pourquoi a-t-on attaqué ? Simple opération dissuasive pour le reste de l’armée ? Sans doute. Mais qui a ordonné ces exécutions sommaires de ces jeunes officiers et soldats ?

Sidwaya titrait cinq colonnes à la une : “Koudougou libéré des griffes du Lion”. Les “héros de la bataille” étalaient leurs photos à longueur de colonnes, gonflés à bloc et très heureux d’avoir pu massacrer des hommes qui ne se défendaient pas. Comme ce fut vraiment étrange cet événement historique couronnant la fin d’un octobre noir, le plus sanglant de notre histoire.

Machinalement on répète en pareilles circonstances : plus jamais ça ! Mais sachons que les nations peuvent mourir et être enterrées comme les hommes. Leur linceul se nomme amnésie, leur cercueil crimes impunis. Puisse cet exemple au moins servir et faire comprendre que les vrais héros ne tuent pas, ils protègent. Seuls les fauves massacrent. Eux seuls aiment le sang.

Henri SEBGO pseudonyme de Norbert ZONGO

Source : L’indépendant N°13 du 26 octobre 1993 https://www.facebook.com/ouedraogo.souleymane.Basic.Soul/posts

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